CONSTRUIRE L’INTRIGUE

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Quand on commence à réfléchir à une nouvelle histoire après avoir posé ce qui nous semble une prémisse intéressante, l’étape suivante sera de comprendre les motivations de ses personnages.
Pourquoi ? Parce que lectrices et lecteurs ont besoin de comprendre pourquoi les personnages agissent comme ils le font.

Considérez toujours l’intelligence de votre lecteur/spectateur. Après avoir exposé quelques traits de vos personnages dès l’acte Un, lectrices et lecteurs s’attendent à le voir agir conformément à cette exposition même si elle n’est que partielle.

La question de l’arc dramatique

Le premier questionnement à se poser est de savoir si un personnage donné connaîtra ou non une évolution de sa personnalité. Suivra t-il un arc dramatique ?

Prenons par exemple Superman. C’est un personnage qui est parfaitement identique à la fin du récit à ce qu’il était dès le début. Émotionnellement il est le même. Il a réalisé son objectif, il a certainement triomphé mais sur le plan humain, il est précisément le même être.
Contrairement à Scrooge. Scrooge est un personnage qui comprend enfin des choses sur lui-même. Les épreuves de son aventure lui ont dessillé les yeux. Scrooge est un personnage fondamentalement différent à la fin du récit. Ici, il est devenu meilleur qu’il ne l’était au début.

Cela offre une opportunité intéressante car un personnage qui évolue, qui change par exemple pour le meilleur de lui-même pourrait ne pas réussir sa mission, échouer sur son objectif. Cependant, combler ce besoin qu’il avait de se découvrir, d’aller à la rencontre de lui-même est le véritable triomphe.

Ce n’est que lorsqu’un personnage échoue à la fois sur son désir (son objectif) et sur le plan personnel (il ne parvient pas à combler le vide qui occupe une partie de sa personnalité) que le récit est alors une tragédie.

La question de l’intrigue

Une histoire implique une suspension du jugement de la part de vos lectrices et de vos lecteurs. Ce qu’il se passe dans l’intrigue est considéré comme réel dans le cadre de l’intrigue. 4 jeunes gens sont enlevés par des aliens et lorsqu’ils reviennent à eux, non seulement les deux filles se retrouvent enceintes mais les deux garçons aussi.
Cette image est impossible dans notre réalité. Dans le contexte de l’histoire, c’est possible.

Les conditions pratiques (l’enlèvement par les extraterrestres et quelles que soient les expériences menées sur ces pauvres humains) sont établies. En rendant ainsi les choses possibles, vous créez une anticipation chez le lecteur/spectateur. Le dénouement sera surprenant car il faut prendre les lecteurs et les lectrices à contre-pied de leurs expectations mais ce dénouement est inexorable.
Vous ne pourrez pas proposer un dénouement qui ne soit pas en rapport avec le devenir de mes quatre personnages et de leurs rejetons non désirés. D’où la nécessité pour l’autrice et l’auteur de connaître déjà (ou du moins d’envisager) ce que sera la fin de son histoire (la fin de l’humanité par exemple).

Il est difficile de savoir ce qui rend un concept intéressant ou bien ordinaire. Terry Rossio (Pirates des Caraibles, Shrek, Aladdin..) était l’un de ceux qui ne parvenaient pas à déterminer ce qui rendait un concept de film suffisamment original pour inciter le lecteur/spectateur à l’adopter avec un intérêt et une intrigue purs et simples.
Une œuvre même très bien écrite peut néanmoins rester dans l’ombre s’il lui manque ce que Rossio nomme une étrange attraction (Strange Attractor). Étrange signifie unique : l’étrangeté dans une chose la rend singulière.

Quant à l’attraction, elle dénote une attirance, un attrait envers quelque chose, donc cette chose retient l’attention par quelque moyen. Une étrange attraction désigne alors quelque chose qui soit suffisamment original et aussi d’une certaine façon fascinant, interrogatif.
Ce que Terry Rossio cherche à dire, c’est que le concept de votre projet doit être unique – quelque chose qui n’a jamais été fait auparavant ou alors d’une manière totalement différente – et qu’il doit en même temps attirer les regards.

Rossio donne cet exemple : Un homme condamné à tort pour meurtre mène sa propre enquête depuis sa cellule.
Intéressant mais la nature conflictuelle de la prémisse ne se fait pas trop sentir. Essayons autre chose : Un homme condamné à tort pour meurtre apprend à se projeter astralement hors de sa cellule. Il doit retrouver le véritable assassin afin d’innocenter son nom.

