ACCROCHEZ LE LECTEUR & LA LECTRICE

5
(1)

On l’entend souvent dire : les dix premières pages du scénario accrocheront votre lectrice ou votre lecteur et partant, d’éventuels investisseurs.

Écrire un scénario, cela nécessite une certaine maîtrise tout comme l’artiste qui ne se satisfait de son œuvre qu’après de nombreuses recherches et expériences si tant est qu’il puisse jamais être satisfait. On ne naît pas auteur mais le devient-on ?

Que sont ces dix premières pages ?

Toutes les pages de votre scénario sont importantes mais les dix premières (plus ou moins les dix premières) mettent davantage de pression sur l’autrice et l’auteur parce qu’elles nécessitent d’accrocher la lectrice et le lecteur suffisamment pour leur donner l’envie de continuer à lire.

Ces dix premières pages sont celles d’avant l’incident déclencheur. Un incident déclencheur qui survient à un personnage. Car dans une structure en trois actes, nous assistons souvent à la transformation d’un personnage : d’un état psychique particulier, il devient autre.

Les événements décrits par l’intrigue sont autant d’expériences et ainsi de causes de ce changement (souvent pour le meilleur). Avant que l’intrigue ne commence, ce qui va s’avérer être une expérience transformatrice, il y a donc un personnage qui doit changer. Et c’est l’objet des 10 premières pages.

Ces pages singulières préparent la lectrice et le lecteur à la suite du récit.

Nous avons donc en tant qu’autrice & auteur, une latitude entre 10 et 15 pages pendant lesquelles il doit se passer quelque chose. Car il faut éviter que le lecteur/spectateur ait le sentiment de faire du surplace, d’attendre vainement que quelque chose se passe.

Joseph Campbell l’a déjà remarqué : on commence par décrire le monde ordinaire (The Ordinary World) avant que ne se produise le Call to Adventure (ou dit autrement l’incident déclencheur).
Mais ce monde ordinaire risque d’être ennuyeux si on n’y prend garde. Si lectrice & lecteur identifient leur propre ennui à celui du héros ou de l’héroïne, il est probable qu’ils ne seront pas curieux de la suite. Un monde ordinaire pour le héros ou l’héroïne d’un récit, cela signifie aussi une situation conflictuelle. Dit autrement, ce personnage veut quelque chose et il le veut vraiment. Cette volonté apparemment incoercible est peut-être une erreur, une illusion ; ce qui compte néanmoins, c’est qu’elle existe.

Cette intentionnalité serait donc l’appât pour ferrer le lecteur et la lectrice. Elle est importante pour le personnage et elle le définit. Ce n’est pas un phénomène biologique en cela que bien qu’il y ait une finalité recherchée, dans un cycle naturel, il n’y a pas de visée arbitraire. Ce n’est pas non plus un phénomène psychique comme pourrait l’être le rêve.

Cette volonté déterminante a toutes les apparences d’une conscience individuelle. En fait, bien que le personnage n’en soit pas vraiment conscient, sa détermination à vouloir quelque chose lui est imposée du dehors. C’est en réaction au monde, à son environnement, qu’il se lance dans un projet.

Ce que nous avons dans ces dix à quinze premières pages, c’est un fait social. L’objectif que se fixe le personnage est au vu et su de tout un chacun, autres personnages et lecteur/spectateur compris. Ma démonstration me permet donc de relier une intentionnalité à un fait social comme appât pour retenir lectrice et lecteur dans mon récit.

Une manière d’agir

Cette volonté justifie chez le personnage une manière d’agir, de penser et de sentir dont la preuve est faite précisément dans les actions qu’il décide d’entreprendre. Celles-ci rencontreront déjà des difficultés bien que nous n’ayons pas encore débuter l’acte Deux, c’est-à-dire l’espace de l’intrigue. S’il n’y a pas une situation conflictuelle, s’il obtient trop facilement ce qu’il veut, nous ne comprendrons pas l’intérêt de ses décisions et autres choix.

Lorsque quelqu’un veut absolument quelque chose, surtout s’il s’agit d’une chose à laquelle nous pouvons nous identifier, c’est-à-dire comprendre, nous nous sentons en affinité avec lui. Nous nous mettons de son côté et commençons à l’encourager. Lorsque nous nous soucions de sa réussite ou de son échec, nous nous investissons dans l’histoire et sommes plus enclins à poursuivre la lecture.
Par exemple, il nous arrive d’être admiratif d’une personnalité parce qu’elle représente pour nous une espèce d’idéal à laquelle nous aspirons (et quel que soit le domaine : confession religieuse, mouvement politique ou une quelconque communauté). L’objectif pourrait être alors d’être reconnu au sein de cette communauté, de vouloir en grimper la hiérarchie quelles que soient les raisons personnelles qui nous incitent à agir ainsi. Mais ces raisons personnelles sont différentes des règles de cette communauté qui s’imposent alors à nous.

