VIVRE LES PASSIONS

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Les passions font partie de notre condition humaine. Dans un récit, elles sont la voie d’accès aux personnages. Décrire une relation, car les relations sont autant nécessaires au récit que le conflit, se fait essentiellement sur la base d’un lien émotionnel.

Beaucoup de choses dans un récit s’expliquent par l’aspect émotionnel, c’est-à-dire des moments émotionnels desquels on tire des thèmes, des messages, des symboles.. Ces choses qui permettent de donner au récit une cohérence et une profondeur.

Les temps forts émotionnels sont difficiles à écrire car ils se produisent généralement dans le non-dit plutôt que dans le mot. Un moment émotionnel est un moment de sentiment pur et viscéral (par exemple, lorsque le bonheur imprègne un personnage ou lorsqu’une nouvelle information lui donne l’impression d’avoir reçu un coup de pied en plein dans l’estomac).

Le moment émotionnel peut être un changement d’état de conscience (par exemple, lorsque deux regards se croisent dans une salle bondée, ou lorsqu’une main se prolonge un peu plus dans la vôtre, ou lorsque la lumière apparaît au bout du tunnel, ou lorsque la victoire est soudainement à portée de main ou lorsque tout espoir est vaincu à jamais).

Partie prenante de l’arc dramatique

On peut utiliser le modèle du hero’s journey tel que l’a élaboré Joseph Campbell pour tenter de découvrir ce travail psychologique qui œuvre de l’intérieur du personnage et façonne ses décisions et comportements. Par l’étude de nos peurs et de celles du personnage, par l’approche et la confrontation avec nos propres ténèbres, moments nécessaires dans la poursuite d’un objectif, nous approchons le personnage de manière intime.

C’est par ce qu’un personnage ressent qu’il grandit de ses expériences.
Lorsqu’il prend conscience de ses faiblesses, de ce qui le rend vulnérable car un arc dramatique n’est rien qu’un remodelage sur le plan émotionnel.

Considérons toujours que nous ne sommes pas parfaits. L’apôtre Paul l’avait déjà remarqué lorsqu’il disait dans son épître aux romains que notre condition d’humain nous pousse au mal plutôt qu’au bien. Un héros de fiction n’est pas parfait. C’est un être complexe, fragile, qui commet des erreurs.
L’erreur est source de conflits mais bien plus car c’est en observant les erreurs que commet un personnage qu’on est amené à mieux le comprendre. C’est par les erreurs qu’il fait que nous nous identifions mieux à lui.

Les états émotionnels par lesquels passe un personnage crée la structure de son arc dramatique. Ce sont précisément les différentes étapes ou articulations de cet arc qui fascinent le lecteur/spectateur. Prenons l’exemple d’un personnage dont le besoin, c’est-à-dire le manque, est de trouver l’amour.
Sa plus grande crainte, néanmoins, est la peur d’être rejeté. N’osant affronter cette réalité intime, n’osant s’affirmer, il se barre lui-même la route vers le bonheur.

Au cours de ses expériences, il prend la mesure de sa souffrance. Plus celle-ci devient nette ou distincte, en un mot plus elle fait mal, et plus le personnage évolue émotionnellement.

Le processus est similaire dans l’évolution d’une relation. Voir, par exemple, comment une relation évolue de l’amour à la haine est passionnant à suivre. Ce qu’il faut, en tant qu’auteur et autrice, c’est oser s’emparer d’émotions qui pourraient nous blesser ou qui nous blessent déjà et d’oser en parler.
Peut-être que d’écrire une scène dans laquelle le personnage serait rejeté peut aider à discerner ses émotions même si cette scène ne satisfait pas et qu’elle ne sera pas dans le récit ; c’est en fait un début de recherches sur cette émotion particulière du personnage, sur ce qu’il aurait pu refoulé et qui remonte bruyamment à la surface au fur et à mesure du parcours du personnage à travers l’intrigue.