Mais alors quelle est cette étrange attraction qu’est censé exercé une prémisse sur un lecteur/spectateur ? Dans cet exemple l’étrangeté de la situation est de s’évader de prison [un concept qui s’enracine dans la réalité] par le moyen de son corps astral : suffisamment étrange pour susciter un peu de curiosité.

Et si vous introduisez dans votre prémisse des idées qui explorent la condition humaine, vous rendrez votre promesse encore plus spécifique et universelle. Cette séduction est en fait ce qui rend votre idée unique. Un couple de frères se rendant sur une île isolée pour retrouver leur tante disparue ? Pas d’attirance particulière ici.
Deux frères se rendent sur une île emplie de dinosaures pour retrouver leur tante disparue qui est en fait la personne qui gère ce laboratoire à ciel ouvert : Maintenant vous avez une force attractive qui vaut ce qu’elle vaut, mais le principe est qu’elle existe au sein de la prémisse.

Quelques exemples de l’étrange attraction des prémisses

Dans Memento, l’histoire d’un homme qui tente de retrouver l’assassin de sa femme est incontestablement le cœur du récit. Mais l’élément qui distingue cette prémisse d’autres tout à fait semblables est l’ajout du fait qu’il souffre d’une amnésie à court terme et qu’il doit se fier à des indices qu’il s’est lui-même tatoué sur le corps.

Dans Sans un bruit, l’histoire d’une famille survivant dans les bois après qu’une race extraterrestre a conquis la Terre est assez convaincante, bien que familière. Mais l’étrangeté de la situation dépeinte dans la prémisse est l’ajout d’un concept selon lequel les extraterrestres sont attirés par le son. Ainsi, la famille doit vivre dans le silence le plus complet ou être tuée par les bêtes sensibles aux bruits.

Quelques caractéristiques

  • La prémisse révèle un monde aux nouvelles limites. Certains des meilleurs concepts révèlent que le monde ou l’esprit humain sont bien plus vastes, plus magiques et plus complexes qu’on ne le croit généralement. La franchise Harry Potter par exemple réussit à démontrer cette thématique.
  • Une certaine universalité est présente dans la prémisse, quelque chose de partagé par le plus grand nombre ou de facilement appréhendé par la plupart d’entre nous : dans Big, il s’agit du désir de devenir grand et cela se produit en effet en une nuit.
  • Le retour aux sources vers des thèmes classiques ou peut-être même retravailler les vertus exposées dans les fables. Le thème de l’outsider comme dans Rocky est un sujet maintes fois posé mais exposé toujours sous un éclairage nouveau : on ne rediscute pas le thème, ce qui serait ennuyeux, on en présente une nouvelle version.

Une prémisse quelque peu idéale présenterait ainsi quelque chose de familier qui soit par nature universel et qui introduirait dans cette familiarité, dans cette description qui nous ancre encore dans notre réalité, l’élément perturbateur qui rend la situation décrite comme quelque chose d’étrange qui étonne, surprend.

Le genre intervient beaucoup dans le degré de réalisme ou d’inhabituel ainsi que la cible des lecteurs et lectrices que vise un récit : on ne s’adresse pas de la même manière à un enfant ou à un adulte (ou un adolescent).

La problématique devient donc pour les autrices et les auteurs de connaître où ils veulent situer ce seuil entre réalisme, familiarité des faits et l’étrangeté d’une situation qui, précisément, nous éloigne du réel tout en exigeant du lecteur et de la lectrice une foi sans réserve dans le discours du récit.

Les aspects de l’intrigue

Un aspect majeur de l’intrigue est sa capacité à progresser. Nous parlons de temps dorénavant. Car une histoire joue avec la durée des événements. En une phrase, dix années se sont écoulées. Ou bien en dix pages (ce qui équivaut à environ une dizaine de minutes en termes scénaristiques), les cinq minutes les plus cruciales de votre héroïne ou de votre héros ont été décrites dans les détails les plus significatifs.

C’est vous, autrices et auteurs, qui êtes responsables de toutes ces différentes durées, de ces distorsions temporelles. Vous les organisez selon l’effet que vous cherchez à obtenir sur votre lecteur/spectateur. L’instrument de ces effets est de créer de la tension dramatique, c’est le moyen par lequel vous atteignez émotionnellement le lecteur/spectateur.

