ARC DRAMATIQUE & LAJOS EGRI

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lajos egriLajos Egri, auteur dramatique et théoricien de l’écriture dramatique, insistait beaucoup sur l’importance du personnage au sein de l’intrigue. Le modèle qu’il préconisait dans l’écriture consistait donc à placer le personnage dans des situations où il se révélait psychologiquement, où ses actes, même les plus insignifiants, découvraient du sens.

Pour Lajos Egri, le mouvement d’un arc dramatique est similaire à celui du plan dialectique : une thèse, une antithèse et une synthèse.

Comme dans la vie réelle, le personnage est agité par des idées conflictuelles sur lesquelles il ne cesse de délibérer pour forger ses décisions, son comportement & ses attitudes. Egri s’est concentré sur la notion de prémisse qui consiste principalement en une idée ou une affirmation que le récit et le personnage sont tenus de prouver ou de réfuter à la fin.

Toutes choses, disait Egri, a un but, c’est-à-dire une prémisse. Chaque seconde de notre vie possède une prémisse que nous en soyons ou non conscients. Alors dans un récit, tous les éléments narratifs tels que la progression en actes, un point médian qui traduit souvent un effondrement psychologique et moral du personnage principal et jusqu’au climax, l’ultime affrontement avec la force antagoniste et même le dénouement, tout se rapporte à cette prémisse, c’est-à-dire à l’évolution du personnage influencée par ses expériences au cours de l’intrigue.

La prémisse est la thèse

L’arc dramatique commence par une affirmation, c’est-à-dire une thèse. Comme tous les contraires, l’arc dramatique pose un dilemme dont le second membre est l’antithèse. Thèse et antithèse se justifient également, chacun avec ses avantages et ses inconvénients.

Pour mieux asseoir le débat dans l’esprit du lecteur et de la lectrice, la thèse et l’antithèse ne s’opposent pas dans les mêmes scènes. Car thèse & antithèse sont parfaitement légitimes : aucune ne représente ou le bien ou le mal (et ainsi des scènes dans lesquelles les personnages ne font le mal que dans le regard des autres car c’est un jugement extérieur. Sous la perspective du personnage qui, selon autrui, agit mal, il est en accord avec lui-même).

Les motivations du personnage s’expliquent par les choix qu’il fait : son mauvais génie pourrait parler vrai dans certaines situations et s’il ne se décide pas en sa faveur, cela pourrait être une erreur. Les décisions motivées deviennent alors des étapes de son arc dramatique.

Motivations et changement sont les fondations d’un arc dramatique. Il s’agit de comprendre pourquoi un personnage fait ce qu’il fait ou pour être encore plus pratique, comment a été possible ce que fait un personnage. Le Pourquoi ? et le Comment ? se confondent en une seule réponse.

Néanmoins, Egri pense assez universellement car même si les motivations d’un personnage possèdent un rapport étroit avec le récit dans lequel elles s’expriment, il estime que le concept d’insécurité, du manque d’affirmation de soi est le plus important et le plus complexe de tous les conflits et émotions humains.
L’embarras est que Lajos Egri n’explique pas vraiment comment découvrir les motivations de sorte qu’elles attirent et retiennent le lecteur/spectateur dans le récit. Il se contente d’affirmer que connaître la source d’un comportement, c’est-à-dire ses motivations, suffit à expliquer ce qu’il fait dans l’instant.

Ce qui est irréfutable, c’est que le personnage doit changer. Doit-on y voir un rapport entre les motivations qui agitent un personnage et le changement souvent radical qu’il connaît entre le début et la fin du récit ?
Lajos Egri ne le dit pas clairement mais il maintient que ces deux concepts sont des facteurs naturels de l’élaboration d’un personnage de fiction. On peut certainement lui reprocher que de fonder toutes les motivations sur un sentiment d’insécurité limite l’exploration que l’on serait tenté de faire sur la nature humaine.

Selon Lajos Egri

Tentons de comprendre la pensée de Lajos Egri en répondant à ces quelques questions concernant notre propre travail :

