SCÉNARIO MODÈLE : QUAND HARRY RENCONTRE SALLY

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Comme nous avons discuté dans cet article LA CONSTRUCTION DU MONDE DE L’HISTOIRE, nous pouvons distinguer trois grandes catégories ou genres. Nous avons abordé l’héroïque avec comme scénario modèle Casablanca puis le tragique en s’inspirant du Parrain, abordons, dans cet article, le genre de la comédie (et plus spécifiquement de la comédie romantique) avec Quand Harry rencontre Sally.

Dans la comédie, les personnages ne sont pas héroïques dans le sens où ils ne parviennent pas à changer le monde. Ils sont similaires en cela à la tragédie où ils sont opposés à la règle qui régit le monde de l’histoire et qu’ils finissent par s’y soumettre.

Contrairement à la tragédie cependant, cette soumission à la règle du monde qu’ils ont commencé par refuser leur apportera néanmoins le bonheur, but ultime qu’il est si difficile d’atteindre dans la vraie vie. Ceci peut expliquer le succès des comédies.

Ce qu’il apparaît surtout, c’est que les forces du monde l’emportent effectivement sur les personnages mais ces forces ne sont pas négatives. Bien au contraire, il s’agit de sagesse, de ne pas être indifférent aux autres. Ce sont les valeurs de la communauté qui sont mises en avant. La jeunesse rebelle ouvre les yeux sur ce que les anciens ont déjà découvert.

Lorsqu’on donne moins d’importance à son ego, on ouvre la porte à quelque chose de plus grand : l’amour.
Notre problème, c’est que nous pensons que pour être heureux, il nous faudra changer le monde. On essaie mais nous pouvons rencontrer une cruelle déception parce que bien souvent, nous n’avons pas l’expérience nécessaire pour comprendre ce qui est bon pour nous. C’est alors le monde qui nous sauve de nous-mêmes.

Afin d’utiliser le scénario de Quand Harry rencontre Sally comme modèle pour écrire notre propre projet, il faut comprendre l’expérience à laquelle est convié le lecteur. C’est-à-dire quelle impression, quel sentiment, quel effet cognitif cette histoire a sur lui. En effet, on ne reste pas indifférent devant une histoire surtout s’il s’agit d’une bonne histoire.

Pour ce faire, il faut considérer le dénouement car c’est à ce moment que l’expérience est totale et que l’impact de l’histoire que l’on vient de lire ou de voir est le plus effectif.

La fin de Quand Harry rencontre Sally

Le scénario se termine lorsque Sally et Harry ont obtenu exactement ce qu’ils voulaient. Tous deux ont passé plus de dix ans en rencontres et autres flirts plus ou moins réussis mais sans jamais trouver ce qu’ils voulaient vraiment, c’est-à-dire quelqu’un qui les aiment pour leurs imperfections et les aident à se libérer de leurs peurs et de leurs angoisses afin de leur permettre de connaître enfin la sérénité à l’image de ces couples qui viennent témoigner de ci de là dans le cours de l’histoire de leurs véritables histoires d’amour.

A la toute dernière séquence, Sally et Harry s’assoient sur ce même canapé et nous racontent leur mariage. Cette conclusion emporte avec elle un sentiment de complétude et c’est précisément cette satisfaction que le lecteur ressent.

Et c’est bien cette satisfaction du lecteur que nous devons rechercher si l’on opte pour un modèle de scénario comme celui de Quand Harry rencontre Sally. Nous pourrions nommer cet effet comme une romantique satisfaction.

Le monde de l’histoire

Le monde de l’histoire est la seconde étape à mettre en pratique lorsqu’on étudie un modèle de scénario ou bien lorsqu’on écrit son propre projet. Connaître le dénouement de son histoire, cela a l’avantage de baliser le chemin pour l’intrigue. On sait où l’on va.

Ensuite, les personnages évolueront dans des situations et des circonstances qui dépendent étroitement du monde où ces événements se produiront. Il semble logique de consacrer du temps à définir ce monde avant d’aller plus loin dans l’élaboration d’autres éléments dramatiques comme le développement des personnages ou des relations qu’ils entretiennent.