Une intrigue qui occupe l’espace de l’acte Deux (le plus long à parcourir) consiste en une promesse faite au lecteur/spectateur. Plus exactement, cette promesse est donnée dans l’acte Un, l’acte Deux consistant à donner de la matière à cette promesse, à la développer dans des directions inattendues que lectrices et lecteurs ne peuvent anticiper.

Ne cédez pas cependant à la tentation de la facilité en usant d’un Deux Ex Machina pour sortir votre héros ou votre héroïne des ornières de l’impasse dans lesquelles vous les avez vous-mêmes jetés : un hasard providentiel ne fait jamais bon effet en fiction (c’est moins vrai néanmoins pour l’incident déclencheur où le hasard d’une rencontre peut donner corps à toute une intrigue).

Plus tôt dans le récit, vous promettez quelque chose à votre lecteur/spectateur et plus tôt vous l’accrocherez à votre histoire. Le prologue est le moment idéal pour faire cette promesse.

Le prologue

Le prologue existe indépendamment de l’histoire. C’est un moyen d’introduire des détails du contexte ou quelques informations sur les personnages mais dont la pertinence n’est pas immédiatement évidente.

C’est au tragédien Euripide que nous devons l’invention du prologue. Euripide est connu pour ses œuvres sur les aspects les plus sombres de notre humanité. Ses intrigues mettent en avant passion et vengeance ; deux notions par nature intimement liées.

Considérons le prologue de Médée : une femme se venge de son mari infidèle en l’assassinant, ainsi que son amant et ses propres enfants (sa haine de Jason s’est porté jusqu’aux enfants qu’elle a eu de lui).

Mais avant de passer à l’action, une vieille nourrice entre en scène et raconte au public certains des faits survenus jusqu’à présent :

  1. Médée et son mari, Jason, ont des problèmes conjugaux.
  2. Jason s’est enfui avec une autre femme.
  3. Médée a été frappée par le chagrin et a même commencé à mépriser ses propres enfants.

La nourrice termine son discours en disant que toute la famille semble être condamnée.

Qu’attend-on d’un prologue ?

  • Il anticipe les événements à venir.
  • Il fournit des informations sur le contexte en général ou plus spécialement sur le contexte du conflit majeur. Le conflit majeur dans Les Aventuriers de l’Arche Perdue est celui qui oppose Indy, Belloq et les nazis, alors qu’ils font tous la course pour trouver l’Arche d’Alliance en premier.
    Et en voici le prologue : Nous sommes en 1936, en Amérique du Sud, au Pérou. Indiana Jones traverse la jungle avec deux hommes de main, il est à la recherche de l’idole d’or. Lorsqu’il la trouve et qu’il réussit à sortir du temple parsemé de nombreux pièges, un groupe de locaux le rencontre à l’extérieur. Ils sont dirigés par René Belloq, son adversaire. Indiana est obligé de lui donner l’idole et parvient à s’échapper. J’ai surligné les éléments qui informe déjà sur l’histoire à venir.
  • Le prologue permet aussi de proposer un point de vue. Ce peut être celui du personnage principal s’il est aussi le narrateur de sa propre histoire (on le qualifie alors d’autodiégétique mais s’il n’est pas le personnage principal, il est intradiégétique ; le terme diégétique a été défini à l’origine par les théoriciens du cinéma).
    Habituellement, le personnage principal n’est pas présent dans le prologue. Mais alors Indy ? Simplement, Indy n’est pas le personnage principal. Celui pour lequel on souffre et ressent de la compassion ou du moins dont’on comprend les émotions : c’est Marion.
  • Enfin, le prologue peut servir à donner le ton du genre dans lequel s’inscrit le récit.

Le prologue participe grandement à la promesse que vous faites à vos lectrices et lecteurs. C’est par ce moyen que vous les ferrerez dans votre histoire.

Un pied dans le réel

Concernant l’intrigue, on pourrait tenter afin de se montrer encore plus original de lier deux concepts d’étrangeté comme défini par Terry Rossio mais Brandon Sanderson prévient que la suspension du jugement (nécessaire à toute œuvre de fiction) exige néanmoins de s’implanter dans le réel : c’est-à-dire que vous pouvez situer l’action dans un navire spatial après la destruction de la terre ET conter les aventures d’un avocat chargé de défendre un militaire accusé (peut-être injustement) d’intelligence avec les extra-terrestres.
Ce qui est familier et qui, par comparaison, renforce l’étrangeté d’une situation, c’est ce travail d’un avocat de la défense, c’est aussi la promptitude d’une opinion publique à jeter l’opprobre sur ce qui n’est que de simples suspicions : des conditions terrestres qui nous relie à la réalité.

