LA PRÉMISSE DE VOTRE HISTOIRE SELON LAJOS EGRI

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Lajos Egri (1888-1967) est l’auteur de The Art of Dramatic Writing qui est largement vu comme une œuvre maîtresse de l’écriture des pièces de théâtre. Cependant, ses écrits furent largement adaptés à l’écriture de scénarios entre autres.

La prémisse

Tout a un but ou prémisse. La prémisse est le point de départ, la condition première d’un phénomène. Vous comprenez pourquoi l’on parle de prémisse en matière d’histoire. Elle est le point de départ de cette histoire mais il ne s’agit pas de son commencement, plutôt l’idée de départ.

La prémisse est aussi une proposition ou une affirmation entrant dans une démonstration dont on tire une conclusion.
Les auteurs ont d’autres mots pour dire la même chose. Pour eux, la prémisse est un thème, une thèse, une idée racine ou centrale, un but ou un objectif, un élément moteur ou une force motrice, un sujet, une intention ou un dessein, une intrigue, une émotion.

Lajos Egri propose de ne retenir que le terme prémisse car selon lui, il contient tous les éléments que les autres termes tentent de définir et pour lui le mot prémisse se prête moins au contresens.
Il cite :
Comment pourriez-vous dire quelle route prendre à moins de savoir où vous allez ?
Ainsi la prémisse vous montrera la route. Cette prémisse est donc une obligation. Vous devez avoir une prémisse avant de commencer à écrire.

Lajos Egri dans The Art of Dramatic Writing ne se préoccupe que de théâtre mais les exemples qui citent sont universels.

Roméo et Juliette

La pièce commence par une querelle meurtrière entre deux familles.
Les Montagues ont un fils : Roméo et les Capulets ont une fille : Juliette. L’amour que ces deux enfants se portent est si grand qu’ils en oublient la haine qui existe entre les deux familles.

L'amour pur est une passion qui défie la mort.
L’amour pur est une passion qui défie la mort.

Les parents de Juliette veulent la marier au Comte Paris mais ne voulant pas de ce mariage, Juliette se rend chez son ami le moine pour lui demander son avis.
Il lui dit de prendre un fort somnifère la veille de son mariage qui la fera passer pour morte pendant 42 heures. Juliette suit cet avis et tout le monde la croit morte.

C’est le début d’une tragédie dont la montée en puissance ne cessera pas pour les deux amants.
Roméo, pensant que Juliette est réellement morte, s’empoisonnera et mourra près d’elle. Lorsque que Juliette se réveille et voit Roméo mort, sans hésitation, elle décide de le rejoindre dans la mort.

Cette histoire est de toute évidence un drame romantique. L’amour est au cœur de ce récit et c’est un grand amour, un amour véritable. Il y a plusieurs sortes d’amour mais celui-ci va jusqu’à défier les traditions familiales et la haine et n’hésite pas à sacrifier la vie pour s’unir dans la mort.
Pour Lajos Egri, la prémisse serait alors : Great love defies even death. Un Grand Amour défie même la mort.

Le Roi Lear

La confiance du Roi dans ses deux filles Goneril et Regane est bien mal placée. Elle le dépouille de toute autorité, l’humilie et il meurt fou en homme brisé et humilié.

Le Roi Lear et Cordelia à la prison. Le bannissement de sa fille et sa croyance aveugle dans les flagorneries de ses deux filles les plus âgées mèneront Lear à sa perte.
Le Roi Lear et Cordelia à la prison. Le bannissement de sa fille et sa croyance aveugle dans les flagorneries de ses deux filles les plus âgées mèneront Lear à sa perte.

Lear fait confiance implicitement à ses deux filles les plus âgées car il est emporté par leurs flagorneries ce qui le mènera à sa destruction. Seul un homme vain croit à la flatterie et accorde sa confiance à ceux qui le flattent. Mais les flatteurs ne sont pas digne de confiance et ceux qui croient en leurs paroles courent droit au désastre.

Pour Lajos Egri, la prémisse de cette histoire serait donc:
Blind trust leads to destruction. Une Confiance Aveugle mène à sa perte.

Macbeth
Cruauté et manipulation mèrenont Lady MacBeth à sombrer dans la folie.
Cruauté et manipulation mèrenont Lady MacBeth à sombrer dans la folie.