Nous avons dit que la comédie était semblable à la tragédie en ce sens que les personnages ne peuvent changer la règle du monde qu’ils commencent par refuser. Comme nous avons interprété le dénouement par une règle du monde, il est logique de remonter jusqu’à la séquence d’ouverture (qui peut être un prologue ou bien la première scène avec l’introduction du personnage principal) comme seconde étape de notre réflexion.

Nous avons vu dans l’étude du Parrain qu’il était normal alors que la dernière séquence soit symétrique à la première séquence pour signifier cette convention de la tragédie.

Pour la comédie, il n’y a aucune raison de ne pas se conformer aussi à cette norme puisque les personnages ne peuvent changer la règle du monde (ce sont en fait les conséquences de cet état de fait qui importent). Comme l’indique le début et le dénouement :

scénario

 

Il est important d’établir le plus rapidement possible la règle du monde dans l’esprit du lecteur. La séquence d’ouverture (que l’on peut comparer ici à un prologue) met en place très clairement ce que sera cette règle.

Que pouvons-nous interpréter de cette déclaration ? Que l’amour semble être un rêve impossible et fou mais qu’il est pourtant bien réel et peut durer à jamais.

Cette affirmation sera la règle du monde et tout au long de l’histoire, nous ne devrons jamais la perdre de vue. Notez aussi l’originalité avec laquelle cette règle fut présentée. Cet aspect de faux-documentaire semble vouloir nous éclairer sur ce que va être l’histoire que l’on s’apprête à lire ou à voir, sur l’histoire d’amour de Sally et de Harry que nous allons découvrir.
Son véritable intérêt, cependant, est d’insister sur l’air d’authenticité que l’auteure Nora Ephron a cherché à donner à son histoire pour contrer peut-être l’opinion présupposée que les belles histoires d’amour ne sont que des contes de fée.

Évidemment, votre affirmation à vous lors de l’écriture de votre propre projet sera différente ou bien vous pourriez vouloir revisiter la règle qui gouverne Quand Harry rencontre Sally. Cela importe peu. Ce qu’il faut comprendre est que vous devez déterminer ce qui fait fonctionner votre monde, ce qui l’organise, ce qui le fonde, ce pour quoi il existe. Notez tout de même qu’un des codes fondamentaux de la comédie romantique est l’amour véritable.

Une convention de la comédie romantique

La comédie romantique de manière tout à fait classique introduit ses personnages alors qu’ils sont de jeunes adultes ou bien des adolescents.  Quand Harry rencontre Sally ne fait pas exception à la règle et dès la première séquence, nous les découvrons alors qu’ils sont encore au collège.

Bien sûr, le scénario ne s’étend pas jusqu’à nous montrer les parents de nos deux personnages.
Néanmoins, nous pourrions nous demander pourquoi cette convention est nécessaire. Gardons en tête qu’il s’agit d’une romance, donc d’amour. Les personnages que nous allons voir évoluer sont eux-mêmes le fruit d’un amour qui les a précédés.

Si le ton avait été une tragédie, au moins l’un des personnages aurait été en conflit avec ses parents. Nous n’aurions pas pu parler d’amour. Nous pouvons interpréter le prologue où ce vieux couple déclare encore sa flamme après 50 ans de mariage comme une métaphore de l’amour véritable que la jeune génération a sous les yeux et pourtant qu’elle ne voit pas.

Dans une comédie romantique, cette idée que l’amour est toujours possible est le moteur de l’intrigue. L’amour, c’est de trouver ce qui nous manque pour faire de nous des êtres entiers. C’est un concept qui remonte à la nuit des temps. L’amour est quelque chose d’authentique et c’est bien pour respecter cette authenticité que l’amour n’est jamais aussi bien écrit que lorsqu’il s’agit de personnes tout à fait ordinaires. Inutile d’inventer des personnages extraordinaires à la recherche de l’âme sœur. Des personnages tels que vous et moi seront bien plus crédibles lorsque nous parlons d’amour.

La raison en est simple : ce qui peut arriver à des personnages tout à fait ordinaires nous convainc d’autant plus que cela peut nous arriver à nous. Un genre aussi populaire que la comédie romantique ne serait pas un tel phénomène de masse si nous avions des difficultés à admettre que ce qu’il se passe dans l’histoire fait partie d’un monde merveilleux avec bien peu de rapports avec notre réalité quotidienne.