Un récit fonctionne t-il mieux lorsqu’il est structuré en trois actes ? D’abord, cela dépend d’où vous êtes dans le monde. En effet, l’occident apprécie les trois actes alors que les récits orientaux, indiens.., les mythes aussi selon le lieu de leur naissance, ne s’occupent pas de mener une histoire à son dénouement ou de prendre le temps lors d’un premier acte d’exposer une situation initiale et des personnages.
Ces récits débuteraient après l’incident déclencheur, dans une manière de In Media Res où les choses sont déjà ainsi.

Trois actes fonctionnent ainsi : une introduction qui met les choses en place et confirme à la lectrice et au lecteur que la promesse faite sur le genre (qui les a attirés vers cette histoire plutôt qu’une autre) est bien conforme à leur expectation. Puis il se produit un moment de transition assez dramatique vers l’acte Deux lorsque le héros ou l’héroïne sont forcés de prendre une décision.

Cette articulation du récit n’est pas soudaine. Un mouvement existe entre le moment de l’incident déclencheur qui trouble le quotidien du personnage principal, celui de la résistance qu’il oppose car il veut maintenir l’équilibre illusoire de sa vie actuelle et puis un événement qui lui fait prendre conscience qu’il lui faut maintenant s’engager dans une aventure, dans un monde qu’il ne connaît pas afin de combler le besoin, le manque qui a fait de lui un être incomplet ou du moins qui a orienté sa vie jusqu’à présent le long d’une voie insatisfaisante.

Pénétrer l’acte Deux consiste en un point de non retour. Parvenu au seuil de l’intrigue, si le héros ou l’héroïne s’y engagent (et il le faut car sinon, on n’aurait rien à raconter), cette force qui les pousse à agir, à aller inexorablement vers l’avant, leur interdit toute possibilité de revenir à leur situation d’autrefois.
En effet, agir est le verbe d’action qui détermine l’intrigue. Il y a un désir, sauver la princesse par exemple, mais subir et réussir les épreuves qui s’imposent à tout chevalier afin de montrer qu’il est digne de cette mission, qu’il a gagné suffisamment de confiance en lui pour prétendre au salut de la princesse, est une initiation obligée décrite par l’intrigue.

Une confrontation

L’intrigue est donc le lieu de la confrontation, c’est-à-dire le problème du héros ou de l’héroïne. Car ce ne sont pas les obstacles, qui ne sont que des faits, ce contre quoi lutte le personnage principal.
Il a un problème, par exemple il ne peut faire le deuil de son enfant tué par un chauffard ; c’est la réponse que le personnage principal donnera à ce problème qu’illustre l’intrigue au cours des tribulations et pérégrinations du personnage principal.

Parviendra t-il ou non à faire le deuil ? C’est la question qui se pose en filigrane sous la question dramatique de savoir s’il réussira ou non à sauver la princesse.

Comme dans la vie réelle, il n’est pas facile de comprendre ce qui ne va pas dans nos vies. Et la fiction traduit cette vérité à sa manière en rendant les choses qui arrivent au personnage principal de plus en plus compliquées à gérer. Auteurs et autrices ne doivent pas hésiter à faire souffrir leurs personnages même s’ils ont une tendresse particulière pour eux.

Au seuil entre l’acte Deux et l’acte Un, deux éléments doivent être établis : l’objectif que poursuit l’ensemble des personnages (ou Dramatis Personæ) car en effet, si l’héroïne ou le héros se lance dans une quête quelconque, il y aura forcément quelqu’un ou quelque chose qui cherchera à l’en empêcher.

Le héros ou l’héroïne rencontreront problablement sur le chemin des alliés et même un mentor. L’adversaire bénéficiera aussi d’aides extérieures bien qu’il soit habituellement très puissant, bien plus que ne le sont le héros et l’héroïne.

