GLENN GERS : UN AUTEUR AU TRAVAIL (12)

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Lors du précédent article, je cherchais à définir les contours de l’un des personnages nommé temporairement l’innocent. Voici quelques résultats auxquels ont abouti mes réflexions (noté sur la fiche des potentiels personnages) :

– L’innocent

  • L’assassin parvient à faire croire au groupe que l’un d’entre eux est le coupable. La pression du groupe sur ce bouc émissaire est si forte que celui-ci, déjà fragilisé émotionnellement, se suicide.
  • Secrètement amoureux d’Ariane.
  • Jaloux de l’animateur envers la réussite professionnelle de celui-ci, usé d’être toujours dans l’ombre de l’animateur.
  • Il se préparait à trahir l’animateur d’une façon ou d’une autre.

Je l’assimile à une victime sacrificielle. Sa mort ne relève pas tant du suicide mais plutôt d’un sacrifice pour sauver Ariane d’un péril létal. Je n’envisage pas le feu car il n’y a aucune justification à le jeter dans les braises ardentes de la colère de Dieu. Par contre les eaux peuvent être intéressantes car, considéré par les autres comme un paria alors que sa volonté est de s’intégrer honnêtement (contrairement à Éric qui infiltre le groupe), il me faut comprendre l’origine de cet ostracisme.

Les lieux

Les lieux du récit ont une importance : ils sont chargés de significations. Je crois que Glenn Gers, en abordant ainsi les endroits marquants de son récit, cherche à nous faire comprendre que l’importance donnée aux personnages ne doit pas faiblir lorsqu’il s’agit des lieux où les événements prennent place.
Mais considérer un lieu comme un personnage n’est peut-être pas la solution la plus facile. Ces portions d’espace spécifiques peuvent être liées à des personnages, à des moments de la vie de ces personnages et peuvent dessiner les contours d’un événement qui n’aurait pu se produire ailleurs.

Le meurtre de l’animateur est l’occasion pour Glenn Gers de donner quelques réflexions non seulement aux circonstances de l’assassinat mais aussi à la victime. Je note donc sur ma fiche des personnages potentiels (nous verrons plus tard au fil de nos ruminations s’ils sont nécessaires : rien ne sera figé) une entrée pour…

  • La victime
    Assassinée dans sa propre maison.

Le concept de podcast rappelle que vous n’avez pas besoin d’un bureau luxueux pour créer une petite entreprise prospère. En fait, si l’on se fie à l’histoire d’Apple, il est possible de créer une entreprise florissante à partir de son propre garage.
Le crime aura donc lieu dans la demeure de l’animateur (qui, souvenons-nous, a été désertée de la femme de celui-ci qui a quitté et l’animateur et la maison).

Mystère

Glenn Gers souhaite écrire une romance imprégnée d’un mystère (ou thriller, en fin de compte je préfère dire mystère plutôt que thriller). Quelle est la structure habituelle du mystère ?

La plupart des mystères suivent à peu près la même structure :

  1. Le crime
    Lecteurs et lectrices sont introduits très tôt au crime qui sert de pivot au récit, même, comme ici, si ce crime n’est qu’un prétexte pour l’histoire d’amour (à laquelle il faut toujours un objectif extérieur car la quête de l’amour n’est pas en soi une fin à laquelle il faut aboutir).
  2. L’enquête
    Le personnage principal est généralement celui qui mène l’enquête. Il interroge chaque suspect, recherche des indices et suit de nouvelles pistes dans l’espoir de trouver le coupable. Éric, le personnage principal, mènera effectivement l’enquête. Seulement, et cela peut s’avérer intéressant, il n’est pas attiré comme n’importe quel détective par le désir d’élucider un meurtre mais par l’étude qu’il fait sur des personnes ordinaires qui revêtent, pour telle ou telle raison, le costume de l’enquêteur.
  3. Un coup de théâtre
    Le détective trouve un nouvel indice, une piste inattendue ou une faille dans l’alibi d’un suspect qui le choque ainsi que le lecteur/spectateur et change le cours de l’enquête.
    Je ne pense pas que ce serait tordre la réalité des choses possibles (dit moins pompeusement, affirmer des choses impossibles) que de révéler que la douce Ariane, très souvent humiliée par l’animateur, ait de quelques façons orchestrée le meurtre de son ex-mari.
  4. La révélation
    C’est le moment de la résolution du mystère. L’indice manquant, celui qui permet de comprendre enfin les choses et non plus de les interpréter, se révèle à nos yeux.
  5. Le climax
    C’est la confrontation avec le coupable.

