UNE MENACE

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Au cƓur d’un rĂ©cit se love une menace. Comment s’Ă©labore un rĂ©cit ? D’abord un Ă©vĂ©nement se produit qui change la destinĂ©e d’une entitĂ©, c’est-Ă -dire un personnage ou une communautĂ© ou encore une institution sociale.
Au chapitre VII de La PoĂ©tique, Aristote se penche sur l’Ă©tendue de l’action. Il y explique comment l’action se situe dans l’espace narratif :
IX. Du reste, pour donner une dĂ©termination absolue, je dirai que, si c’est dans une Ă©tendue conforme Ă  la vraisemblance ou Ă  la nĂ©cessitĂ© que l’action se poursuit et qu’il arrive successivement des Ă©vĂ©nements malheureux, puis heureux, ou heureux puis malheureux, il y a juste dĂ©limitation de l’Ă©tendue.

L’entitĂ© passe d’un Ă©tat Ă  une condition ou Ă©tat inverse

Dans L’exorciste, par exemple, une petite fille est possĂ©dĂ©e par le diable et ainsi un Ă©tat de malheur existe. Puis, l’action principale qui consiste Ă  chasser le diable, apporte un Ă©tat de bonne fortune. Dans les rĂ©cits tragiques, c’est l’inverse. Dans Othello, un Ă©tat de bonne fortune existe dĂ©jĂ  au commencement du rĂ©cit (cet Ă©tat de bonne fortune existe antĂ©rieurement au rĂ©cit). L’action principale, perpĂ©trĂ©e par Iago, dĂ©truit le Maure par jalousie et le malheur en est le rĂ©sultat.

Un rĂ©cit existe parce qu’il y a un problĂšme et que ce problĂšme doit ĂȘtre rĂ©solu. C’est quelque chose de naturel que de vouloir que cesse une situation imparfaite. Toute l’action se concentre Ă  inverser le processus. Cette action constitue l’objectif, c’est-Ă -dire la raison que se donne une entitĂ© pour agir.
Dans cet Ă©lan, elle entraĂźne avec elle les autres entitĂ©s car tout un chacun dans le rĂ©cit est plus ou moins impliquĂ© dans le problĂšme. C’est-Ă -dire que les dĂ©cisions, les rĂ©actions de chacun auront une influence sur l’issue de l’Ă©vĂ©nement (on rencontre aussi le terme d’Ă©pisode) Ă  l’origine du problĂšme.

Mais le problĂšme en lui-mĂȘme ne fait pas un rĂ©cit. Ce qui est contĂ©, ce sont les conditions dans lesquelles est nĂ© ce problĂšme, comment il a seulement pu ĂȘtre possible et comment maintenant il peut ĂȘtre rĂ©solu. Dans un rĂ©cit, tout est une question de possibles (ce que Aristote comprend comme vraisemblance ou nĂ©cessitĂ©). Par exemple, dans un thriller, le problĂšme qui occasionne le changement de fortune est qu’un serial killer est en libertĂ© et qu’il tue. Cela doit cesser.
Et cette volontĂ© donne une unitĂ© aux actions. La majoritĂ© des rĂ©cits se fonde sur un problĂšme. Ce problĂšme est animĂ© d’une force, c’est-Ă -dire d’une Ă©nergie et d’une intensitĂ©, contre laquelle il faut lutter. Cela peut donner Ă  un rĂ©cit une dimension politique lorsqu’un tyran s’empare du pouvoir ; une profondeur psychologique lorsqu’un esprit hante un enfant ; ou encore lorsque des extraterrestres envahissent la terre..

Les rĂ©cits s’intĂ©ressent particuliĂšrement aux actions de rĂ©solution de problĂšmes impliquant une crise, c’est-Ă -dire des Ă©vĂ©nements critiques qui menacent la vie, l’intĂ©gritĂ© physique ou morale, nos possessions chĂšrement conquises, la libertĂ©, l’amour & le bonheur parfois si difficiles Ă  exprimer.. tout en mettant Ă  l’Ă©preuve les limites de l’endurance et de l’ingĂ©niositĂ© humaines.

Une disharmonie

Les rĂ©cits parlent de choses dĂ©sagrĂ©ables parce qu’elles sont surprenantes. Nous ne voyons aucun intĂ©rĂȘt au quotidien d’un individu en apparence heureux, tout au plus nous en amusons nous.
En revanche, observer des ĂȘtres en difficultĂ© traduit une aspiration : et c’est lĂ  l’une des fonctions du rĂ©cit ; nous guider vers des Ă©tats d’ĂȘtre plus Ă©levĂ©s, plus dĂ©sirables, moins problĂ©matiques.

L’une des façons dont un rĂ©cit traite cette question est de rĂ©vĂ©ler la vĂ©ritĂ© et la nature des problĂšmes et de leurs solutions. L’autrice et l’auteur proposent une vĂ©ritĂ© afin qu’un lecteur et une lectrice puissent la comparer avec leurs propres vĂ©ritĂ©s.
Dans la vĂ©ritĂ© de l’autrice ou de l’auteur, il existe une menace. On sent bien que celle-ci est nĂ©gative. Qu’elle s’incarne dans l’acte d’un serial killer par exemple et nous comprenons que cette menace porte en elle une rupture. Cette rupture prend ici la forme d’un tueur en sĂ©rie mais n’importe quel agent peut changer une situation agrĂ©able en quelque chose de dĂ©sagrĂ©able. Prenons une rencontre par exemple. On flĂąne dans la rue et nous rencontrons un ami : notre humeur s’en trouve flattĂ©e. Peu de temps aprĂšs, une autre rencontre mais celle-ci est avec un individu qui nous a toujours inspirĂ© une rĂ©pulsion. AussitĂŽt, notre humeur s’assombrit.

Dans un mĂȘme moment, tout a basculĂ© car la vie est ainsi faite que nous oscillons incessamment entre deux polaritĂ©s dont l’intensitĂ© est rĂ©gie par la situation. En effet, des choses bĂ©nignes comme plus sĂ©rieuses nous atteignent et excitent une rĂ©action plus ou moins prononcĂ©e.
La menace devient ainsi la cause d’une rĂ©sistance. Car il est aussi dans la nature humaine de vouloir retrouver un Ă©quilibre perdu. Dans L’exorciste, le Diable est la menace. Il prend possession d’une jeune fille et c’est l’action incitative qui crĂ©e le problĂšme et provoque le changement de fortune.

Il est Ă©galement la source de la rĂ©sistance qui crĂ©e les complications, la crise, le climax et la rĂ©solution lorsque le prĂȘtre tente de rĂ©soudre ce problĂšme. Sans un problĂšme et un changement de situation, il n’y a pas de rĂ©cit. Si le rĂ©cit se termine au mĂȘme endroit qu’il a commencĂ©, sans une progression significative vers le haut ou vers le bas, le lecteur/spectateur se demandera quel Ă©tait l’intĂ©rĂȘt d’avoir donnĂ© de son temps Ă  ce rĂ©cit.
Ce sera une expérience trÚs insatisfaisante.

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