Pour répondre à ce souci de vraisemblance que la comédie romantique tend à gâcher, le scénario va alors emprunter des détails à la vraie vie en piochant dans des personnes réelles ou des événements réels extradiégétiques, extérieurs à la narration mais nécessaires pour conférer à l’ensemble quelque chose de toujours nouveau et vraisemblable.

Le processus mis en œuvre est d’ancrer le lecteur dans l’histoire en lui remémorant des expériences qu’il a lui-même plus ou moins vécues et non de le prendre par la main pour l’entraîner dans un monde merveilleux où il devra accepter l’étrangeté des lieux avant de pénétrer dans l’histoire.
Une comédie romantique n’est décidément pas une histoire de princes charmants et de princesses esseulées.

Les personnages

Nous pouvons distinguer trois lignes dramatiques : celle de Harry, celle de Sally et celle de la relation entre Harry et Sally.

Lorsque ces deux personnages sont introduits, ils semblent très différents l’un de l’autre puisque leur relation est déjà très conflictuelle. Pour Harry, entre hommes et femmes, il ne peut pas y avoir d’amitié parce que le sexe vient toujours y mettre… son grain de sel. Sally refuse de croire cela et nous, lecteurs amusés de cette conversation, sommes pris dans le feu nourri que ces deux-là s’échangent.

Constatons de cet échange que bien que nos deux personnages sont en conflit l’un avec l’autre (c’est d’ailleurs ce qui fait le charme de cette séquence), ils refusent tous deux la même règle du monde. L’un comme l’autre ne croit pas en l’amour véritable et ce même sentiment paradoxalement les éloigne alors qu’il devrait les rapprocher.

Lorsqu’ils se séparent, on se demande qui est l’antagoniste. Mais y a t-il vraiment un antagonisme ? Parce que tous deux ont un point commun. L’un comme l’autre pensent qu’ils ont toutes les réponses. Et nous rencontrons une nouvelle convention de la comédie romantique : dès le début du scénario, les personnages pensent toujours qu’ils ont les bonnes réponses au problème qui est soulevé (quel qu’il soit).

En fait, quel que soit le point d’achoppement que vous mettrez en scène dans votre propre scénario, vous présenterez vos personnages comme des êtres qui ne doutent pas. S’il y a hésitation, la situation est bancale. Il est nécessaire que les personnages défendent bec et ongles leurs positions respectives.
Affirmer ses valeurs est une bonne chose, ne nous méprenons pas. Seulement, il faut parfois une vie entière pour posséder les vraies valeurs mais la jeunesse est bien trop souvent impatiente et pour faire court, croyant gagner du temps sur le temps, elle se trouve des réponses souvent toutes faites aux problèmes qu’elle se pose.

Ainsi, il est plus naturel de présenter des personnages jeunes pour commencer. Mais cela ne signifie pas que les aînés ont les vraies réponses aux questions existentielles des jeunes, bien au contraire.

Pour faire simple, la règle qui occupe toute comédie romantique est celle du véritable amour. Une histoire qui s’oriente délibérément vers ce domaine générique doit mettre au moins l’un de ses personnages en conflit avec cette règle.
Il va enfreindre la loi et cette transgression dans Quand Harry rencontre Sally est le fait de nos deux personnages : tous deux pensent que l’amour est une idée bien naïve.

Harry est persuadé que l’amour a tout à voir avec le sexe. Quant à Sally, elle est sûre que le sujet de Casablanca est que les femmes sont bien trop pratiques ou pragmatiques pour tomber amoureuses. Si Ilsa monte dans l’avion, c’est parce qu’elle a volontairement choisi de vivre un mariage sans passion avec Laszlo (en d’autres termes, elle serait carriériste).

Nous pouvons comprendre de la façon dont Quand Harry rencontre Sally introduit ses deux personnages majeurs que, dans une comédie, les personnages se bercent de l’illusion qu’ils en savent plus que la génération qui les a précédés.
Ils ont la présomption de prétendre avoir tiré des leçons de l’expérience de leurs aînés mais ce ne sont que de vaines croyances qui structurent leurs propres perceptions de l’existence pour masquer leurs insécurités.