  1. Quelle est la prémisse de votre histoire ? Par exemple : Une honnêteté indéfectible sauve de la disgrâce. Définir la prémisse de votre histoire revient à comprendre son thème, sa morale c’est-à-dire votre message.
    Souvent on ne peut répondre à cette question qu’après avoir posé le dernier mot de son récit. C’est donc au cours de la révision et de la relecture que le thème apparaîtra.
  2. Quel est l’objectif de votre protagoniste ? Que veut votre protagoniste, plus que tout ? Car c’est dans cette volonté qu’apparaissent les motivations qui expliquent le comportement du personnage dans l’instant présent.
  3. Quel est le trait compulsif, irrépressible de votre protagoniste ? En quoi votre personnage se sent-il si mal à l’aise dans la vie ? Car pour Lajos Egri, tous les personnages veulent se protéger et se sentir en sécurité.
    En somme le trait le plus marquant de leur personnalité est un manque d’affirmation de soi. Maintenant que nous avons la cause première du mal-être d’un personnage, il faut en donner l’instrument. Si la prémisse est celle de l’exemple donné en 1), le personnage principal pourrait pratiquer le mensonge comme moyen de défense.
  4. Cependant que la condition d’un personnage est ainsi définie, il faut comprendre les conditions. Comment a-t-il développé cette inquiétude ? Comment s’est-il retrouvé dans cette condition ? Pourquoi cette condition a t-elle seulement été possible ? En suivant notre exemple, on s’interroge sur les expériences vécues qui ont amené le personnage à mentir lors de circonstances dont lesquelles il semble (selon son propre point de vue) perdre pied.
    Certaines situations conflictuelles dans le temps présent du récit peuvent faire remonter à la surface une cruelle expérience de trahison lorsque dans son adolescence, pour s’affirmer au sein d’un groupe qu’il voulait intégrer, sa sincérité s’est retournée contre lui. Alors, comme souvent dans la vie réelle, il s’est mis à se mentir à soi-même plus qu’on ne ment aux autres.
  5. Quelle est cette blessure pour laquelle le personnage a un besoin compulsif de s’échapper ? Il s’agit ici du passé du personnage. Illustrez par un événement ou une série d’événements spécifiques qui expliquent comment il a développé cette condition.
    Car ces événements ont provoqué un enchaînement de réactions, d’actions et de nouvelles réactions jusqu’au moment où nous faisons sa connaissance dans le récit. Cette blessure est certainement refoulée. Lorsque les circonstances la font émerger, c’est donc avec force qu’elle submerge le personnage. Ainsi, notre personnage en 4) pourrait craindre plus que tout le rejet, cette disgrâce suggérée dans la prémisse.
  6. Est-ce que l’incident déclencheur que Lajos Egri assimile à une crise est suffisamment fort pour justifier que le statu quo du personnage principal soit bouleversé ? Par exemple notre personnage du 4) pourrait rencontrer par hasard une connaissance agréable de son passé d’adolescent, une jeune femme dont il était secrètement amoureux, pour s’apercevoir presque immédiatement qu’elle s’est mariée avec celui qui lui montrait le plus d’hostilité dans ses tentatives de se rapprocher du groupe auquel il souhaitait appartenir (et peut-être aussi comme un moyen de se rapprocher de cet amour apparemment platonique).
    Cette double rencontre d’abord agréable puis désagréable ramène à la surface une insatisfaction.
  7. Quelle est la nécessité impérieuse qui motive le protagoniste à agir et qui le pousse à poursuivre sans relâche ses efforts pour atteindre son objectif ? Cette insatisfaction le tourmente. Il essaie de reprendre le voile de ses habitudes mais celui-ci ne cache plus cette profonde vérité qui le fait souffrir. Cet autre lui-même qu’il s’était inventé ne lui suffit plus pour vivre. Cette nécessité impérieuse est l’urgence à changer.
  8. Mais le personnage hésite. On découvre dans cette hésitation le Refusal of the call que distingue Joseph Campbell dans son étude des mythes et du parcours héroïque ou bien le double mouvement tel que l’aperçoit Syd Field car la réaction à l’incident déclencheur n’est pas de se précipiter dans l’inconnu. Cet inconnu fait peur et le héros ou l’héroïne ne sont pas encore prêts à tout abandonner d’autant que le résultat est hautement incertain.
    Mais cette incertitude menace d’aggraver la situation actuelle du personnage. Prenons Frank dans Le Verdict. Dans un premier mouvement, il refuse de prendre l’affaire de la jeune fille dans le coma. Dans un second mouvement, il est face à cette jeune fille inanimée à l’hôpital et il réalise non seulement l’injustice qu’elle a subie et qui doit être réparée mais surtout c’est davantage son indifférence que sa compassion qui le préoccupe. Sa vocation est de se saisir de cette affaire et d’y trouver sa rédemption bien qu’il soit convaincu qu’il sera détruit du même coup. S’il ne fait rien, il sera à jamais perdu.
  9. Maintenant qu’il a répondu à ce premier dilemme, quelle décision prend-il ou quelle action entreprend-il pour changer les choses ? Cette décision est importante car elle met en branle une réponse antagoniste. Frank se retrouve face à un cabinet de ténors du barreau. Pour qu’elle soit dramatique, la force antagoniste doit dépasser en tous points les capacités de l’héroïne ou du héros. Mon personnage du 4) cherchera à conquérir cet être qu’il a laissé échapper il y a si longtemps. Son obstacle apparemment insurmontable sera non pas le mari de cette jeune femme qui relève plutôt de l’anecdotique mais la jeune femme elle-même figée dans une situation dont elle ne veut et ne peut sortir.
