PROTAGONISTE SYMPATHIQUE vs ANTIPATHIQUE

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Dans la lignée de notre précédent article :
UN PROTAGONISTE ANTIPATHIQUE, continuons l’étude de la sympathie ou de l’antipathie dont on doit charger un protagoniste.

Avec un protagoniste sympathique, le lecteur se sent invité dans l’histoire, comme s’il lui était offert l’opportunité de vivre une vie par personnage interposé. Cela est possible parce que la sympathie qu’éprouve le lecteur pour le héros a été savamment mise en place par l’auteur.

Lorsque le lecteur éprouve une aversion envers un protagoniste (que cela soit voulu ou non par l’auteur), le lecteur se sent davantage comme un observateur de ce qu’il se passe dans l’histoire.
Il ne participe pas aux scènes ou aux moments de l’histoire. L’identification (par empathie) avec le personnage ne se fait pas.

Une opprobre envers le héros

Cependant, un protagoniste, dont l’auteur cherche à susciter une empathie chez le lecteur pour que celui-ci s’identifie à ce personnage principal, doit être en mesure, lorsque la situation s’y prête, d’agir misérablement et ainsi, attirer l’opprobre sur lui.
Mais cette opprobre même peut se transformer en sympathie ou en pitié (ou compassion) parce que le personnage illustre par son geste (disons immoral) un aspect de notre humanité.

Souvent, le lecteur est pris par surprise. Il ne peut croire que le protagoniste qu’il trouve si sympathique a pu dire çà ou bien tromper sa femme, par exemple. C’est ce qui rend aussi un protagoniste attachant parce qu’il est imprévisible : s’il se comportait toujours bien, il ne serait pas crédible.
Quoi qu’il en soit, lorsque le lecteur assiste à une action immorale ou qu’il considère comme telle, il devient soudainement observateur et l’auteur doit se débrouiller pour que l’empathie revienne.

Parce que les êtres de fiction sont aussi des êtres humains par de nombreux points. Ils leur arrivent de gâcher pas mal de choses dans leur monde imaginaire.
Qu’ils ne peuvent pardonner une injustice ou qu’ils cherchent vengeance alors qu’ils devraient essayer d’accorder leur pardon, toutes ces fautes sont généralement rachetables. Le lecteur peut comprendre.

L’auteur alors démontre que leurs bonnes actions prédominent sur les actions cruelles ou irréfléchies. D’ailleurs, l’arc dramatique d’un protagoniste (habituellement) est de surmonter ses faiblesses. Par contre, si vous avez opté pour un protagoniste dont le poids des péchés est si lourd que celui-ci ne pourra pas être sauvé, ses fautes ne seront pas rachetables (même par la mort du héros) et le lecteur ne pourra s’y référer ou les accepter.

Dans ce cas, l’arc dramatique est souvent statique et n’est pas destiné à faire de votre personnage principal un être meilleur (souvenez-vous que la finalité d’un arc dramatique est d’atteindre à une sorte de félicité, à un équilibre de vie bien plus supportable, en d’autres termes, que votre héros soit un être meilleur à la fin de l’histoire).

A titre d’exemple, considérez Lolita de Stephen Schiff et Adryan Lyne, d’après le roman de Vladimir Nabokov.
Comment un lecteur pourrait-il s’accorder avec l’obsession de Humbert Humbert pour Lolita (et les jeunes filles en général) ? Comment peut-il accepter qu’un homme d’âge mûr tombe amoureux d’une nymphette de 12 ans ?

Le passé comme moyen narratif

Bien sûr, à l’origine, il y a ce traumatisme de la disparition tragique de l’amour de jeunesse de Humbert, morte à treize ans et qui hante toujours le protagoniste.
A lire sur le sujet des blessures du passé :
PERSONNAGE & BLESSURE PSYCHOLOGIQUE

La plupart des lecteurs considéreront que cette relation sexuelle est répugnante. Humbert est aussi cruel (en particulier dans sa relation avec Charlotte Haze, la mère de Dolores/Lolita) et il a fait plusieurs séjours dans une institution psychiatrique et l’on doit bien reconnaître qu’il ne fait pas montre de beaucoup de pitié.

Et bien qu’il soit intelligent et brillant, il n’en est pas moins un déviant sexuel et c’est cela que l’on retiendra de lui. Sa mort d’un arrêt cardiaque en prison juste avant son procès marque bien qu’il n’y a pas de rédemption possible pour lui et que ses fautes (même justifiées par ce drame dans son enfance) ne peuvent être pardonnées.

