Profondeur psychologique : le conflit interne
Dans un mystère, l’importance du conflit intime ne saurait être négligée. Un personnage accorde de l’importance à deux valeurs contradictoires et cela suffit à créer ce conflit très personnel qui devient un dilemme dans certaines circonstances ou situations. Prenons The Usual Suspects (1995) de Bryan Singer. Le récit se centre sur Verbal. Verbal est constamment en lutte entre sa loyauté envers ses complices et son désir de liberté. Et cela se traduit par un dilemme chez Verbal lorsqu’il est interrogé par l’agent Kujan.
Tout le mystère de ce récit se révèle à nous lors du dénouement. Mais avant que nous l’atteignons, Christopher McQuarrie, le scénariste, joue avec notre perception des valeurs et des motivations qui animent Verbal. Ce dilemme entre être loyal ou survivre fabrique toute l’intrigue.
Dans The Guilty (2018) de Gustav Möller, Asger est pris entre son devoir de policier qui consiste à conserver une certaine froideur face aux situations et son désir personnel que justice soit faite et, bien-sûr, il doit éclater les limites du cadre de ses fonctions pour le réaliser. Son dilemme nous explose au visage lorsqu’il reçoit l’appel d’une femme apparemment kidnappée. Doit-il respecter le protocole ou prendre une initiative fidèle à son désir ? The Guilty n’est pas vraiment du genre du mystère mais l’incertitude qu’il maintient tout au long de son intrigue sur la situation réelle respecte les conventions de ce genre.
Les auteurs ont su aussi utiliser l’arrière-plan (le centre d’appels d’urgence) pour amplifier le conflit personnel de Asger en particulier par les informations partielles que ce contexte minimaliste communique.
Le devoir : source du conflit
L’autrice et l’auteur de mystères se fondent souvent sur le sens du devoir pour créer un conflit personnel entre ce que le personnage veut faire et ce qu’il pense devoir faire. Dans The Harder They Fall (2021) de Jeymes Samuel, l’hybridation entre western et mystère dispense avec profondeur les thèmes de justice, de vengeance et de devoir moral.
Le western est une trajectoire possible pour des personnages partagés entre leur sens du devoir envers la loi ou la communauté ou parce qu’ils suivent un code d’honneur qu’ils ont plus ou moins adapté à leur propre conduite. A cela s’oppose des désirs ou des motivations personnels.
Pour mettre en scène le dilemme surtout lorsqu’il se mêle à des éléments de vengeance ou de justice, le western se pare de mystère ou d’une investigation qui est le moyen dramatique du mystère. Nat est motivé par un désir de vengeance personnelle contre Rufus Buck, qui a tué ses parents. Mais Nat, de hors-la-loi, il devient justicier ; il y a donc un conflit implicite entre la vengeance et la justice.
De son côté, le marshall Reeves a pour mission d’arrêter Nat. En son for intérieur, néanmoins, Reeves considère que rendre la justice est d’une importance capitale. Ce dilemme a pour résultat qu’il s’allie à Nat dans cet affrontement avec Buck.
Nous avons un rebondissement lorsque Buck révèle à Nat qu’ils sont des demi-frères. Nouveau dilemme pour Nat entre son objectif de vengeance et maintenant, un possible sentiment de devoir familial.
Les traumatismes passés comme conflit actuel
Dans Wind River (2017) de Taylor Sheridan, nous sommes dans un récit où la tragédie personnelle se mêle à une enquête criminelle, à la fois de mystère et de rédemption. Le héros, Cory, un pisteur aguerri, découvre le corps inerte d’une jeune femme amérindienne qui gît dans l’immensité glacée d’une réserve du Wyoming.
Ce funeste événement conduit à une collaboration improbable entre Cory et Jane Banner, une néophyte du FBI, tous deux embarqués dans une recherche de la vérité qui s’avérera aussi périlleuse qu’introspective.
Cependant, ce qui aurait pu n’être qu’une enquête classique et peut-être un peu ennuyeuse se mue en une catharsis pour Cory. En effet, chaque pas dans cette investigation ravive les échos douloureux d’un passé qu’il s’efforce d’exorciser : la perte déchirante de sa propre fille, survenue dans des circonstances similaires. Cette mémoire tragique insuffle à sa quête de justice une dimension quasi obsessionnelle et transforme sa démarche en un parcours sinueux entre devoir professionnel et rédemption personnelle.
Dans un registre parallèle, Pig (2021) de Michael Sarnoski nous offre une variation sur le thème de la lutte intérieure. Rob, figure jadis célébrée de la gastronomie, a troqué les lustres de la renommée pour l’obscurité volontaire d’une existence érémitique, sa seule compagnie étant celle d’un cochon truffier dans les profondeurs verdoyantes de l’Oregon.
La disparition soudaine de ce compagnon porcin est l’occasion d’un retour forcé vers une urbanité qu’il avait consciencieusement fuie, déclenchant ainsi une odyssée aussi physique que psychologique.
Ce périple urbain se révèle être un parcours semé d’embûches psychologiques pour Rob. Chaque rue, chaque visage familier, devient le miroir d’un passé qu’il avait tenté d’oblitérer, hanté par le spectre omniprésent de son épouse disparue. Son objectif apparemment simple qui consiste seulement à retrouver son animal se projette en une lutte acharnée contre ses démons intérieurs : l’anxiété, la peur de renouer avec son ancienne vie, et le sentiment vertigineux d’inadéquation dans un monde qu’il avait délibérément déserté.
Sarnoski écrit une allégorie de la réconciliation avec soi-même. Ce récit est une métaphore de l’acceptation de ses propres vulnérabilités et de la confrontation nécessaire avec les fantômes du passé. Sans cette trame personnelle, le personnage de Rob serait dépouillé de sa substance, réduit à une coquille vide errant dans un labyrinthe urbain dénué de sens.