Il sera aussi établi une quête personnelle, un besoin qu’il faut combler. Si Luke ne parvient pas à gagner la confiance en lui qu’il lui manque, il ne pourra pas sauver la princesse et pourrait même être vaincu. Et cette histoire serait alors tragique.
Alors que cette recherche de soi peut être subtil et encore indistincte dans l’esprit du lecteur ou de la lectrice, ce dont ils doivent être néanmoins certains, c’est la nature de ce que le héros ou l’héroïne cherchent à accomplir. Si une catastrophe naturelle a séparé une famille, l’objectif du père, le personnage principal, sera de réunir les membres de sa famille et de leur porter secours avant qu’ils ne succombent à leurs blessures.

Cette mission doit être claire et distincte dans l’esprit du lecteur/spectateur lorsque débute l’intrigue. Parce que l’intrigue est exactement ce dont cette histoire parle. Elle est une illustration, une certaine représentation mais elle n’est pas le message de l’autrice ou de l’auteur qui se donne dans le dénouement.

Lorsque tout va mal

L’articulation vers l’acte Trois se concrétise par un moment assez douloureux dans la vie du personnage principal. Il a essayé quelques stratégies au cours de l’acte Deux qui l’ont tantôt rapproché, tantôt éloigné de son objectif.

Puis, c’est la chute. Le désespoir est palpable ; c’est le All is Lost, tout est perdu ; c’est le moment de la nuit obscure de l’âme.

Pourtant, le personnage principal ne peut rester longtemps dans cet état. Il lui faut trouver en lui la force de reprendre la lutte car s’il échoue une nouvelle fois, c’est la fin de l’histoire. L’acte Trois sera donc la résolution avec une conclusion satisfaisante ce qui ne signifie pas nécessairement un happy ending, la conclusion sera logique avec votre message.

Tout au long de votre récit, vous avez exposé le pour et le contre d’une idée et à la fin de celui-ci, vous démontrez pourquoi le pour ou le contre l’emporte selon votre message.

Comme n’importe quelle autre structure, le modèle en trois actes facilite l’écriture de l’histoire. Il faut être convaincu que l’utilisation d’une structure n’entrave pas la créativité. C’est un mode d’écriture parmi d’autres qui vous permet d’exprimer votre créativité.
Si cela ne fonctionne pas avec ce paradigme, vous pourrez toujours en tenter d’autres. La structure n’est rien d’autre qu’un outil.

Ce qui est important à faire, c’est de maintenir l’élan du récit, une énergie qui le pousse vers l’avant, de faire en sorte que le lecteur/spectateur ne cesse de se demander ce qu’il se passera ensuite : un fait s’est produit, quelles en sont les conséquences ?
Car une histoire est une succession d’événements et d’action et cette suite donne un sentiment de progression qui retient le lecteur/spectateur dans le récit.

Le monomyth de Joseph Campbell

intrigueC’est une alternative à la notion des trois actes.

Il y a un personnage qui est en quelque sorte ignorant mais en paix. L’embarras de l’ignorance est sa porosité qui nous rend perméable à toutes sortes d’opinions issues de sources aux intentions manipulatrices et si l’on manque d’esprit critique barré par l’ignorance, le risque est grand de ne plus penser par nous-mêmes.

Quoiqu’il en soit, lors du premier acte, le personnage est en paix ou croit-il l’être avec lui-même et probablement avec le monde. Une force le pousse vers le moment du Threshold, c’est-à-dire un seuil qui sépare le connu (Known, le monde ordinaire) de l’inconnu (Unknown car en effet, le personnage ne connaît pas ce monde où cette force l’incite à pénétrer).

Avant le seuil, Campbell note que dans les mythes le personnage fait une rencontre particulière que Campbell nomme Supernatural aid. Cette aide surnaturelle est l’étape du Hero’s Journey au cours de laquelle le héros rencontre une aide d’un autre monde. Cette aide surnaturelle est une personnification de la destinée du héros.

Le héros est donc guidé sur le chemin de son aventure par une aide surnaturelle. Cet aidant est la personnification du destin. Souvent, l’aide surnaturelle prend la forme d’un vieil homme ou d’une vieille femme, comme la fée marraine, un sorcier, un berger, un forgeron ou le bûcheron des contes de fées européens.
Mais l’aide surnaturelle peut aussi prendre d’autres formes, comme celle de la Vierge Marie dans de nombreuses légendes de saints chrétiens du Moyen Âge. Dans la mythologie antique de l’Égypte et de la Grèce, ce personnage était le passeur, le conducteur des âmes vers l’au-delà – Thot dans la tradition égyptienne et Hermès ou Mercure dans les mythologies grecque et romaine.