La différence qu’ajoute le sous-genre romantique à la comédie est qu’il s’agit d’une romance. La comédie classique se contente d’un seul personnage. La comédie romantique présente deux personnages qui semblent dissemblables et sont néanmoins animés d’une même relation étrange avec la génération dont ils sont issues. Comprenez bien qu’il ne s’agit pas d’un conflit de générations mais simplement que la nouvelle génération croit mieux savoir. C’est ce qui est risible ou caricatural mais sans être grotesque.

Je fais un aparté sur le grotesque pour dire que le mot comédie ne peut être employé à toutes les sauces. Par exemple, la comédie romantique est certes un genre littéraire qui s’inscrit dans la veine du comique parce qu’il repousse les limites du possible mais sans intention de dénoncer, de critiquer.

Par contre, si l’on associe à comédie le terme horrifique, on ne peut vouloir signifier que la comédie horrifique est un genre à part entière. Ni les codes de l’horreur, ni ceux de la comédie ne peuvent servir à caractériser un genre. D’autant plus qu’il existe déjà le genre littéraire du grotesque qui est plus parlant.
Le grotesque met en avant ce qui semble ridicule, risible (c’est pour cela que l’on confond le grotesque et la comédie mais ils sont radicalement différents) en mêlant un certain effroi (d’où la tendance à rapprocher le grotesque de l’horreur).

L’intrigue

L’intrigue de base des comédies romantiques est toujours la même. Les deux personnages impliqués dans la romance finissent par admettre qu’ils avaient torts et s’en excusent. Les tribulations au cours de l’intrigue font qu’ils en viennent à réaliser qu’ils n’avaient probablement pas de réponses à toutes les questions.

Mark Twain disait que l’ignorance n’est pas un mal. Ce sont plutôt les certitudes erronées qui mènent l’homme à sa perte.
Ainsi, la comédie exige que les certitudes des personnages soient malmenées par l’irruption du doute. Mais cette table rase d’opinions ne fait pas des êtres brisés et solitaires comme dans la tragédie. Au contraire, cela leur permet d’être récompensés par un bonheur qu’ils pensaient impossibles. Et la romance leur apporte cette complétude à la condition toutefois qu’ils mettent un peu d’eau dans leur vin.

Dans une romance moderne, il faut établir que les deux personnages impliqués sont émotionnellement complémentaires en ce sens que s’ils finissent par former un couple, chacun d’entre eux trouve dans l’autre un aspect qui lui manquait.

Pour qu’il y ait intrigue, il faut qu’il y ait conflit sinon on a rien à raconter. Qu’est-ce qui pourrait ainsi tenir à distance les deux tourtereaux alors que nous savons, en tant que lecteurs, qu’ils devraient former un joli couple ?
Dans les comédies modernes, on en revient toujours à ce qu’il y a de plus fascinant chez les personnages, c’est-à-dire leurs peurs.

La peur est à la fois un gardien qui nous préserve des menaces du monde mais elle n’est pas un guide spirituel enthousiaste à l’idée de nous faire suivre une ligne de conduite vers la félicité. Comment fonctionne alors l’intrigue d’une comédie romantique ? Progressivement, elle va dissoudre les peurs égoïstes qui séparaient les personnages et inciter ceux-ci à prendre le risque de se saisir de l’amour à bras le corps.

En exposant ainsi les peurs qui résident au creux des personnages, nous incitons le lecteur à suspendre temporairement (du moins le temps de l’histoire) son incrédulité parce que cette mise à nu des personnages jette le lecteur lui-même sur un territoire émotionnel familier au sein duquel il reconnaîtra ses propres angoisses et interrogations.

Ainsi nous pouvons créer de l’empathie voire de la sympathie envers les personnages par la réminiscence d’émotions et d’expériences partagées (bien qu’elles soient simulées du côté de la fiction).
Si nous échouons à créer cette empathie, le lecteur considérera probablement les personnages d’une comédie romantique comme des êtres essentiellement immatures et le scénario ne fonctionnera pas.

