UNE NOTE SUR L’INCIDENT DECLENCHEUR

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Imaginez que vous ayez un scénario avec une prémisse intéressante, des personnages uniques et multi-dimensionnels dans leur caractérisation, des dialogues au top et un rythme soutenu.
Pourtant arrivé à la page 17, le scénario tombe en morceaux et vous ne savez pas pourquoi.


Les personnages commencèrent à dire et à faire des choses qui ne semblaient pas logiques avec qui ils sont et l’intrigue paraissait de plus en plus forcée, de moins en moins naturelle.
Que se passe-t-il donc à la page 17 pour qu’à partir de cette page fatidique, le scénario devienne si amateur !?

Il s’avère qu’à la page 17, le scénario décrit l’incident déclencheur.

Et à partir de là, plus rien ne semblait vivant, véridique.
La réponse est que cet incident déclencheur ne s’est pas imposé naturellement à la page 17, mais vous avez respecté scrupuleusement la structure en trois actes puis lu pas mal de choses sur la structure des histoires en général et vous en êtes arrivé à la conclusion que de placer l’incident déclencheur à la page 17 de votre scénario serait une solution recommandée et quelque peu garante du succès de votre histoire.

Seulement voilà, votre histoire ne s’est pas accommodée de la structure rigide que vous vouliez lui imposée et l’énergie que vous lui insuffliez jusqu’à cet incident déclencheur à la page 17 a commencé à la déliter au lieu de la développer.

Petit rappel sur la classique structure en trois actes :

On commence par introduire les personnages, le monde et on installe le ton du récit. Ensuite, un incident déclencheur (aussi nommé Catalyst ou bien Call to Action selon les théories) auquel le protagoniste doit répondre survient dans le cours de la vie de votre personnage.

La fonction de l’incident déclencheur qui est un événement consiste à bouleverser le train-train quotidien du héros (le statut quo de sa vie au début de l’histoire).
Il introduit ou initie la crise à laquelle le protagoniste fera face tout le reste du récit c’est-à-dire précisément parlant  de l’intrigue qui se déroule dans l’acte Deux, l’acte Trois consistant en la résolution de cette crise.

Par exemple, dans Le Magicien d’Oz, l’incident déclencheur est la tornade qui envoie Dorothée dans le monde de Oz et qui lance l’intrigue en fixant pour Dorothée un objectif (Outer Motivation) qui est de trouver un moyen de rentrer chez elle.

Pour en revenir à la page 17 sus-mentionnée, le problème n’était pas l’incident déclencheur lui-même.
Qu’il soit évident comme la tornade qui emporte Dorothée ou beaucoup plus subtil comme dans Le Lauréat de Mike Nichols) mais plutôt qu’il a été forcé sur la page 17 alors que naturellement, il se serait placé ailleurs.

Le Parrain

Il semblerait que l’incident déclencheur se produise au moment où l’on tire sur le père de Michael Corleone. Michael est certainement bouleversé de cette tentative de meurtre contre son père mais pour le moment, cela ne change pas son désir de mener une vie dans la légalité, ce qui est encore son objectif à ce moment du récit.

Il se rend au chevet de son père, ce qui est naturel, mais cela ne crée pas de Call to Action ou de Call to Adventure.
Rien n’incite Michael Corleone à agir avec pour conséquences un changement de plan radical dans sa destinée c’est-à-dire rien qui lancera l’intrigue qui consiste pour Michael Corleone à prendre la succession de son père et à devenir le Parrain.

C’est seulement après que Michael ait contrecarré la seconde tentative de meurtre qu’il réalise que Sollozzo (le chef de la bande rivale qui a commandité les tueurs) n’arrêtera pas tant que le Parrain n’est pas mort.
Dans la scène suivante, Michael décide que le moyen de garder son père en vie est de tuer Sollozzo et le flic ripoux qui lui est inféodé.

Ce qui a motivé cette décision est l’incident déclencheur. C’est le Call to Action auquel Michael Corleone doit répondre car l’enjeu (la vie de son père) est d’importance.
Les conséquences liées à cette décision anéantiront les espoirs de Michael de vivre hors de la mafia et l’engageront définitivement sur la voie qui le mènera à devenir le Parrain.

