EMPATHIE, VOUS AVEZ DIT EMPATHIE ? – 2

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L’empathie n’est point chose facile comme on le constate à la lecture de notre précédent article. Il existe cependant quelques astuces narratives ou plutôt des conditions nécessaires à la mise en place de l’empathie et particulièrement dans les moments voulus.

Le malheur est un état singulier et dramatique qui crée l’empathie. C’est un outil puissant mais il n’est pas le seul. Souvent, les auteurs se concentrent sur les failles d’un personnage, ses vulnérabilités, son statut de victime, ses faiblesses, son incompréhension..
Autrices et auteurs s’efforcent de vous faire ressentir de la pitié pour le héros ou l’héroïne afin de susciter de l’empathie à leur égard. Mais nous ne compatissons pas seulement avec autrui parce que nous reconnaissons le malheur, nous compatissons aussi avec les autres lorsque nous les admirons.

L’admiration

La compassion est un aspect de l’empathie, car si nous compatissons aux faiblesses des personnages, nous devons également faire confiance à leurs forces. C’est dans ce domaine que beaucoup de débutants échouent dans leur tâche, constate Matt Bird.

Lectrices et lecteurs sont naturellement enclins à rejeter un personnage tant qu’il n’a pas mérité leur investissement émotionnel. Vos héros ne doivent pas nécessairement être des bienfaiteurs ou des sauveurs de l’humanité, mais ils doivent être actifs, pleins de ressources et se distinguer de ceux qui les entourent, même si cela signifie qu’ils sont extraordinairement mauvais et corrompus.

Si votre personnage ne possède que des attributs qui nous font avoir de la peine pour lui, nous ne souhaitons pas, en tant que lectrice et lecteur, que ce personnage soit notre substitut ou notre avatar dans ce récit. Après tout, qui veut être représenté par un personnage absolument irrécupérable ? C’est peut-être trop nous demander.
Heureusement, il n’est pas particulièrement difficile de doter votre personnage de forces. Le désir en lui-même est une force. La volonté et la détermination de changer sa situation actuelle sont admirables. Nous devons faire confiance aux forces du personnage. Nous voulons sentir qu’il est d’une certaine manière compétent et prêt à relever les défis qui l’attendent.

Nous avons de l’empathie pour ceux que nous aimerions être. Nous reconnaissons une partie de ce que nous aimerions (parfois) être dans un autre. L’une des fonctions les plus importantes de la fiction est la réalisation de fantasmes. Le drame est un banc d’essai. Les histoires permettent au lecteur/spectateur d’explorer ses souhaits et ses fantasmes.
L’histoire (et l’empathie) a pour but d’exaucer des souhaits. C’est pourquoi certains sont attirés par la vie d’une princesse et d’autres par le combat contre le dragon. Nous voulons utiliser l’histoire comme un moyen de prendre le contrôle et de vivre ces désirs que nous ne pouvons espérer réaliser dans notre vie quotidienne. Là où nous pouvons nous sentir perdus et incompris dans la vraie vie, nous pouvons nous sentir puissants et accomplis dans la fiction grâce à la magie de l’empathie.

Nous aimons laisser libre-cours à notre imagination pour nous-mêmes dans divers contextes. Bien sûr, nous avons tous des fantasmes différents, certains plus universels que d’autres. Beaucoup d’hommes aiment s’imaginer vivre la vie d’un cow-boy indépendant et robuste, alors que la plupart des femmes n’ont pas ce genre de fantasme. Cela peut contribuer à expliquer pourquoi les films de John Wayne par exemple sont généralement appréciés des hommes mais pas des femmes (parce que les hommes ont généralement beaucoup plus de facilité à s’insérer psychologiquement dans le personnage de John Wayne – ils veulent être comme ce personnage et vivre sa vie).
Les femmes peuvent avoir moins d’empathie pour le même personnage en tant qu’avatar de leurs aspirations. Plus l’aspiration est universelle et primitive, plus la cible de l’empathie est large.

En règle générale, nous admirons les leaders. Dans une certaine mesure, c’est ancré en nous d’un point de vue anthropologique. Toutes choses égales par ailleurs, nous admirons ceux qui sont braves, courageux et dominants.
Il est important de mentionner ici que dominant n’équivaut pas nécessairement à un salaud, pas plus que soumis n’équivaut à la servilité. Nous pouvons simplement qualifier le terme dominant comme un statut élevé et le terme soumis comme un statut inférieur, une sorte de relation maître/esclave. Nous respectons ceux qui sont décidés, calmes, attentifs, contrôlés, décisifs, concis, clairs dans leurs intentions et confiants dans leurs actes. Nous admirons ceux qui se défendent et prennent la vie à pleines mains. Et cette admiration s’accompagne d’un désir d’imiter ces personnes.