L’aide surnaturelle est une figure bienveillante, un guide qui protège le héros et le guide vers son destin. L’aide surnaturelle existe pour réconforter le héros et lui assurer que, même si le chemin est incertain et effrayant (comme tous nos propres chemins dans la vie le sont à un moment ou à un autre), il résistera et sortira de son aventure plus fort qu’il ne l’était au départ.

Cette Supernatural aid est habituellement reconnue dans les récits comme le mentor. On peut néanmoins substituer au personnage du mentor une expérience singulière que vivra le héros et lui fera comprendre qu’il lui faut changer.
Cette expérience est similaire à la prise de conscience que le héros ne peut plus être ce qu’il est, que ce qu’il est ne correspond pas à sa vraie nature. Le Threshold, une fois franchi, est le commencement de la transformation (beginning of the transformation).

Réticence

La fonction du mentor est claire : il doit convaincre le héros de suivre telle ou telle destinée, qu’il le veuille ou non. Cela signifie que le héros doit acquérir certains des attributs du mentor, dit autrement, l’héritage du mentor doit imprégner la personnalité du héros ; c’est un passage de connaissances, une sorte d’initiation.

Pourtant, le héros fera preuve d’une certaine réticence face à la proposition du mentor. Cette proposition implique un engagement que le héros n’est pas encore prêt à faire. Il y a un appel à l’aventure (Call to Adventure) mais contrairement au chevalier des romans courtois qui demandait sa mise à l’épreuve à travers des aventures, le héros de Campbell commence par refuser cette aventure (Refusal of the Call).

Un second événement surviendra néanmoins au cours duquel le héros réalisera qu’il doit changer car il prend encore conscience qu’il y a décidément dans sa vie quelque chose qui ne le satisfait pas. Il ressent vraiment en lui cette imperfection et décide de suivre cet horizon qui l’effraie.

Et voici l’intrigue : Challenges and Temptations, le temps des épreuves.

Ce temps aboutit à la révélation de soi que Campbell nomme Death and Rebirth : mort & renaissance. Ce moment de la révélation est confondu avec les abysses telles que les conçoit Campbell : je vous renvoie à ces deux articles LE CONCEPT D’ABYSSE CHEZ CAMPBELL – 1 et LE CONCEPT D’ABYSSE CHEZ CAMPBELL – 2 car pour Campbell les profondeurs abyssales ne sont pas le néant, d’elles émanent la vie, la lumière dont le héros doit s’envelopper après avoir traversé les ténèbres (mort & renaissance).

Avant la révélation, il arrive que l’aidant (Helper), en général il s’agit du mentor, meurt physiquement. Cette perte est souvent suivie d’un don offert au héros. Il acquiert une puissance nouvelle, une qualité qu’il ne possédait pas mais dont il se servira contre l’adversité.
Sans ce don dont il lui faut a priori être digne, par l’apprentissage, par les souffrances vécues dont la perte du mentor, il ne saurait vaincre son antagonisme.

Ce que Campbell détermine comme transformation et atonement (c’est-à-dire transformation et expiation), la narratologie moderne le distingue comme anagnorisis. C’est une reconnaissance de la véritable nature du héros.

Dorénavant, il est en phase avec lui-même. C’est un être entier qui a atteint une certaine perfection. C’est la renaissance ou résurrection de mort & renaissance. C’est un état de compréhension et de sérénité. Le héros s’est imprégné de la sagesse du mentor.

Le retour

Puis c’est le retour (Return) dans le monde connu, auprès de sa communauté. Le seuil se concrétise par une apothéose. Le héros par son mérite rejoint les dieux, originellement. Concrètement, ce seuil correspond au climax, l’ultime confrontation avec l’antagonisme dont l’issue porte le message de l’autrice et de l’auteur.

Le héros ne revient pas les mains vides. Ce qu’il apporte avec lui est quelque chose de bien plus précieux que l’instrument qui lui avait conféré précédemment quelques pouvoirs afin de mieux lutter contre l’adversaire.

Maintenant, le héros possède une connaissance, un savoir (Gift of the goddess). Notez que Joseph Campbell fait appel à une déesse. C’est une déesse qui remet un élixir au héros. Le retour a une finalité : le héros doit communiquer son savoir à sa communauté (ce savoir est symboliquement l’élixir). Maintenant qu’il sait, il partage, il devient mentor à son tour.

