ORGANISER SON RÉCIT

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Organiser son récit n’est pas chose facile. En son temps, Blake Snyder proposa Save the Cat !, une approche structurelle qui peut aider à ordonner son récit de manière à le rendre intelligible. Snyder a revisité la notion de genres et leur a appliqué les mêmes moments structurels (beats dans le langage anglo-saxon) en les adaptant selon les conditions du genre retenu pour tel ou tel type de récit.

Connaître la fin

Écrire n’est pas une promenade sans but particulier. Un protagoniste possède un désir ; c’est lors de la quête de ce désir et les difficultés qu’il y rencontre (c’est-à-dire des conflits) que la nécessité impérieuse du changement s’affirme et s’il échoue sur ce plan personnel, ce sera tragique (d’autant plus si le désir n’est pas non plus satisfait).

La question à se poser est de savoir ce qu’on cherche à dire. Écrire commence par une introspection. Nous sommes bouleversés par un événement de la vie réelle ? Pourquoi & Comment cet événement peut-il nous toucher à ce point ?
En s’interrogeant ainsi, on s’explique déjà à soi-même ce qu’on cherche à atteindre et on détermine le message que l’on tente de faire passer. Ainsi, connaître la fin de son récit avant de débuter le processus d’écriture proprement dit permet d’assurer la voie à suivre, c’est-à-dire le thème. Et pour s’en assurer, on peut tenter de le définir en quelques lignes sans pour autant que cette prémisse devienne une obligation.

Un thème appelle une réponse. Une fois cette réponse posée, il faut inventer les événements qui logiquement ont mené à celle-ci. Tout commence par un incident déclencheur : sans cet événement majeur, quel serait le mobile pour un personnage d’agir comme il le fait ? De vouloir quelque chose dont il ignorait encore tout ?

Ce peut être un événement qui ravive un souvenir oublié et qui soudain crée un besoin même si celui-ci n’est pas encore distinctement et clairement perçu par le personnage. Ce peut être aussi la réalisation soudaine de la possibilité d’un avenir.

Le second point dont il faut tenir compte est le point médian du récit, c’est-à-dire l’articulation qui relancera le récit car il y a une certaine usure de l’attention de la lectrice et du lecteur et créer un coup de théâtre, un renversement de situation relance l’intérêt du lecteur et de la lectrice.

Ensuite, il faut envisager ce que Blake Snyder a dénommé le all is lost, c’est-à-dire que pour le personnage principal tout semble perdu. Il a effectivement épuisé toutes les possibilités, ses espoirs se sont effondrés et il croit vraiment qu’il n’y a plus d’issue possible dans son entreprise.

Relier les points

Lorsque l’incident déclencheur, le point médian, le all is lost et le dénouement ont été posés sur le papier (et encore une fois, il n’y a rien de définitif), l’invention des éléments dramatiques (faits ou personnages) fera en sorte que chacune de ces articulations du récit puissent fonctionner ensemble.

Si l’ordre d’écriture a été Dénouement, all is lost, point médian et incident déclencheur, maintenant, l’écriture s’inverse : comment l’incident déclencheur parvient-il au point médian, comment du point médian le récit amène le all is lost pour son personnage principal et comment ce personnage aboutit-il au dénouement particulier que vous souhaitez communiquer.

Quelle que soit votre idée, ce qui importe est de penser le changement. Au moins un personnage doit évoluer sur le plan psychique. Un personnage totalement fermé à la compassion au début du récit pourrait par exemple au fil de ses pérégrinations et tribulations prendre conscience qu’il est dans l’erreur et se perfectionner si l’auteur et l’autrice le souhaitent ainsi.

Cette transformation progressive se produit lors de prises de décision elles-mêmes orientées à travers un conflit permanent. Si les choses coulent sans heurt, vous n’avez pas d’histoire à raconter. Qui se soucie d’observer le bonheur chez autrui ?

La recherche de situations conflictuelles permet aussi d’inventer les personnages qui vous manquent encore. Une situation conflictuelle n’est pas seulement le fait d’un ennemi. Certains des personnages seront des alliés mais même avec quelqu’un de proche, à qui on fait confiance, des difficultés dans la relation peuvent se produire et elles doivent se produire.

Un allié peut tenter de convaincre le personnage principal d’emprunter une certaine voie mais celui-ci s’y refuse par exemple. Dans une relation, la proposition de l’un ne sera pas acceptée par l’autre dans un premier temps car même si votre intention consiste en cette acceptation, celle-ci se produira lors d’un second temps comme si l’autre doit se convaincre lui-même du bien-fondé de la proposition. C’est plus dramatique ainsi.

