Dans la fiction, les relations entre les personnages évoluent au fil du temps. Il nous faut donc nous en assurer la cohérence. Une relation temporelle peut être persistante comme dans la romance ou un amour inaltérable. C’est précisément ce qu’il se passe dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004) de Michel Gondry, écrit par Charlie Kaufman. Bien que leurs souvenirs de l’un de l’autre aient été effacés, une force les ramène toujours l’un à l’autre. C’est comme si Clémentine et Joël sont inexorablement attirés l’un vers l’autre : ils sont déterminés à être ensemble. La cohérence est assurée par les analepses, c’est-à-dire des souvenirs fragmentés qui s’assemblent et forment un tout structuré (structuré signifie qu’il y a une espèce de système qui organise les parties du tout afin de le rendre intelligible).
Avec la même idée de persistance, In the Mood for Love (2000) de Wong Kar-wai parle aussi d’un amour qui résiste au temps sans jamais toutefois se réaliser. Et puisqu’il existe des relations persistantes, faut-il bien qu’il en existe des temporaires. La rupture ou l’amour éphémère sont dramatiquement beaux. Call Me by Your Name (2017) de Luca Guadagnino conte le récit d’un amour passionné, mais qui se sait déjà condamné par la fin de l’été.
Et c’est là que se pose toute la beauté dramatique de ce récit : elle est dans l’acceptation de cet amour éphémère. Sans cette brièveté revendiquée par James Ivory et Luca Guadagnino, cette relation temporaire n’aurait pu être aussi sublime. Blue Valentine (2010) de Derek Cianfrance reprend le même type de relation qui a totalement du sens avec l’intrigue : cette romance apparemment classique montre l’érosion de l’amour. Et c’est d’autant plus intense que le récit alterne entre les analepses d’un passé follement amoureux et un présent terriblement douloureux. Il y a quelque chose de la morale stoïcienne dans cette vision des choses. L’acquiescement, le contentement avec le monde tel qu’il est. Spinoza nomme cette acceptation comme béatitude. Ici, ce n’est pas parce que l’amour se sait éphémère qu’il est déterminé à être souffrance ou regret.
Maintenant, il existe aussi des relations conditionnelles qui nous introduisent à la causalité. Par exemple, Si tu me trompes, je te quitte. La condition est donc que tant tu ne trompes pas, je ne le quitterai pas. L’intérêt d’une condition qui se situe aussi dans la durée est qu’elle participe totalement de la tension. Dans L’Inconnu du lac (2013) d’Alain Guiraudie, la relation conditionnelle concerne la relation amoureuse entre Franck et Michel. Tant que Franck, sous l’empire de l’amour, se tait, sa relation avec Michel se maintient (bien que Michel soit un être particulièrement dangereux).
De ce silence, la tension se nourrit. Vous le devinez, la condition n’a pas à être manifeste, il suffit qu’elle soit implicite.
D’autres relations ne seront effectives que plus tard dans le récit. Elles sont autant d’indices pour le lecteur/spectateur : après une première rencontre, deux êtres que tout sépare se rapprocheront insensiblement au fil de l’intrigue. Si c’est une relation amoureuse qui est visée par l’auteur ou l’autrice, cette relation ne sera en effet possible qu’après quelques pérégrinations. Facile à dire, mais concrètement compliqué à illustrer. Inversons la situation avec The Souvenir (2019) de Joanna Hogg. Certes, on assiste à l’évolution de la relation entre Julie et Anthony, mais ce qui se construit ici, c’est une rupture. La relation porte déjà en elle cette désunion.
L’incertitude peut aussi grandement servir l’intrigue. Dans ce cas, la relation est possible, mais nullement prévisible. C’est très intéressant pour les rebondissements. Le magique Céline et Julie vont en bateau (1974) de Jacques Rivette joue sur les multiples réalités où la relation entre Céline et Julie est sans cesse renouvelée au fil du même drame qui ne cesse de se rejouer.