L’ABSURDE

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Qu’est-ce que l’absurde ?

D’un côté, il y a nous qui, désespérément, tentons de trouver un sens à notre existence, et la seule réponse qu’on pourrait nous donner, ce serait à l’univers que nous la devrions, mais l’univers est sourd et totalement indifférent à nos aspirations, bien trop humaines pour lui.

Contrairement à lui, nous sommes conscients (et c’est douloureux) de notre finitude. Voilà, le mot est dit : alors pourquoi, demandons-nous, pourquoi ce monde ? Vers quoi nous tend-il ? Qui peut nous l’expliquer ? Bon, évidemment, il s’ensuit une tension dans cette interrogation qui reste toujours en suspens : voilà ce qu’est l’absurde, du moins la nature de l’absurde.

Ne nous méprenons pas : l’absurde n’existe pas pour nous donner les réponses que nous cherchons. Il est un cadre de réflexion sur ce qui nous préoccupe : une existence humaine forcément limitée qui ne cesse de s’interroger sur elle-même. Albert Camus nous apprend que c’est de cette confrontation entre notre irrésistible besoin de donner du sens à ce qui nous entoure (du moins pour ceux qui sont encore conscients qu’ils sont dans le monde et non pas qu’ils croient l’être) et le silence de l’univers. Alors Camus nous enjoint à vivre pleinement notre vie sans donner à notre conscience une quelconque once religieuse qui ne fait qu’aggraver notre malaise.

Quant à Sartre, il affirme que l’idée de l’absurde est liée à une liberté radicale, c’est-à-dire totale. Néanmoins, cette liberté à un coût en responsabilité et en angoisse (notre existence même est source d’un terrible malaise). Certes, on ne cogite pas incessamment sur ce que l’on est et de manière aussi claire, c’est quelque chose de plus sourd, de plus rampant. Donc, pour Sartre, il n’existe pas de réalité au-delà de nous (ni de dieux, ni de destin, à savoir quelque chose de préétabli et auquel on n’échappe point).
En conséquences, nous devons écrire nous-mêmes notre destinée (c’est la différence entre destin et destinée : l’un est déjà écrit, l’autre s’écrit en ce moment même). Et comment l’écrivons-nous ? Par nos choix et nos actions. Rien ne peut présider à nos décisions : nous sommes libres de les prendre et de ne pas les prendre. C’est cela que radical signifie aussi : on n’y échappe pas. Et c’est terrible, cela donne le vertige, car vouloir donner du sens à sa vie, c’est comme se pencher sur un abîme. Bien pire, nous ne sommes même pas sûrs d’y percevoir quoi que ce soit.

Pour Nietzsche, l’absurde mène à une crise de nos valeurs : il les anéantit. Cependant, il est possible que nous en créions d’autres par nous-mêmes et en nous-mêmes. Ces nouvelles significations dépendent entièrement de l’expérience de chaque individu (ou groupe, en l’occurrence), des croyances et de la culture dont nous sommes issus. Pour Nietzsche aussi, il n’y a rien de préétabli : notre histoire personnelle, nos émotions, notre environnement font notre vérité. Vous appréciez la solidarité ? Alors la compassion et l’empathie seront importantes pour vous. Vous ne supportez pas l’autorité ? C’est l’indépendance que vous privilégierez.
Ne cherchons pas de sens transcendant, divin ou métaphyse, réinventons-nous nous-mêmes. Là aussi, nous ressentirons un sentiment de liberté tout plein de vertige, car nous n’avons aucun repère.

Écrire l’absurde

Que faisons-nous lorsque nous écrivons de l’absurde ? Nous remettons en cause la rationalité du monde. Évidemment, nous nous adressons à un lecteur/spectateur chez qui nous cherchons à obtenir quelques réactions allant du rire à l’angoisse. C’est notre condition humaine qui nous étonne. Alors, nous élaborons un personnage passif ou plutôt, qui subit un destin (et non une destinée) qui lui paraît, autant à lui qu’à nous, totalement incompréhensible.
À cela s’ajoute l’absence de motivation comme moyen de la perte de contrôle sur notre existence. Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004), réalisé par Michel Gondry et écrit par Charlie Kaufman, est profondément absurde et existentiel. Joël et Clémentine subissent une procédure pour effacer leurs souvenirs l’un de l’autre après une rupture douloureuse, autant dire que leur identité personnelle s’efface du même coup dans cette fuite de la souffrance. Néanmoins, cette identité, bien que mise en veille par la procédure, a gardé les traces de leurs expériences communes et des émotions qu’ils éprouvaient en présence l’un de l’autre. L’indécision autour de la mémoire renforce l’idée d’une perte de contrôle face à la prétendue fatalité sous l’incompréhension de l’univers.

Au niveau structurel, il s’agit de déconstruire la logique de la causalité. Prenons appui sur Le Procès (1962) d’Orson Welles. Voilà un exemple qui souligne bien l’absurdité existentielle et notre terrible impuissance face à des systèmes oppressifs et totalement incompréhensibles. Habituellement, nous avons une exposition qui décrit une situation initiale, un acte Deux empli de péripéties aux fins d’illustrations conflictuelles et le tout est couronné d’une résolution qui apporte quelques réponses à l’intrigue.
Mais ici, Josef K. est appréhendé sans raison, c’est-à-dire sans qu’il y ait une cause. On ne le saura d’ailleurs jamais. C’est l’illogisme qui préside dans cette œuvre : l’absurdité des situations est marquée par la répétition incessante de circonstances qui enclavent Josef K. dans un processus dont il ne peut s’échapper.

Le manque de repères est aussi flagrant et Welles le démontre par les espaces vides ou démesurés dans lesquels il nous entraîne à la suite de Josef K. Nous sommes déstabilisés. Toutes les rencontres que fait Josef K. sont un retour au même ; on n’y voit aucune explication, aucune issue, aucune progression. Dans un récit que je qualifierai de normal sans prétendre à ce que l’absurde soit d’une espèce d’anormalité, nous allons vers une vérité, une rédemption, vers quelque chose qui a du sens (ou enfin du sens si l’intrigue a bien fait ce pour quoi elle existe), mais ici la seule chose qui croît est le non-sens, une absence de significations.

Sans conclusion, sans révélation ni catharsis, la mort de Josef K. nous semble encore plus absurde. C’est la vaine tentative d’une quête de sens dans un monde qui en est privé et donc, incapable de nous en fournir. L’absurde sert ici à apporter la preuve de notre déshumanisation face un système institutionnel inhumain.

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