Faire un plan

Maintenant que vous avez un peu de matériel dramatique, il pourrait être bon de vous assurer de la logique de votre récit en établissant un plan des événements. Si vous vous lancez dans une série, les points majeurs ci-dessus mentionnés seront distribués au fil des épisodes.

Par logique, il faut entendre une relation de causalité. Une décision peut entraîner une multiplicité de conséquences : à vous d’opter pour celle qui correspond aux exigences de votre récit. Les expériences que vit votre personnage principal ne sont que des illustrations. Ce que vous décrivez, ce sont des phénomènes universels : votre héros ou votre héroïne souffrent de la perte d’un être aimé par exemple ; Ce n’est pas cette perte singulière (qui est au service de l’intrigue) mais l’effet sur le lecteur/spectateur qui ressentira ce qu’est la douleur de perdre un être cher.

Le plan vous permettra alors de vous assurer que vous parvenez logiquement aux effets que vous souhaitez faire ressentir à vos lectrices et lecteurs. Si par exemple, votre personnage principal doit se désincarcérer de ses habitudes, il nous faut comprendre pourquoi il se rend ainsi vulnérable aux angoisses nouvelles de se départir de ce qui le rassurait tant.

Le plan vous permettra aussi de vous assurer des lieux autant extérieurs qu’intérieurs, c’est-à-dire un cadre qui autorise ce par quoi vos personnages ressentent ce qui les émeut ou les meut. Une attitude s’explique mieux dans un lieu qui la justifie : si votre héros ou votre héroïne retourne sur les lieux de leur enfance, leur comportement sera adapté à cette circonstance nouvelle.
Ce peut être le moyen de justifier un de ses traits de caractère qui pourrait ressortir dans d’autres circonstances et, en tant que lectrice et lecteur, nous savons pourquoi il réagit ainsi puisque nous rapprochons son comportement actuel de ce qu’il s’est passé sur les lieux de son enfance.

Documenter ses scènes

Une scène possède une finalité, une raison d’être en somme. On peut commencer par se demander ce que chaque personnage tente d’acquérir dans cette scène. Lors de ce questionnement, quelques bribes de dialogue peuvent s’immiscer.
Il suffit d’avoir une idée de sa présence dans la totalité. De même, si un personnage paraît inutile dans une scène, pourquoi vouloir le conserver ? Même s’il s’agit du personnage principal. Il est certes dans la presque totalité des scènes mais ce presque peut permettre d’expliquer des choses ou de créer une ironie dramatique alors que nous apprenons des choses qu’il ignore encore.

On peut objecter que créer un plan est une perte de temps, une espèce de procrastination alors que nous devrions être impatients de nous lancer dans le processus d’écriture (comme au kilomètre). Il serait dommage néanmoins de sauter cette étape : elle a le mérite de vous éclaircir les idées, d’éviter les digressions et il sera plus facile avec d’éventuels interlocuteurs de travailler sur le plan plutôt que sur un acte entier déjà écrit.

Voici ce que pourrait être le plan pour Big Fish

Acte Un

  • La naissance de Will
  • Will est devenu adulte et Edward l’exaspère
  • Will apprend que Edward est mourant et se rend en Alabama
  • L’arrivée & rencontre avec Sandra, la mère de Will
  • Premier dialogue entre le père et le fils
  • L’histoire du Géant et de la sorcière
  • Mais Will veut une vraie conversation
  • Edward quitte Ashton
  • Spectre & Jenny

Acte Deux

  • Edward quitte Spectre
  • La rencontre avec Sandra & Don
  • Edward se confie à Joséphine, la femme de Will
  • Seconde confrontation entre père & fils
  • La guerre en Corée et rencontre avec les sœurs siamoises
  • Le retour de Corée et rencontre avec Norther Winslow
  • La véritable naissance de Will
  • Nouvelle confrontation entre père & fils
  • Le coma d’Edward

Acte Trois

  • Will rencontre Jenny et découvre quelques documents prouvant les dires de Edward
  • Edward meurt
  • Aux funérailles, tous les personnages vus dans les récits d’Edward sont présents bien que différents de la description qu’en a faite Edward
  • Will comprend son père et agit de même avec son propre fils

L’étape suivante consistera alors à écrire quelques paragraphes sous chacun des événements listés. C’est maintenant une affaire pour votre imagination. Considérez néanmoins qu’il s’agit d’une toute première version qui nécessite déjà des révisions.