    Cette décision donne son élan à l’intrigue et l’acte Deux peut alors commencer.
  10. Alors qu’on est sur le point de lancer l’intrigue, une chose reste à déterminer : est-ce que le protagoniste se bat pour ou contre son statu quo ? Veut-il garder les choses telles qu’elles sont, ou les changer parce qu’elles sont devenues intolérables ? Habituellement, héroïnes et héros se battent contre le monde alors que les méchants de l’histoire cherchent à maintenir ou renforcer les institutions qui les servent ou qu’ils servent.
    Devenir autre peut être un changement radical de personnalité ou bien le renforcement d’une personnalité qui oscillait entre deux positions. Le doute est quelque chose que l’on vit assez mal dans la vraie vie comme dans la fiction.
  11. Votre antagoniste est-il justifié ? Est-ce que ses arguments tiennent la route face aux prétentions du protagoniste ? Commencer par dépeindre votre antagoniste vous donnera de précieux indices pour élaborer ensuite votre personnage principal. Ainsi, dans ma Love Story du 4), je m’intéresserai d’abord à la figure de la jeune femme pour comprendre pourquoi elle refuse cet amour de jeunesse qui pourrait enfin lui donner le bonheur auquel elle aspire de toutes ses forces.
    Un mobile s’illustre par toutes sortes de motifs et chaque personnage a une raison tout à fait légitime de tenter d’atteindre à un certain objectif. Tout est une question de motivations, rappelle Lajos Egri. Pourquoi l’antagoniste s’oppose t-il au protagoniste et à la volonté de celui-ci de réaliser un certain objectif ? Est-ce que cet objectif contrecarre celui de l’antagoniste ? Et quelles sont les motivations qui font agir l’antagoniste ?
  12. Selon Lajos Egri, nous avons donc deux jeux de motivations contradictoires. Pourtant dans la vie réelle, chacun d’entre nous possède ses propres motivations pour faire les choses et néanmoins, elles n’entrent pas en conflit les unes avec les autres.
    Alors, Lajos Egri ne conseille pas seulement de choisir deux motivations et les opposer mais de compléter ces volontés qui ordonnent à l’un comme à l’autre personnage de réaliser un objectif qui entre en conflit avec l’autre. Par exemple, dans mon cas 4), le jeune homme et le mari de la jeune femme ont une volonté commune : se faire aimer de cette jeune femme. Le conflit vient précisément de l’objet de leur désir. Notez que dans cette relation, le mari de la jeune femme n’est pas l’antagoniste. Éventuellement, il peut influencer les décisions du personnage principal (le jeune homme).
  13. Ainsi, avez-vous exploré suffisamment les relations de votre récit ? Lajos Egri se focalise essentiellement sur la relation entre les fonctions de protagoniste et d’antagoniste mais toutes les relations sont importantes. De surcroît, certaines relations peuvent servir d’intrigues secondaires. Ce que Lajos Egri tente de mettre en avant, c’est le lien qui unit deux êtres. Car c’est ce lien qui définit la relation. Mais ce lien, qu’est-il ? Les enjeux. Qu’est-ce qui maintient une relation en l’état ? Qu’est-ce qui fait qu’elle existe sinon les enjeux ?
  14. Vous l’avez compris, Egri insiste sur le personnage. Lorsque le personnage principal prend la décision de s’engager dans son aventure, d’affronter frontalement ce monde encore inconnu (Frank du Verdict est certes avocat mais ceux qu’il décide d’affronter le dépassent au-delà de ce qu’il peut imaginer), il applique derechef ce qu’il fait déjà dans des situations plus ou moins proches.
    Il applique donc ses vieilles habitudes lors de la résolution de ses problèmes mais à situation nouvelle, il faut des solutions nouvelles et notre personnage n’en a pas la moindre idée parce que précisément il doit les acquérir lors des épreuves qui l’attendent et qu’il ne soupçonne pas d’ailleurs. En quoi la première réaction de votre personnage est-elle une erreur ? Concrètement, vous posez une succession de faits (parfois d’une importance faible mais néanmoins significative à la manière d’un acte manqué apparemment insignifiant mais qui révèle pourtant une vérité plus profonde), une succession de faits, donc, qui mène le personnage à cette crise dont parle Egri : des conflits essentiellement.
  15. Une succession de faits qui s’enchaînent. Pour Lajos Egri et que d’autres ont repris, il existe une escalade car les faits s’accumulent jusqu’à ce que leur poids devienne insupportable. C’est un principe de causalité qui est suggéré. Ainsi, la question à poser dans ce cas serait de savoir comment tel effet est produit par telle cause (sachant que pour un effet donné, vous avez une multitude de causes possibles). Comme dans la vie réelle, quand on a un mobile, les motifs pour le justifier peuvent être nombreux.
  16. Et finalement, nous revenons à la prémisse : comment le climax (l’ultime confrontation), l’ensemble des situations conflictuelles qui sont apparues tout le long de l’intrigue et le dénouement, tout a été conçu pour prouver l’assertion faite ?

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