Il est important de constamment se questionner sur les choses. Il ne s’agit pas de polémiquer, seulement de tenter de comprendre, de se faire son opinion plutôt que d’absorber passivement par péché d’ignorance celle que l’on tente de vous imposer.
Pourquoi le héros refuse t-il dans un premier temps l’appel à l’aventure ? Le changement qu’il pressent peut l’effrayer. Comme dans nos vies réelles, nous sommes mus par un instinct de préservation qui provoque un mouvement inverse à celui de l’appel vers quelque chose de nouveau et par définition d’inconnu.

Le héros possède aussi un libre-arbitre qui l’autorise à dire non. Il a le choix de refuser. S’interroger sur ce que serait la vie du héros s’il n’y avait pas cette aventure à venir est un brainstorming intéressant car il permet de découvrir des détails sur la vie actuelle du personnage et ainsi de façonner celle-ci de manière bien plus concrète.

Pourquoi le mentor doit-il mourir ? Parce qu’il laisse un héritage au héros. Ce sera un héritage immatériel, une éthique, un engagement. Ainsi, le mentor ne disparaît pas totalement. Sa trace est toujours présente dans ce qui constitue désormais le héros dans son entièreté. L’assimilation du mentor par le héros confère à celui-ci une indépendance.

Pourquoi une apothéose ? Du latin apotheosis, l’apothéose signifie devenir soi-même un dieu, après avoir mérité cette promotion. L’apothéose est nécessaire car sinon le voyage du héros vers cet accomplissement personnel aurait été vain.
L’apothéose est en quelque sorte la justification de toute cette aventure. Par la compréhension qui se révèle soudain à lui, le héros connaît une transcendance. Dans les mythes, il se rapproche de l’absolu.

Des complications en dents de scie

Il faut chercher à ce que lecteurs et lectrices ne s’enlisent pas dans l’ennui. Une succession d’événements et d’actions provoquent une montée en tension puis un relâchement de celle-ci puis à nouveau une amplification par un nouveau fait, une nouvelle action.

C’est-à-dire que la plupart des scènes que vous écrirez décriront des situations conflictuelles. Dans de telles situations, il y a toujours une motivation qui est contrée d’une manière ou d’une autre. Le personnage tente alors de résoudre la situation, il ne se contente pas de l’accepter.
Un héros ou une héroïne sont ainsi proactifs. Ils ne sont pas dans un processus de soumission plutôt dans un processus de sublimation (nuancé néanmoins depuis l’apparition du climax au cours duquel une issue négative est toujours possible, selon le message qu’autrice et auteur souhaitent véhiculer par leur récit).

Ces complications en dents de scie laissent une impression de progression : chaque intensification quel que soit le moment où elle se manifeste inspire le sentiment que les choses progressent. Sans ce mouvement vers l’avant de l’intrigue, il est probable que l’attention des lecteurs et des lectrices se dissoudrait dans des pensées qui n’appartiennent pas au récit.

Le retour régulier des complications et la force à l’œuvre dans cette réitération de la tension dramatique assure la focalisation du lecteur/spectateur sur ce qu’il se passe dans l’histoire (dit autrement, il continue de tourner les pages).

Vous pourriez dépeindre une série de tableaux ou vignettes ou séquences qui ne sont liés par aucun motif justifiant pourquoi ils s’enchaînent ainsi ; ils seraient ainsi juxtaposés et pourtant, vous pouvez maintenir l’attention si vous parvenez à rendre le mouvement qui, à partir d’une position initiale, mène vers une même conclusion.

Vous avez un personnage qui, souffrant de crise de delirium tremens, s’imagine vivre quelques aventures qui se suffisent à elles-mêmes : chaque aventure est autonome. Pour que le lecteur/spectateur ait envie de reprendre la lecture d’une nouvelle aventure, il faut parvenir à lui insuffler le sentiment que toutes les aventures mènent le personnage à la prise de conscience qu’il est une victime de son imaginaire.

Le dénouement démontrerait alors qu’il a surmonté cette tendance qui l’éloigne de la réalité et qu’il réussit sa réintégration dans le monde qu’il tentait vainement de fuir. Chaque aventure possède la même finalité pratique et c’est dans l’attente de celle-ci que nous nous focalisons sur la destinée possible de ce personnage.

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