La révision

Laissez passer un peu de temps puis relisez ce premier jet. Est-ce que vous pouvez visualiser chaque scène, ressentir les émotions que vous vouliez y faire passer ?
Posez-vous de nouveau les mêmes questions : est-ce qu’une scène donnée s’intègre dans le tout ? Dans le plan de Big Fish, par exemple, les rencontres et les cadres qui les délimitent sont d’une importance cruciale pour expliquer comment Edward revisite les événements afin de leur donner une saveur qu’ils ne possèdent pas dans la réalité, tels qu’ils se sont effectivement déroulés.

D’un point de vue pragmatique, vérifiez aussi que vous n’avez pas été trop bavard sur certains paragraphes, assurez-vous que le mot que vous avez écrit est vraiment apte à traduire votre pensée. Substituez les mots, tentez d’autres métaphores, associez librement les idées. Considérez que vous êtes dans l’inconnu et que votre première idée cache peut-être quelque chose de plus profond qu’il vous faudrait rendre palpable.

Visualisez vos scènes. Voyez-les se dérouler dans votre imagination. Concernant le dénouement, votre personnage principal est dans une certaine situation psychologique. Pour que cette situation puisse être considérée par le lecteur/spectateur, elle sera différente de la situation initiale : il y a une inversion de polarité.

Une mère de famille meurt à la fin du récit en se sacrifiant pour ses enfants. Pour amener à cette décision et qu’elle soit acceptée par la lectrice et le lecteur, cette même mère de famille sera d’une nature égoïste au début du récit ou ambitieuse privilégiant sa carrière par exemple. Ensuite, il s’agit d’inventer les actions qui constituent les différents moments du changement progressif d’une situation en une autre.

Après cette première révision, contactez quelques lectrices et lecteurs bêta, des personnes qui ne chercheront pas à vous faire plaisir mais porteront un vrai regard critique sur votre œuvre. Ne débattez pas avec eux, ne cherchez pas à les convaincre, demandez-leur seulement de noter ce qui les trouble ou les enchante dans votre texte : par exemple, comment le personnage a t-il pu se rendre dans tel endroit ? Pourquoi le personnage est-il si bouleversé ? Je ne comprends pas comment il a pu en arriver là ?

En arriver là ? Voici ce qu’il faut concrétiser, c’est-à-dire l’arc dramatique du personnage. Il y a l’intrigue ; disons, un meurtre a été perpétré. Maintenant, le héros ou l’héroïne ont un objectif : résoudre l’énigme de ce crime. L’enquête possède sa propre ligne dramatique.

Concurremment, le personnage principal en se frottant à cette enquête deviendra autre d’une manière ou d’une autre. Ce changement a aussi sa propre ligne dramatique totalement autonome par rapport à la ligne dramatique du déroulement de l’intrigue. C’est ainsi que les relations entre les personnages se révèlent cruciales pour expliquer ce changement. Ce sont les types de relations que vous envisagerez qui détermineront ce qui diffère dans votre récit comparé à d’autres récits qui abordent un thème similaire. Il existe une et mille façons de parler de Noël par exemple.

Étudiez chaque objection, retravaillez le comportement de vos personnages. Il est important que parmi ceux que vous donnerez à lire votre travail, il y ait des hommes et des femmes car si vous êtes un homme, le point de vue d’une femme vous confirmera que vous pensez juste concernant vos personnages féminins et si vous êtes une autrice, vous vous assurerez du comportement des hommes de votre récit.
Il est bon parfois de solliciter à la fois son animus et son anima par une aide extérieure, découvrir l’équilibre ou le déséquilibre entre le féminin et le masculin en chacun de nous.

Consacrez le temps qui vous convient

Que vous décidiez d’écrire 15 pages par jour (ou par nuit), ou que vous vous êtes fixé une plage horaire pour écrire : tenez-vous à cette obligation que vous vous imposez vous-mêmes (librement d’ailleurs). Et si parfois, vous devez pour telle ou telle raison surseoir à cette obligation parce que vous êtes trop épuisé pour continuer ou un rendez-vous important vous préoccupe l’esprit, ne vous forcez pas. D’autres moments vous seront plus favorables.

Lorsqu’il vous semble avoir accompli une tâche, célébrez ce moment : soyez satisfait de vous-mêmes.

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