Détaillons alors le scénario de Quand Harry rencontre Sally

L’histoire commence véritablement lors du voyage vers New York au cours des 18 heures pendant lesquelles Sally et Harry étaleront les angoisses respectives qui caractérisent leur jeunesse.

Puis l’intrigue continue d’intensifier leurs angoisses et leurs craintes, ce qui les rend vulnérables jusqu’à ce qu’ils prennent conscience que leur véritable inquiétude leur est commune : s’ils se mettent ensemble et que cela échoue, ils n’auront alors personne, vraiment personne et ils seront totalement et pour toujours seuls.

A partir de cette prise de conscience (que l’on peut considérer comme une crise), Harry et Sally admettent qu’ils se sont trompés, qu’ils sont loin d’avoir les réponses à toutes les questions comme ils le croyaient.

Ce retournement de situation est tout à fait dans la structure habituelle de la comédie romantique. Vous pouvez l’utiliser dans votre propre projet. Classiquement, au point médian de l’histoire, le personnage principal connaît une crise. Cela n’est pas réservé au seul genre de la comédie romantique. Pour cette dernière cependant, résoudre la crise revient à ce que le personnage (ou les personnages dans le cas de la romance) assume ses erreurs.

Concernant le scénario de Quand Harry rencontre Sally, cette révélation ou reconnaissance se produit dans les dernières minutes et participe ainsi au dénouement c’est-à-dire à l’effet que cela aura sur le lecteur/spectateur, l’impression qu’il emmènera avec lui après le mot fin, l’expérience qu’il aura vécu au cours de cette lecture.

Dans cette scène, Harry et Sally sont jetés dans la position terrifiante d’abandonner tout ce qu’ils croyaient savoir. Mais lorsqu’ils rejettent leurs peurs, qu’ils se livrent eux-mêmes en se confessant, cela leur permet mutuellement de s’accomplir, de trouver en l’autre ce qu’ils leur manquaient en soi.

Écrire une comédie romantique qui fonctionne en faisant preuve d’originalité et sans quitter le chemin balisé par d’autres auteurs consiste à inventer des personnages qui s’accrocheront à leurs peurs pour se protéger ou se défendre des dangers d’un monde qu’ils essaient de comprendre.

Page après page, nous assisterons à leurs vaines tentatives en refusant de s’ouvrir aux autres, encore une fois par crainte, jusqu’au moment où ils ne pourront plus se détourner de la terrible vérité qu’ils devront affronter s’ils veulent survivre.
Et cette survie dépend de l’autre. Il suffit que chacun d’entre eux mettent une sourdine à leur propre ego pour pouvoir être entendu de l’autre.

La recette de la comédie romantique se compose de deux mouvements : d’abord, les fragilités des personnages les tiennent éloignés l’un de l’autre et second mouvement, les prises de conscience respectives qu’ils doivent faire preuve l’un comme l’autre d’humilité l’un envers l’autre.

Il ne s’agit pas de créer un déséquilibre par la soumission ou la totale dépendance de l’un envers l’autre. C’est bien à une harmonie que le lecteur s’attend et qu’il veut. Et c’est ce désir qui nourrit concrètement son attention.

Garder l’attention du lecteur

La comédie romantique se concentre sur les obstacles et sur les triomphes qui caractérisent l’inexorable rencontre de deux êtres qui finiront comme couple. Ce genre nous convie au consensus social au-delà des différences individuelles. Il tente d’adapter les problèmes émotionnels, spirituels et même physiques des individus en une conclusion harmonieuse ne cessant de réaffirmer la nécessité d’un équilibre commun pour lutter contre le monde.

Nous savons cela de la comédie romantique. Alors pourquoi le genre est-il si populaire ? Puisque le lecteur connaît déjà la fin, pourquoi s’accroche t-il au scénario et ne le quitte pas en cours de route ?

Parce que ce scénario est d’abord suffisamment intrigant et surtout parce qu’il est chargé d’un espoir qui rassure et emplit notre cœur d’une douche chaleur.