MacBeth et Lady MacBeth décide de tuer le Roi Duncan pour assouvir leur terrible ambition. Puis, MacBeth pour renforcer encore sa position, et parce qu’il le craint, fait assassiner Banquo qui avait pourtant servi les ambitions démesurées de MacBeth.

Mais les meurtres ne s’arrêtent pas là. MacBeth est pris dans un tourbillon meurtrier pour asseoir sa position, une position qu’il a atteinte par le meurtre inaugural du Roi Duncan et qu’il ne peut maintenir qu’en continuant à assassiner.
Mais les nobles et ses propres sujets, exacerbés de tant de tueries, se soulèvent contre MacBeth qui périra comme il a vécu, par l’épée.
Quant à Lady MacBeth après avoir soutenu son mari à commettre meurtres et trahison, elle cédera peu à peu à la folie.

Quelle pourrait être la prémisse de cette histoire ? Qu’est-ce qui pousse les protagonistes à agir ? Nul doute que c’est l’ambition. Dans ce cas, une ambition dévastatrice, meurtrière. La chute de MacBeth est d’ailleurs présagée par la méthode même qui l’a placé au pouvoir afin de réaliser ses ambitions.
La prémisse pourrait être :
Ruthless ambition leads to its own destruction. Une ambition sans borne mène à sa propre perte.

Une prémisse, une idée

Une prémisse doit être bien formulée. Il y a différentes façons de formuler une prémisse, ce qui importe est que quelque soit la manière que vous énoncerez votre prémisse, l’idée qui la sous-tend doit être la même pour toutes les formulations.
Maintenant, l’envie d’écrire vient souvent d’une idée ou d’une situation qu’on aimerait développer en une histoire. C’est même indispensable pour commencer à écrire.

Mais si vous ne parvenez pas à formuler dès le départ une prémisse, vous risquez de patauger un moment dans votre histoire. Car même la meilleure des idées ne pourra aboutir à sa conclusion logique sans une prémisse nette.
Sans cette prémisse, vous ne savez pas où vous allez.

Votre protagoniste a un but à atteindre. Votre histoire dans sa vue d’ensemble (Complete Story) a aussi un but à atteindre, un message à faire passer. Ce message, ce but s’exprime dans la prémisse.

A propos des émotions (désir, peur, pitié, amour, haine), Lajos Egri ne conteste absolument pas leur nécessité dans une histoire mais il ajoute qu’une émotion ne peut suffire à faire une histoire complète car l’émotion n’a pas de but.
L’amour, la haine, n’importe quelle émotion est simplement ce qu’elle est : une émotion. Elle se suffit à elle-même, elle détruit, elle construit mais en fin de compte, elle ne va nulle part.
Le but d’un auteur est de tracer une route sur laquelle il peut voyager et aboutir à une œuvre dramatique. Cette route est la prémisse.

Et cette prémisse doit être claire afin que tout le monde puisse la comprendre selon la manière que l’auteur a choisi de la faire comprendre. Il ajoute qu’une prémisse mal conçue est aussi grave que pas de prémisse du tout. L’histoire doit apporter en quelque sorte la preuve (par sa conclusion) de la prémisse alors autant qu’il y en est une et qu’elle soit bien formulée.

Travailler l’idée de départ

Supposons que nous voulions écrire à propos d’un homme avare. Devons-nous nous amuser de lui ? Le rendre ridicule ou tragique ? Nous n’en savons rien pour le moment. Tout ce que nous avons, c’est une idée à propos d’un homme avare et que nous souhaitons dépeindre la vie de cet homme.

Creusons cette idée. Est-il sage d’être avare ? Jusqu’à un certain point, ce n’est pas une mauvaise chose. Mais il ne serait pas très intéressant d’écrire à propos d’un homme qui a choisi la modération comme style de vie, qui est prudent et qui économise pour les jours sombres car ce n’est pas un homme qui a poussé l’austérité au-delà des limites raisonnables, il est seulement prévoyant.

Ce que nous recherchons, c’est un homme qui est si austère, si avare, qu’il se refuse à lui-même le strict nécessaire. A la fin de l’histoire, il s’avérera qu’il a perdu plus en suivant cette folle avarice qu’il n’a gagné.
Ainsi, nous avons notre prémisse pour notre histoire :
L’avarice mène au gaspillage.