Ainsi, en tant qu’auteur et autrice de ce personnage, nous avons toute latitude pour définir un besoin qui a tout à voir avec l’individualité de ce personnage. Il y a le fait social d’un côté, qui est un désir et de l’autre côté, nous privilégions un besoin. Nous avons deux lignes dramatiques : l’une décrit les faits et gestes d’un personnage qui s’est fixé un objectif dans le monde et l’autre décrit les différentes étapes à travers desquelles il triomphera ou sera vaincu par ses propres angoisses (qui ne relèvent pas du monde extérieur tel qu’il se le représente) mais de son monde intérieur.

Par ailleurs, les stratégies et tactiques que le personnage met en place nous permettent de révéler son caractère. Qu’il montre un certain attentisme ou qu’il a tendance à précipiter les choses indiquent certainement certains aspects de sa personnalité (bien moins complexe néanmoins chez les êtres fictifs que chez les véritables êtres humains).

Donner le ton

Les dix premières pages assurent aussi le ton du récit, c’est-à-dire que le genre s’affirme dans ces dix ou quinze premières pages. Le ton confère une authenticité au récit.
Qu’on raconte l’histoire d’une prostituée qui rencontre un gangster, le thriller dans lequel semble s’engager le récit donne une existence à cette rencontre.

Il n’y a aucune nécessité à participer à ce milieu interlope pour que le monde décrit devienne réel le temps d’un récit fait de mots. Ce qui importe est de se documenter, de se renseigner sur tous ces éléments dramatiques que l’on souhaite incorporer dans un récit : dans cet exemple, ce sera non seulement le milieu de la pègre mais aussi comment une histoire d’amour peut naître des rencontres même les plus improbables.
Et se renseigner, cela ne signifie pas se contraindre à lire les textes d’érudits en la matière. On peut s’inspirer autrement : considérer le personnage de Vivian dans Pretty Woman et celui de Michael Corleone du Parrain, par exemple.

On peut utiliser aussi des archétypes mais ne pas se contenter des traits de caractère communs à un archétype donné mais ajouter de la profondeur à ces traits de caractère. L’authenticité consiste à reproduire une partie de la réalité que ce soit dans le fragment de vie d’un personnage, dans le moment d’une époque ou d’un lieu.

Trouver une authenticité, c’est aussi s’inspirer de soi-même, de s’interroger. Réfléchir par exemple à un moment de notre vie qui fut une espèce de révélation à partir de laquelle notre vision du monde et de nous-mêmes commença à changer.
Car ce qu’il nous arrive, ce par quoi nous passons intérieurement, cela est une réalité et nous pouvons en imprégner notre récit bien que celui-ci soit fictif. Lecteurs et lectrices reçoivent ce sentiment de réalité, ils le perçoivent tel quel bien que ce ne soit pas leur réalité. L’un de vos êtres aimés succombent à la maladie d’Alzheimer, ce que vous décrivez de cette maladie par le récit que vous en faîtes touchera émotionnellement le lecteur et la lectrice de ce récit.

Vous offrez des émotions authentiques. A travers les actions de vos personnages, tentez de comprendre les émotions qui les motivent à agir. Vos propres souvenirs peuvent vous aider dans cette tâche car ils contiennent une vérité que vous pourriez avoir besoin d’exprimer.
Ce que vous traduirez dans votre récit, ce n’est pas seulement les faits mais surtout la perception que vous en avez eus. C’est par votre sensibilité que vous atteindrez celle de vos lectrices et lecteurs. Car vos sens vous permettent d’interpréter les choses : ce qui est extérieur devient intérieur. Prenez une statistique quelconque : elle affirme un fait qui n’engendre souvent que de l’indifférence.

Imbibez ce fait d’une émotion, et l’indifférence se dissipe. Ensuite, c’est un passage d’un être à un autre.

Une déformation

Cette vérité que vous passez à des lectrices et à des lecteurs ne peut être brute. Pour qu’elle puisse parler au plus grand nombre, il faut la déformer quelque peu. Ce que vous avez révélé de vous-mêmes dans le cadre rassurant de votre chambre, déplacez-le par exemple dans un centre commercial.

Ce qui est totalement subjectif devient un peu plus universel. En devenant universel, vous renforcez l’authenticité de votre récit. Ainsi, vous communiquez ce qui vous est personnel en reconfigurant votre vérité pour qu’elle soit reconnue avec plus ou moins d’acuité par le plus grand nombre de vos lectrices et lecteurs.

Nos souvenirs nous emprisonnent. Nous nous libérons en les dénonçant et ce processus n’a rien de douloureux. Mettre au jour ses démons est un acte non seulement libérateur mais est aussi un mouvement qui nous transcende, nous incite à devenir autre, plus conforme peut-être à ce que nous aspirons à être.

Écrire devient un exorcisme.

Scenar Mag veut vous aider. Aidez-nous par vos dons. Merci

Comment avez-vous trouvé cet article ?

Cliquez sur une étoile

Average rating 5 / 5. Vote count: 1

No votes so far! Be the first to rate this post.

Cet article vous a déplu ?

Dites-nous pourquoi ou partagez votre point de vue sur le forum. Merci

Le forum vous est ouvert pour toutes discussions à propos de cet article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.