Les qualités qui forcent l’admiration

Karl Iglesias a listé quelques attributs qui force l’admiration et partant, l’empathie : le pouvoir, le charisme, le leadership ; une expertise ou une compétence singulières (le docteur Strange par exemple est un chirurgien qui fait des miracles bien que son ego détruise toutes ses relations) ; le courage physique ou la force mentale qui permet de tenir, de continuer, de résister, en un mot, la résilience qui consiste à lutter malgré ses faiblesses ; la passion même si celle-ci nous aveugle ; l’héroïsme et la beauté car en effet un acte héroïque attire autant que l’étrange beauté que peuvent posséder certains d’entre nous ; la sagesse, l’esprit et l’intelligence ; le sens de l’humour, l’innocence ou l’enthousiasme ; la rébellion ou l’excentricité car souvent l’héroïne et le héros refusent de s’adapter au monde qui leur est imposé.

Nous ne nous identifions pas à ces personnages mais à ces traits qu’ils représentent. Il en est de même avec le désir, c’est-à-dire l’objectif du héros, ce qu’il poursuit. Nous pouvons nous identifier au sentiment de désir. Et nous imaginons particulièrement bien être le type de personne qui agit pour réaliser son désir.

Bien que nous ayons tous nos propres désirs tout au long de la journée et de la vie, nous avons parfois plus de mal à prendre des mesures significatives pour atteindre et réaliser ces désirs. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles la fiction peut être si thérapeutique (Aristote y voyait une catharsis dans la tragédie) considérée sous cet angle du fantasme. Nous voulons vivre la vie de quelqu’un qui éprouve un désir ardent et qui a le courage de se lever et de le poursuivre. Lorsqu’un personnage a un désir fort et brûlant, nous pouvons nous identifier à ce sentiment.

Le désir nous permet également de découvrir la vraie nature d’un personnage. Comprendre l’objectif d’un personnage est un élément essentiel pour s’intéresser à ce qu’il lui arrive dans une histoire. Si nous comprenons le désir d’un personnage et que nous avons de l’empathie pour lui, nous aurons envie de voir si le personnage réussit à atteindre ce désir.

Pour John Yorke, un récit se définit par ce principe essentiel : le personnage principal a un but actif ; il désire quelque chose et agit pour l’obtenir. Si les personnages n’en ont pas, il est presque impossible de s’intéresser à eux. Ils sont nos avatars et donc notre point d’entrée dans le récit : ce sont eux que nous voulons le plus voir triompher ou trouver la rédemption – ou même être punis s’ils ont transgressé, car inconsciemment nous pouvons être profondément masochistes dans nos désirs puisqu’ils sont nous.

Si le personnage ne veut rien, la lectrice et le lecteur ne voudront rien non plus. Nous voulons voir des personnages qui luttent, cherchent et se cherchent. Nous voulons voir un personnage avec une forte motivation derrière ce désir. Si un personnage n’a pas cette puissante motivation à agir, comment pourra-t-il surmonter les obstacles apparemment insurmontables qui l’attendent inévitablement ?

Nous voulons voir un personnage qui est infatigable dans sa quête, poussé par une motivation claire et forte. Si un personnage ne se bat pas activement pour quelque chose, il est difficile de s’y intéresser. Le lecteur/spectateur veut ce que les personnages veulent et si les personnages n’ont pas de désir, alors le lecteur/spectateur n’a pas de désir.

Le pouvoir de l’imagination

D’aucuns pensent que l’empathie appartient à l’imaginaire. Il s’agit d’imaginer que nous sommes dans le récit et que nous incarnons les actions du personnage principal (nous nous imaginons souvent jouer nos propres scénarios dans nos rêves et nos fantasmes, par exemple).

C’est l’une des raisons pour lesquelles les histoires peuvent être des fantasmes ou des vecteurs pour la réalisation de souhaits si puissantes (pour des fantasmes bienveillants ou malveillants). Certains de ces fantasmes sont des tentations sombres et perverses. Certains explorent les pulsions les plus primaires et les plus pernicieuses de notre part d’ombre : notre désir de pouvoir quelque soit le prix à payer, notre désir de domination et de conquête, notre désir de vengeance et de vigilantisme..

Nous pouvons, par moments, reconnaître les ténèbres qui sont en nous, même si nous n’osons pas en parler en public. Nous étouffons nos désirs, et pourtant nous les avons toujours. Nous ne souhaitons peut-être pas être comme le vil antihéros à l’écran, mais nous aimerions parfois pouvoir goûter à ce qu’il ressent.

Parfois, nous souhaitons pouvoir protéger et défendre notre famille de la même manière qu’un criminel, avec la même efficacité, quel qu’en soit le prix. Parfois, nous aimerions pouvoir monter un casse avec autant d’intelligence, de perfection et d’aisance, tout en restant nous-mêmes, sans quitter nos habitudes.