Une prémisse est toujours composée de trois parties, toutes essentielles à une bonne histoire.
L’avarice mène au gaspillage.

  1. La première proposition (L’avarice) suggère le personnage : un homme avare.
  2. La seconde partie (mène) suggère le conflit. Cette part médiane de la prémisse contient un mouvement qui relie le personnage à la troisième partie (au gaspillage) qui suggère la fin de l’histoire.
  3. Le mouvement qui mène à la fin de l’histoire est animé par une force motrice qui se concrétise dans le conflit.
Le conflit annoncé

A partir de notre prémisse, nous pouvons envisager un personnage avare qui dans son ardeur à économiser de l’argent refuse de payer ses impôts. Cette décision, cet acte, provoque en conséquence directe une contre-réaction du fisc. Un conflit entre notre avare et le fisc s’installe. A la fin de l’histoire, l’avare a perdu son combat contre le fisc et doit le triple de la somme initiale.

Cette histoire correspond à la prémisse : un personnage, un conflit et le concept de la fin de l’histoire (c’est-à-dire la résolution ou conclusion). On peut dire ainsi qu’une prémisse correcte est une sorte de miniature de votre histoire.
Et votre histoire doit apporter la preuve de votre prémisse.

Vous devez faire en sorte de ne jamais vous éloigner de votre prémisse. C’est souvent lors de la réécriture, d’ailleurs, que l’on décide de remanier son histoire, voire de supprimer des scènes ou des séquences pour remettre son histoire sur les rails, c’est-à-dire en phase avec sa prémisse.

Trouver sa prémisse

Comme nous l’avons vu, l’envie ou le besoin d’écrire naît à partir d’une idée d’histoire ou d’une situation que vous avez observée et sur laquelle vous souhaitez écrire.
Cependant, cette idée ou cette situation ne suffisent pas pour garder le cap lorsque vous êtes plongé dans le cœur de votre histoire. Il vous faut une prémisse pour savoir où vous allez. Lajos Egri est conscient qu’une histoire commence toujours par une idée et afin d’expliquer comment formuler une prémisse à partir de cette idée, il donne en exemple la tante Clara.

Vous avez noté que votre tante Clara possédait certaines particularités qui la rendait fort intéressante et vous sentez que vous avez une matière brute à partir de laquelle vous pourriez écrire une histoire.
Mais il est fort probable que vous ne pouvez pas encore déduire ou induire de cette matière une prémisse.

C’est un personnage passionnant et vous commencez à étudier son comportement, à observer le moindre de ses gestes.
Vous vous apercevez alors que votre tante Clara, bien que très pratiquante dans sa religion, est une fouineuse, une commère très versée dans les ragots et qui se mêle des affaires de tout le monde. Et peut-être même que vous connaissez des couples qui se sont séparés du fait des manigances maléfiques de votre tante Clara.

Cette tante Clara est à n’en pas douter un personnage qui promet beaucoup même si vous n’en faites pas le personnage principal de votre histoire mais à ce point de vos recherches, vous n’avez toujours pas de prémisse. Vous ne savez toujours pas pourquoi tante Clara agit comme elle le fait.
Pourquoi prend-elle un plaisir si diabolique à causer des problèmes à des gens innocents ?

La biographie du personnage au secours de la prémisse

Puisque vous avez l’intention d’écrire sur ce personnage qui vous fascine, vous tentez de découvrir autant que possible sur son passé et son présent, sur la toile de fond de ce personnage.

Cette enquête sur le passé et le présent de votre personnage est le premier pas vers la découverte de votre prémisse. Imaginer le parcours d’un personnage jusqu’au moment où commence votre histoire vous donnera les clefs ou les indices qui expliciteront son comportement.

A partir du comportement tel qu’il est donné au début du récit, le personnage suivra un arc dramatique qui lui est personnel et qui aboutira à une conclusion. La direction que prend ce comportement initial est la conséquence de la force motrice qui pousse votre personnage à agir tel qu’il le fait.

Cette force motrice se concrétise dans la prémisse. La prémisse est l’élément moteur de tout ce que nous faisons. On pourrait alors la considérer comme une tendance. Il y a certes des motivations à découvrir chez votre personnage, mais ce sont ses tendances dont vous devez vous imprégner afin de bien assimiler votre prémisse.