Le passé

Les fondations d’un personnage sont facilitées lorsqu’on enquête sur son passé. Qu’a t-il fait ? Et les conditions dans lesquelles il a fait ce qu’il a fait ; qu’a t-il subi ? Pourquoi et comment ? Vous pouvez consacrer un peu d’espace à cette histoire personnelle du personnage si le récit l’exige. Tant que vous avez connaissance, en tant qu’autrice et auteur, de ce qu’il s’est produit auparavant dans la vie du personnage et que cela a infusé avec ce qu’il est devenu, c’est-à-dire maintenant dans le présent du récit, vous serez mieux averti de ce qu’il deviendra lorsque son passé se confrontera à de nouvelles expériences dont il n’a pas l’habitude.

La manière dont un personnage interagit avec le monde, avec autrui, s’ancre dans le passé. Il ne se débarrassera pas de son passé tant qu’il n’en aura pas pris conscience. Confronter ses peurs est aussi douloureux dans la fiction que dans la vie réelle.

En fiction, ces peurs sont souvent externalisées comme incarnées dans un autre personnage. En quelque sorte, cet autre personnage représente le mauvais génie qui rappelle le danger d’oublier le mal qu’on a fait ou qu’on a subi, qui ravive la souffrance vécue. Cet autre personnage cherche à nous retenir dans le passé.

Vers le point médian du récit, pour mieux se comprendre lui-même, pour qu’il puisse continuer à avancer dans sa vie, le personnage se tournera vers ses profondeurs. C’est souvent l’occasion d’une crise personnelle, ce que Joseph Campbell nomme l’étape de la inmost cave (Approaching the inmost cave), car s’approcher de ce qu’il y a de plus profond, de plus secret en nous-mêmes s’avère un moment particulièrement difficile si tant est qu’on en ressorte sain et sauf et meilleur.

Ce sentiment de désespérance, néanmoins, est momentané. Habituellement, le personnage s’en sert comme d’une ressource qui relance le récit qui consiste à accepter l’ultime combat contre l’adversité. Le personnage peut trouver lui-même cette ressource en son sein ou bien être aidé en cela par un mentor ou un autre allié si le mentor a déjà trouvé la mort (ce qui n’est pas rare dans les récits mythologiques).

Définir ce qui effraie le personnage est la clef de son arc dramatique. L’arc dramatique consiste en une inversion de polarité : d’abord par exemple un manque de confiance en soi qui suit un trauma émotionnel qui s’est produit dans son passé et dont les effets sont encore présents car rien ne vient sans effet (nous dit Spinoza) puis une route des épreuves qui le mènera à une grave crise personnelle lui permettant de se dire enfin sa vérité.

L’arc dramatique se clôt alors sur une nouvelle vision du monde. Une relation ne fonctionne pas différemment. Elle peut s’ouvrir par exemple sur la haine (la relation passée explique cette haine) et se conclure sur l’amour (quand les épreuves auront démontré la vanité de cette haine initiale).

Un changement

Le changement serait donc le second élément après le conflit qui permet le drame. Pour s’assurer de ce changement, il faut savoir comment se terminera le récit au moment où l’on se met à l’écrire. Si, par exemple, on sait déjà qu’une relation se terminera sur la haine, il faut qu’elle commence par l’amour pour qu’il y ait drame car la haine pour la haine ou l’amour pour l’amour ne sont pas des relations dramatiques.

Le drame se tire de l’inversion des valeurs. Mais jusqu’au dernier moment, c’est-à-dire au moment de ce climax, l’ultime confrontation, l’incertitude est maintenue. L’héroïne qui se précipite à l’aéroport pour enfin déclarer son amour à celui ou à celle qu’elle aime avant qu’il ou elle ne disparaisse à jamais arrivera trop tard, l’avion a déjà décollé.
Cette première phase du climax est un retour au point médian, au moment du All is lost, où tout est perdu mais, acceptant la terrible réalité, elle se retourne et là, plongeant son regard dans le sien, l’amour de sa vie n’était pas dans cet avion.

Ce changement est un apprentissage.

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