Nous avons vu qu’il y a trois lignes dramatiques qui court tout au long de l’histoire : celle de Harry (qui est le personnage principal), celle de Sally (que l’on peut considérer comme le fait la théorie narrative Dramatica comme un Influence Character, c’est-à-dire un personnage qui influencera grandement la destinée du personnage principal) et la ligne dramatique de la relation entre ces deux-là.

Nous pouvons considérer ces lignes dramatiques comme un dialogue que l’auteur entretient avec son lecteur. Ce sont des sortes de discours à l’intérieur du récit. Et l’auteur d’un scénario ou d’un roman est d’abord un narrateur.

Que va faire ce narrateur pour maintenir l’attention de son lecteur alors que celui-ci connaît déjà la fin de l’histoire qu’on est en train de lui raconter ? Il va utiliser les lignes dramatiques du personnage principal et de l’Influence Character. Il va ferrer son lecteur sur les tranches de vie de ces deux personnages, c’est-à-dire ce qu’ils leur arrivent, ce qu’ils pensent et ressentent quand ils ne sont pas avec l’autre.

Concernant Quand Harry rencontre Sally, l’astuce narrative est de décrire comment ces deux lignes dramatiques, ces deux lignes de conduite rapprochent inexorablement Harry de Sally. Puisque nous savons qu’ils formeront un couple (nous savons que ce scénario est du genre de la comédie romantique), ce qui devient intéressant, ce n’est plus de savoir s’ils réussiront ou non à vivre ensemble.
Certes, la question dramatique est toujours présente parce qu’elle est naturelle à toutes les fictions, mais dans la comédie romantique, elle est comme estompée. Et ce qui nous passionne dorénavant, c’est de voir comment ces deux êtres sont parvenus à s’accorder.

La comédie n’est pas une fable. Elle répond correctement à l’exigence de vraisemblance. Seulement, elle augmente les possibilités de la vraie vie (de notre force d’exister dit Spinoza) et c’est en cela que réside l’espoir.

Harry et Sally voyagent ensemble à New York. Ensuite, ils sont dans le même avion, prennent la même direction en empruntant le même chemin. Ils ont des rencontres amoureuses aux mêmes moments, même leurs amis se mettent ensemble.
Dans la vraie vie, nous appellerions cela des coïncidences. En fiction, cependant, et à la suite d’Aristote, nous préférons le terme d’improbables possibilités ou d’impossibilités vraisemblables (voir à ce sujet notre série d’articles LA STRUCTURE DU SCÉNARIO ET ARISTOTE).

Plus le scénario se tient à ce dispositif narratif de ses deux personnages sur des chemins convergents, plus il semble inévitable que leurs cœurs finiront par s’accorder ce qui renforce le sentiment de satisfaction que ressentira le lecteur à la fin de l’histoire.
Et c’est bien cette satisfaction qu’un auteur doit rechercher lorsqu’il choisit une comédie romantique.

Nous pouvons utiliser un dispositif similaire pour nos projets. Il faut bien poser que nous avons deux individus appelés à devenir un. Cette totalité sera atteinte au dénouement. Entre temps, le lecteur doit éprouver le désir de les voir enfin réunis. Mais nous retarderons ce moment (pourtant inévitable et le lecteur le sait) pour que le lecteur imagine comme ils seront heureux s’ils pouvaient être ensemble. Et il ne cessera de l’imaginer tout au long de l’intrigue et c’est ce qu’il faut.

Et pour faciliter le travail de l’imaginaire du lecteur, on peut lui donner comme indice comment d’autres couples sont heureux ensembles (dans le cadre d’une intrigue secondaire par exemple). L’idée est de maintenir l’anticipation du lecteur. Il faut nourrir son attente d’un Happy Ending. Plus le lecteur ressentira les affres de sa volonté qui ne s’accomplit pas, plus sa satisfaction sera atteinte à la fin de l’histoire lorsque son désir sera enfin concrétisé.

Ce retard dans l’accomplissement de ces deux êtres en un couple (que l’on peut assimiler à une maturité émotionnelle) est utile aussi parce qu’il évite le cliché.