Cette décision, cet incident déclencheur se produit à la page 62 du scénario. La densité de l’univers décrit, l’exposition correcte des nombreux personnages ont imposés naturellement la survenue de l’incident déclencheur à la page 62.
S’il était intervenu plus tôt dans le cours de l’histoire, l’intrigue aurait été lancée trop tôt et de nombreux éléments auraient été déséquilibrés.

Ce qui a motivé la décision de Michael Corleone de supprimer le responsable des tentatives de meurtre contre son père est l'incident déclencheur.
Ce qui a motivé la décision de Michael Corleone de supprimer le responsable des tentatives de meurtre contre son père est l’incident déclencheur.
Quand Harry rencontre Sally

Lors de leur toute première rencontre, Harry et Sally voyagent ensemble de Chicago à New York. De la discussion au cours de leur voyage, il s’ensuit un fort antagonisme entre eux deux et ils se séparent pour suivre des chemins différents.

Cinq ans plus tard, ils se rencontrent fortuitement à l’aéroport. Une nouvelle discussion assez conflictuelle s’installe après quelques échanges mutuels sur leur vie respective. De nouveau, ils se séparent et continuent leur vie.

Jusqu’à présent, pas de bouleversement du quotidien de l’un ou de l’autre, pas de Call to Action pour aucun des personnages, pas de crise majeure à résoudre.
Cinq années ont passées et Harry et Sally se rencontrent de nouveau dans une librairie. Nous sommes à la page 34 du scénario.

Sally a rompu avec son petit ami et la femme de Harry l’a quitté. Un changement important a eu lieu dans les vies de nos deux personnages mais ils ne semblent pas vraiment désespérés de leurs nouvelles situations qui n’ont manifestement pas interférées grandement sur leurs quotidiens.
Bien sûr, ce nouvel état des lieux laisse grande ouverte la voie qui pourrait les mener vers une relation plus intime mais de nouveau, aucun Call to Action ne vient titiller ni l’un ni l’autre. Leur solitude respective pourrait cependant les rapprocher mais il ne semble pas qu’ils aient ni l’un ni l’autre évolués suffisamment pour voir en l’autre un possible amour. C’est encore trop tôt.

Cependant, il se crée une relation d’amitié entre eux (le sujet de leur conflit depuis leur première rencontre), ce qui laisse supposer qu’ils ont vaincu cet antagonisme qui empêchait leur amour de naître.
Mais celui-ci reste à naître. L’intrigue n’est donc pas encore lancée.

L’incident déclencheur nécessite un bouleversement du quotidien. Et c’est chez Sally que cela se produit lorsqu’elle apprend que son ex-petit ami se marie. Elle remet en question sa vie bien ordonnée, contrôlée. Dans un état de désespérance profonde, elle appelle Harry à son secours qui se précipite.
Ils finissent par faire l’amour. Et l’intrigue est lancée.

A partir de maintenant, leur relation influe directement sur le cours de leur vie. Cette nouvelle relation les a transformés. Ils ne voient plus les choses de la même façon.
La scène où ils font l’amour est à la page 92  et il s’agit très certainement de l’incident déclencheur.

Il n'est pas nécessaire que l'incident déclencheur soit quelque part dans le premier acte pour que l'histoire fonctionne.
Il n’est pas nécessaire que l’incident déclencheur soit quelque part dans le premier acte pour que l’histoire fonctionne
En conclusion

Il y a même des exemples où l’incident déclencheur intervient avant l’apparition du personnage principal. Dans les thrillers ou les films policiers, un meurtre, par exemple, peut avoir lieu et le héros, généralement  officier de police de son état, est alors obligé d’y répondre après coup.

Dans Juno, le bouleversement de la vie de Juno commence lorsqu’elle tombe enceinte ce qui a lieu dans le passé de l’histoire, dans le passé de Juno et dans le passé de l’histoire.
Lorsqu’elle confirme qu’elle est enceinte à la page 3 du scénario, ce n’est qu’une information qui nous est donnée. Mais ce n’est pas l’incident déclencheur.

Pour conclure, nous dirions qu’il est pratique pour un auteur de suivre des règles pour retrouver son chemin mais ces règles, ces formules comme disent certains ne doivent pas tordre une histoire pour que celle-ci s’adapte aux règles.
Ce ne serait plus de la créativité.


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