Ainsi, ces deux œuvres, bien que distinctes dans leur exécution, convergent vers une vérité universelle : le cheminement vers un objectif extérieur n’est souvent que le reflet d’une quête intérieure plus profonde, où les obstacles les plus redoutables ne sont pas ceux qui se dressent devant nous, mais ceux qui résident en nous.
Le secret
Prenons comme étude de cas Marta Cabrera dans A Couteaux Tirés de Rian Johnson. Son arc dramatique est exceptionnel dans un genre comme celui du mystère. Marta porte le lourd fardeau d’un secret lié à la mort de Harlan. Bien qu’innocente, elle croit avoir accidentellement causé sa mort en lui administrant une dose incorrecte de morphine. Ce secret génère en elle une véritable tempête d’émotions. Marta est en effet rongée par la culpabilité. Se croire responsable de la mort d’un être qu’elle chérissait est une torture qu’elle s’afflige elle-même. La culpabilité ne peut se résoudre parfois que par autoflagellation.
Et bien-sûr, ce verdict teinte chacune de ses interactions avec les Thrombey.
Alors que l’enquête progresse, l’angoisse de Marta s’intensifie puisque chaque nouveau développement menace de révéler son secret. Et nous en sommes témoins par ses comportements nerveux et, disons-le, psychosomatiques puisqu’elle ne peut mentir sans vomir.
Et Marta éprouve un dilemme. Elle est déchirée entre son désir de vérité et simultanément à cette autoflagellation qui s’oppose à son instinct de préservation. Nous ressentons littéralement la tourmente intérieure de la pauvre Marta.
Mais ce secret ne sert pas seulement à justifier l’existence de Marta dans l’intrigue. Il en est aussi l’un des moteurs. Les efforts de Marta pour dissimuler ce qu’elle croit être son crime compliquent l’enquête. Et alors que le secret de Marta se dévoile partie par partie, c’est l’occasion pour l’intrigue de créer des rebondissements. Et qui en profite le plus ? Le suspense.
Par Marta, Rian Johnson détourne notre attention en autant de fausses pistes. Celles-ci sont absolument nécessaires dans l’écriture de mystères. Et comme nous devons montrer les choses et ne pas se contenter de les faire dire, les regards fuyants, les mains tremblantes et la posture assez recroquevillée de Marta trahissent son malaise.
Johnson nous offre aussi une belle leçon de morale car lorsque Marta décide d’avouer son secret, ce qu’elle croit être sa culpabilité nous mène à la résolution du mystère. La morale ? Un secret peut être à la fois un obstacle pour avancer dans sa vie mais surtout il est le chemin vers la rédemption quand on ose le considérer frontalement.
Il n’y aura pas de solutions faciles
Assurance sur la mort (1944) de Billy Wilder est une belle démonstration des choix qui ne distinguent pas le bien du mal mais au contraire, comme dans la vraie vie, sont plutôt une question de choisir juste. La morale, par exemple, se situe dans des zones grises. On s’en sert comme dichotomie entre le bien et le mal mais la réalité de la condition humaine n’est qu’un compromis entre nos valeurs et nos désirs.
Il existe des êtres foncièrement mauvais mais heureusement pour l’humanité, ils ne sont pas légion. Ce qu’il se passe, c’est que parfois nous succombons à la tentation. Et c’est précisément ce qu’il arrive à Walter. Entre la monotonie d’une vie respectable mais insatisfaisante et l’excitation et le danger d’une liaison passionnée, le cœur de Walter oscille.
Phyllis n’est pas non plus purement maléfique. Elle cherche à échapper à un mariage malheureux et à une pression sociale qui offre peu d’options aux femmes pour leur indépendance financière. Même Barton qui se présente comme une bouée de sauvetage pour Walter se trouve tiraillé entre son intégrité morale qui veut faire éclater la vérité ce qui entraînerait la chute de Walter et son désir de protéger son ami.
Tenez compte du contexte personnel et social de vos personnages lorsqu’ils prennent des décisions. Faites en sorte que les choix qu’ils font contrecarrent leur intention. Ne nous demandez pas de juger un personnage mais plutôt de le comprendre, de comprendre ses motivations. Un jugement ne sera jamais un moyen de l’empathie, nous nous devons mieux que cela. Nous devons nous avouer que la moralité est essentiellement subjective et que ce qui paraît juste à un personnage aura des conséquences désastreuses pour un autre.
Un autre dilemme auquel nous-mêmes sommes confrontés dans notre quotidien est la loyauté contre la trahison. Walter peut-il rester fidèle à Phyllis lorsqu’il réalise ses véritables intentions ?
C’est un dilemme récurrent du genre mystère. Pourquoi ?
Comme dans tous les genres, les relations entre les personnages sont la substance de l’intrigue. Hitchcock utilise ce qu’il appelle un McGuffin pour donner un prétexte à l’intrigue tel que retrouver une statuette mais ce n’est qu’un prétexte. La véritable étude porte sur les relations où la confiance entre les personnages est non seulement nécessaire mais s’avère aussi dangereuse.
Comme dans la vraie vie, vous dis-je. Sait on jamais ce qu’il se passe dans la tête de l’autre ? Des motivations secrètes sont souvent source pour mettre en cause la loyauté envers l’autre. Il s’ensuit une incertitude car nous ne sommes jamais sûrs de la loyauté d’un personnage et lorsqu’un personnage trahit ou bien qu’il montre une loyauté inattendue, cela crée un rebondissement.
Encore une fois, il n’y a pas de décisions foncièrement justes. Évitez le manichéisme, votre intrigue s’en portera d’autant mieux, du moins, concernant la psychologie de vos personnages.