Six indices supplémentaires :

  • Les romans policiers attirent le lecteur/spectateur dès le premier paragraphe, ou mieux encore, dès la première phrase. Piquez immédiatement l’intérêt de votre lecteur et de votre lectrice ou captez aussitôt leur attention afin qu’ils aient envie (et c’est une bonne envie) d’en savoir plus.
    C’est ainsi que Glenn Gers propose que les premières images renvoient le crime dans la maison de l’animateur qui tient lieu de studio pour le podcast. Nous pourrions même envisager une diffusion en live de l’émission et être les témoins (tout comme les membres de la future communauté) de l’assassinat mais l’assassin est un mystère.
  • Même le rebondissement le plus choquant tombera à plat sans l’ambiance appropriée. Créez une ambiance mystérieuse qui plonge immédiatement vos lecteurs dans l’univers de votre roman. Un cadre sombre, tel qu’un bâtiment abandonné ou une cabane isolée dans les bois, un langage descriptif des détails horribles de l’affaire et un dialogue plein de suspense placeront vos lecteurs/spectateurs au cœur de l’action et les encourageront à poursuivre la lecture.
    En effet, Glenn Gers parle d’un sentiment de peur lié aux scènes de violence. Décrire crûment une réalité violente d’emblée mettra certainement mal à son aise le lecteur/spectateur.
  • Lorsque vous écrivez, réfléchissez à la façon dont votre lecteur/spectateur réagira au rythme de votre récit. Créez l’élément de suspense en contrôlant la quantité d’informations que vous révélez, ainsi que la manière et le moment où vous les révélez. Chaque mystère a une intrigue principale, mais elle est souvent construite sur des moments plus petits qui soutiennent l’intérêt du lecteur tout au long de l’histoire.
    Par exemple, alors que je prévois la disparition d’Ariane comme cliffhanger du pilote, la mort de l’innocent n’interviendra que quelques épisodes plus tard.
  • Donnez au lecteur l’impression qu’il fait partie de l’histoire. Lâchez des indices tout au long du roman qui lui permettront de participer activement à la résolution du mystère. Ils ne doivent pas être trop évidents, mais le fait de les découvrir et de réfléchir aux explications possibles doit être passionnant et satisfaisant pour le lecteur et la lectrice.
  • Les meilleurs mystères sont ceux que les lecteurs ne peuvent pas résoudre tout de suite. Détournez l’attention du lecteur/spectateur avec des détails sur des personnes, des lieux et des objets qui peuvent ne pas être vrais et égarez-le avec des preuves contradictoires. Lorsqu’il découvrira enfin la vérité, il sera satisfait du chemin parcouru pour y parvenir.
  • Vous devez résoudre le crime, expliquer la disparition mystérieuse ou révéler le meurtrier. Votre dénouement ne doit pas nécessairement être heureux, mais il doit répondre à toutes les questions que le lecteur/spectateur se pose sur ce qu’il s’est passé et ce que l’issue signifie pour tous les personnages impliqués.
Une séquence : multiples informations

Glenn Gers aimerait faire de la scène du crime le pivot du pilote. Cela permettrait d’introduire Ariane et un aspect de son passé. Dans le même coup, le mystère est établi. Non seulement cela, mais j’ai prévu aussi que le cliffhanger du pilote qui consiste en la disparition d’Ariane pourrait se produire après qu’Ariane se soit rendue à nouveau dans cette maison.

L’atmosphère dans laquelle baigne cette demeure devrait être singulièrement menaçante. Les didascalies mentionnant ce lieu seront donc temporellement situées en crépuscule, en nuit et en pénombre, par exemple.

Cette séquence se conclue donc par le meurtre de l’animateur. L’histoire est en place mais le meurtre n’est pas l’incident déclencheur. Nous y reviendrons.