Au bout d’un moment, le lecteur n’aspire plus qu’à voir ces deux-là enfin réunis (même s’il sait que ce sera la fin de l’histoire).
Ce désir romantique, ainsi crée en lui, lui fait oublier que cette fin heureuse est un cliché vieux comme le monde parce que lorsque le moment de l’union est enfin parvenu, le lecteur le célébrera personnellement comme satisfaisant son propre cœur (la catharsis selon Aristote).

Le ton de Quand Harry rencontre Sally

Comme je viens de le mentionner, le problème des comédies romantiques est d’éviter le cliché. Quand Harry rencontre Sally se servira du ton de la narration à cette fin. Nous avons vu que le narrateur (le premier narrateur est l’auteur qui s’exprime par les didascalies) est celui qui donne le ton de l’histoire.

A l’évidence, Quant Harry rencontre Sally a un ton comique qui nous donne à voir l’histoire par les yeux des personnages dans des détails simples mais pertinents pour nous éloigner du cliché. Par exemple, il est exactement précisé dans le scénario que Harry crachera les pépins par la fenêtre de la voiture sauf que cette fenêtre n’est pas ouverte.

Cette scène n’ajoute rien ni à la signification globale de l’histoire, ni à la personnalité de Harry. Elle nous place néanmoins dans le point de vue de Harry car tout comme lui, nous pensions que la fenêtre était ouverte. Et tout comme lui, nous découvrons que la fenêtre est fermée.
Nous sommes impliqués dans la perspective des personnages de cette histoire, dans les moments singuliers de ces personnages qui appartiennent à cette histoire et non à une autre. Dans cette histoire où ils vivent (ou même subissent) ces détails tels que de cracher des pépins à travers une fenêtre que l’on croyait ouverte.

Ce détail comique qui s’exprime dans un ton comique nous éloigne d’autant du cliché tout en maintenant une connexion avec la perspective des personnages.

Et comme nous l’avons vu dans notre article LE NARRATEUR DONNE LE TON, le narrateur qui emploie un ton comique décrit les petits détails de la vraie vie sans recourir à des mensonges ou à des clichés. Cette honnêteté lui permet de gagner la confiance du lecteur qui acceptera de voir deux personnages tomber amoureux sans avoir l’impression qu’il a déjà vu cela des centaines de fois par ailleurs.

Une scène révélatrice de la comédie romantique

Dans la comédie romantique, tout commence par le lecteur. Il faut lui montrer que le véritable amour est là, à portée de cœur, mais le scénario va volontairement le torturer en retardant le plus possible ce moment de révélation.

Une scène est assez emblématique du processus mis en œuvre :

Scénario

Dans cette scène, les deux personnages sont dans le sanctuaire de leur chambre à coucher. Difficile de faire plus intime. Et tous deux, alors qu’il pourrait tirer avantage de ce sentiment de sécurité, persistent cependant dans leurs positions respectives. Ils ont toujours peur d’admettre qu’ils ne peuvent avoir toutes les réponses.
Et pourtant, exposés ainsi dans leurs lits respectifs et somme toute, assez vulnérables, ils n’ont jamais été aussi proches l’un de l’autre qu’à ce moment.

Harry s’en défend en jouant celui qui a l’expérience de ce qu’il dit et se moque gentiment des idées d’adolescente de Sally et celle-ci refuse catégoriquement les allégations de Harry. Cette scène met en œuvre une recette classique pour créer de l’empathie envers les personnages. On désire vraiment leur bonheur. Et pour intensifier davantage ce désir chez le lecteur, la scène continue par la démonstration qu’ils ont tous deux régressés dans leurs angoisses d’adolescents.

Et pourtant, Harry, le personnage principal, avait l’occasion d’aller plus loin lorsque Sally lui a demandé ce qu’il ferait mais, incapable de saisir cette opportunité, il se défile par une blague. Cela met fin à la scène. Ils sont toujours amis mais incapables de reconnaître qu’ils veulent secrètement quelque chose de plus.

Que pouvons-nous comprendre de cette scène ? Elle marie l’exigence de vraisemblance à l’empathie. Et il faut approfondir ce mouvement en n’autorisant pas les personnages à abandonner leurs peurs jusqu’aux dernières minutes du scénario.

Symboliquement, l’écran partagé se dissout alors pour ne plus former qu’un seul lit.

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