Pour mener votre enquête, vous interrogez les membres de votre famille ou bien vous imaginez ce que les autres personnages de votre histoire pensent de votre tante Clara. C’est d’ailleurs toujours un bon exercice d’interviewer vos personnages à propos de ce qu’ils pensent les uns des autres. Cette technique peut vous aider à sculpter vos personnages à partir d’un magma un peu informe lorsque vous les mettez au jour.

Les réponses que l’on vous donne ont de quoi vous surprendre. En effet, vous apprenez que votre tante Clara, aujourd’hui si pieuse, a eu une jeunesse plutôt immorale. En fait, elle était une vraie libertine. Difficile de le croire lorsqu’on la voit aujourd’hui si pieuse, si pratiquante mais c’est pourtant la vérité.

Le fait le plus marquant est que tante Clara n’a pas hésité à s’amouracher d’un homme marié le forçant à abandonner sa femme qui ne le supportant pas s’est donné la mort. Mais l’ombre de la disparue plana si lourdement sur tante Clara et cet homme que celui-ci la quitta à son tour.
Pourtant Clara aimait profondément cet homme. Elle l’aimait sincèrement et vit dans cette désertion, cet abandon, cette perte, le doigt de Dieu. Elle décida alors de passer le reste de sa vie à faire pénitence pour ses péchés et devint la femme pieuse que nous connaissons aujourd’hui (c’est-à-dire lorsque commence notre histoire).

Découvrir son personnage

Mais tante Clara est excessive en tout. Sa religiosité exacerbée l’a conduite à vouloir corriger les errements de tout un chacun. Ceci explique pourquoi elle interfère dans la vie des autres : elle y voit ses propres démons, ses propres erreurs.
Ne voyant que des pensées pécheresses chez les autres, elle exhorte sans cesse à suivre le droit chemin mais cela avec une telle hargne, une telle ardeur, une telle impatience qu’elle en devint une menace pour la communauté.

Jusqu’à présent, la vie de tante Clara prend forme mais la prémisse ne se distingue pas encore. La raison en est qu’il y a encore trop de possibilités de finir l’histoire de la vie de tante Clara, d’aboutir à une conclusion la concernant, c’est-à-dire la troisième partie de cette prémisse.
Pour que l’histoire soit intéressante, il faut que tante Clara puisse changer au cours de son aventure. Si elle ne change pas (du moins si vous en faites votre personnage principal), il n’y aura pas d’histoire. L’auteur doit donc déterminer maintenant quelle sera la conclusion, la fin de l’histoire de tante Clara.

Clara ne peut pas vivre centenaire et mourir paisiblement pour la raison que nous venons de voir. Si elle doit mourir, elle ne le peut pas non plus par accident. Un accident ou le hasard sont des événements extérieurs à l’histoire.

Pour que l’arc dramatique de tante Clara puisse fonctionner, les éléments qui entraînent sa mort (si mort il y a) doivent provenir de l’intérieur de l’histoire. Ce sont les actions de tante Clara au cours de son aventure qui déterminent son sort. Par exemple, un personnage dont elle a brisé la vie pourrait souhaiter sa mort à un point tel qu’il la renvoie à son créateur.

Si la mort de Clara n’est pas recherchée, elle pourrait avoir dépassé toutes limites et s’en prendre directement à l’Eglise et finir excommuniée ce qui serait une terrible punition pour elle.
Elle pourrait aussi trouver la rédemption dans le suicide après avoir été illuminée sur la nature exacte de ses actes.

Quelque soit la fin que vous choisirez et qui doit conduire à un changement de la personnalité de ce personnage, à une transfiguration de son âme qui soutient cette fin, la prémisse se dessine maintenant : L’extrémisme mène à la destruction quelque soit la nature de cet extrémisme.

Au début de l’histoire, tante Clara est une jeune fille aux mœurs légères. A cause de cela, elle est responsable d’un suicide et le seul homme qu’elle ait jamais aimé l’abandonne à son tour.
Elle commence alors lentement à devenir fanatique, à prendre comme témoin de sa détresse la religion dont elle impose les préceptes sur tous ceux qui s’approche d’elle. Ce comportement fanatique a brisé des vies jusqu’à ce qu’à son tour, sa vie lui soit enlevée.

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