La complexité de cette relation est d’ailleurs remarquable. Lolita qui est l’antagoniste de cette histoire n’est pas nécessairement sympathique, non plus.
Elle n’est pas utilisée en contraste de Humbert. Cela prouve qu’il peut être très difficile de juger les gens en termes simples, ou tout blanc ou tout noir. Souvenez-vous que les êtres fictifs sont comme dans la vie réelle des nuances de gris.

Le lecteur ne peut donc être sûr que Humbert est véritablement diabolique et que Lolita incarne l’innocence parce que la vérité est beaucoup plus complexe et c’est cette complexité même qui rend l’histoire si intéressante.
Et c’est pourquoi aussi que la relation entre Humbert et Lolita est faite de contradictions, d’obsessions et de comportements immoraux.

Faire commettre des actes immoraux à un personnage est nécessaire mais présente tout de même un risque sur lequel vous devriez vous poser quelques questions :
Est-ce que votre antagoniste doit présenter des aspects sympathiques ? Cela implique que l’empathie du lecteur devra basculer vers l’antagoniste. Généralement, c’est lorsque vous exposez la blessure qui est à l’origine de la définition de votre antagoniste que vous pouvez utiliser cette technique narrative.

Est-ce que votre protagoniste et votre personnage principal sont le même personnage ? En effet, la fonction du protagoniste est de faire avancer l’intrigue, celle du personnage principal consiste à créer l’identification avec le lecteur.
Lorsque les deux définitions sont confondues, on a ce que l’on peut nommer un héros mais rien n’interdit que le protagoniste et le personnage principal soient distincts.

Est-ce que les motivations du protagoniste sont compréhensibles ? C’est-à-dire est-ce que le lecteur peut comprendre pourquoi il agit ainsi ?
Ne faites pas faire à votre protagoniste des choses ou lui faire prendre des décisions si vous n’avez pas assez de matériel pour les expliquer et les justifier. Le message que vous tentez de faire passer (ou l’effet que vous tentez de faire ressentir) avec votre récit se concrétise souvent dans les motivations de votre héros. Faites en sorte de bien travailler la biographie de vos personnages pour pouvoir renseigner tous les morceaux du puzzle.

Est-ce que votre message a un rapport à la moralité ou à l’humanité ?
Ces domaines sont en effet très prégnants sur les lecteurs qui ont alors tendance à emporter avec eux la teneur de votre message (même confusément) et peut-être voir les choses autrement.

Le meilleur et le pire

L’idée en fin de compte est que les personnages soient à la fois capable du meilleur comme du pire. Un héros peut être lâche par moments, revêche lorsque la situation lui échappe ou parce que c’est dans son caractère et qu’à certains moments, cet aspect de sa personnalité se fait plus sentir.

Il peut se comporter étrangement comme s’il avait bu quelques verres de trop. Il peut être subversif ou pervers. La seule contrainte de l’auteur dans ce cas est que le personnage doit malgré tout être attirant et si ses fautes doivent être pardonnées, alors il doit posséder au moins un trait de caractère positif sur lequel s’appuyer pour lui permettre cette rédemption.

La solution pour éviter le blocage est probablement de travailler au préalable sur la biographie de vos personnages afin de mieux les comprendre, de se faire une idée du pourquoi du comment ils agissent.
Cela donne au moins un point d’attaque tout en leur laissant suffisamment de marge pour leur développement au cours de l’histoire.

Peut-être que de commencer par façonner quelques personnages intéressants puis de vous lancer dans la première version de votre scénario serait une bonne technique narrative. A la fin de celui-ci (normalement assez grossier), vous devriez savoir qui est le protagoniste, qui est l’antagoniste, de quoi sont faites leurs personnalités respectives, ce que chacun (au moins ces deux-là) veulent dans votre histoire et pourquoi puis pour finir, qui l’emportera et qui échouera.

Vous saurez aussi si les fautes commises sont rachetables ou non et vous aurez déterminé le personnage envers qui l’empathie du lecteur doit porter et celui ou ceux qui le mettront mal à l’aise ou qui peuvent même l’effrayer.

Il vous faut parvenir à une véritable intimité avec vos personnages. Cela ne sera cependant possible que si vous les connaissez suffisamment bien, c’est-à-dire leurs traits de caractère qui composent leur personnalité et la prégnance de chacun de ces traits sur la personnalité du personnage, les contradictions qui les animent, leur code moral et les éléments de leur passé qui les ont façonnés et dont l’influence est encore présente dans l’histoire.

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