Nous souhaitons parfois être aussi bons dans ce que nous faisons que ce personnage l’est dans ce qu’il fait. Nous avons un désir de maîtrise. Nous respectons le professionnel accompli et le fruit de son travail. Nous aimerions parfois pouvoir nous rebeller contre les forces bureaucratiques qui étouffent nos initiatives à chaque instant. Nous aimerions ne rien laisser se mettre en travers de nos désirs. Nous souhaitons, nous imaginons et nous fantasmons. C’est la racine de notre empathie.
William C. Martell insiste d’ailleurs sur ce point en affirmant que nous voulons tous secrètement, parfois, faire de mauvaises choses. Mais nous ne pouvons pas le faire. Il y a beaucoup de films sur des criminels de carrière parce que nous avons tous parfois envie d’enfreindre la loi. Il y en a aussi sur des gens qui font des choses terribles, affreuses, parce que nous avons ce désir en nous.

C’est l’accomplissement de ce fantasme que produit le récit. Et John Yorke ajoute que non seulement les théories psychologiques suggèrent toutes que l’homme vit dans un état conflictuel, névrotique, dans lequel les désirs primitifs sont en contradiction avec les comportements socialement acceptables, mais elles acceptent aussi tacitement que ces névroses doivent être intégrées et dépassées pour que le bonheur soit atteint.

La recherche de la sécurité, ironiquement, implique de réprimer ces autres désirs, consciemment ou inconsciemment, afin de pouvoir vivre au sein d’un groupe. Un désir sexuel effréné, ou une soif de vengeance, ne sont tout simplement pas compatibles avec le consensus sur lequel les sociétés tendent à s’appuyer – au contraire, ils mettent en péril la sécurité recherchée.
Ces autres désirs doivent donc être réprimés, ce qui crée un conflit entre la façon dont nous voulons être perçus et les sentiments plus profonds que nous hésitons à admettre, tant chez les autres que chez nous-mêmes. Et si nous paraphrasons Saint Paul, nous dirions que la chair ne connaît pas le bien et malgré que nous voulions faire le bien, c’est le mal que nous pratiquons naturellement.

Et cela explique pourquoi nous pouvons éprouver de l’empathie pour les personnages les plus vils et les plus impitoyables. Parce qu’il y a des parties d’eux que non seulement nous comprenons, mais que nous admirons, même si nous n’osons pas l’admettre. C’est le désir de notre moi primitif, de notre ombre intérieure comme dirait Jung (ou du ça comme dirait Freud).

Et cette admiration excite notre imaginaire et notre fantasme d’être à leur place. Notre admiration peut même être aussi simple que d’apprécier le fait qu’ils prennent ce qu’ils veulent, et de souhaiter que nous soyons davantage comme eux. Nous n’avons pas besoin d’admirer tous les aspects d’un personnage pour éprouver de l’empathie à son égard, mais seulement suffisamment pour le comprendre.

Il convient d’accepter que nous avons tous une confrontation qui fait rage en nous entre nos instincts et ce que nous devons faire pour exister dans une société policée. Comme l’explique John Yorke, nous sommes tous des animaux et pourtant nous sommes tous capables de rationalité. Nous avons tous notre propre survie à assurer, mais nous devons tous vivre en société.
Pour que ces instincts animaux et rationnels s’accordent, nous imposons des restrictions sur nombre de choses que nous ressentons ou voudrions dire car elles ne sont tout simplement pas acceptables en société.

Nous éprouvons de l’empathie pour les personnages qui, au fond, sont en conflit entre leur moi intérieur et leur moi extérieur. Il y a un abyme entre ce qu’ils veulent être (c’est-à-dire comment ils veulent être perçus si nous nous définissons sous le regard d’autrui) et ce qu’ils sentent être à l’intérieur. Nous pouvons nous identifier à ce problème et nous pouvons donc éprouver de l’empathie pour les personnages ainsi en souffrance.

Ce conflit entre ce qu’est un personnage et ce qu’il veut être est l’opportunité que la vraie vie offre à la fiction. Autrices et auteurs ont toujours su que lorsque leurs personnages agissent d’une manière qu’ils professent désapprouver, lorsqu’ils mentent, lorsqu’ils se sabotent eux-mêmes et agissent généralement à l’encontre de leurs déclarations et croyances conscientes, ils sont bien plus intéressants, bien plus passionnants à écrire, et apparaissent bien plus fidèles à la réalité, ajoute John Yorke.

Cette étude sur l’empathie mérite encore quelques recherches dans le prochain article. Et si vous souhaitez nous aider à persévérer à vos côtés, à vous soutenir dans tous vos projets d’écriture, MERCI de penser à faire un don de temps en temps.

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