Ce que cherche à nous enseigner Glenn Gers, c’est que dans une seule séquence, nous devrions tenter de combiner autant d’informations que possible.

Je nomme mon tueur en série Charles en référence au serpent Charles Sobhraj dont un des traits est son expertise en poisons. J’ai conservé l’idée de Glenn Gers d’utiliser le poison comme arme du crime.

Dans la séquence d’ouverture, il nous sera présenté un fragment du passé d’Ariane : celui de sa vie avec l’animateur. Pour Gers, cela est important car nous allons devoir développer une sympathie envers elle (et ce d’autant plus qu’elle participe au coup de théâtre de son implication dans le meurtre de l’animateur) mais aussi parce qu’il faut que nous comprenions comment Éric est séduit par Ariane et que nous trouvions aussi des circonstances atténuantes au geste d’Ariane.

Décrire des violences conjugales est une solution mais je crois qu’ainsi je développerai un thème qui s’inscrirait mal dans mon récit.

Avoir foi dans le processus d’écriture

Travailler sur un projet semble chaotique. Des bribes d’informations se répartissent à travers des fiches et la question est de savoir si toutes ces données, toutes ces connaissances nouvelles qui surgissent au gré de nos réflexions finiront par s’assembler de manière à former un tout.

En tant qu’auteur chevronné, Glenn Gers nous affirme que cela fait effectivement partie du processus d’écriture. Et c’est aussi assez passionnant de chercher à connaître des personnes dont on ignore tout. Ariane est l’une d’elles.

Écrire est une activité qui se situe dans la durée. S’il faut mesurer, cela peut prendre des semaines et des mois pour écrire une seule scène et de juger enfin qu’elle fonctionne.
Et avant de porter ce jugement, vous aurez essayé différentes manières de l’élaborer.

Décrire un personnage comme Ariane ne vient pas d’un seul bloc. Peu à peu, morceau par morceau, sa personnalité nous apparaîtra de plus en plus solide ; nous apercevrons aussi ce qu’il se cache sous les apparences.

C’est un processus et Gers nous assure qu’une fois le processus lancé, il aboutira forcément à un résultat : bon ou mauvais importe peu tant que ce résultat existe.

Gers insiste aussi sur le besoin de reconnaissance qui explique la conduite de Charles (nous l’avons d’ailleurs noté sur sa fiche parmi d’autres informations mais Gers pense que cette connaissance particulière sera déterminante pour expliciter le personnage. Ce sera sa volonté d’être reconnu ; ce sera sa finalité, son objectif.

L’objectif du personnage principal Éric consistera donc à contrecarrer cette volonté du méchant de l’histoire. En imaginant alors que ce premier épisode se termine sur la disparition d’Ariane que l’on présume enlevée par l’assassin, il suffit en quelque sorte de remonter à partir de cette fin envisagée le fil des événements qui ont logiquement mené à cette disparition.

Vous noterez que j’ai naturellement dévié de la pensée de Glenn Gers car, comme Gers le confirme lui-même, nous écrivons toujours sur ce qui nous préoccupe. Mes propres tendances s’invitent dans mon écriture. Celles-ci s’affirment ou s’infirment au fil de notre vécu, de nos expériences, de ce qu’il se passe dans le monde autour de nous, mais elles sont toujours présentes.

Quelle pourrait être alors la relation entre Éric et Charles ? C’est une relation conflictuelle. Glenn Gers propose que les deux personnages argumentent sur l’éthique du métier de journaliste. J’ai quelques difficultés avec cette idée qui s’accorde mal avec mes propres préoccupations.

J’ai donc abouti à ceci dans la fiche sur la relation existante entre Éric et Charles :

Entre Charles et Éric existe un débat sur l’éthique de l’humilité chrétienne et la notion de sacrifice. Charles prône un idéal ascétique de la virginité. C’est une idée qui violente la vie, qui s’oppose à la vie. Cet état d’esprit de Charles me semble en accord avec la personnalité que nous lui avons dessinée jusqu’à présent.

Éric qui est sous le coup d’une distance avec sa famille souffre de cette séparation. Pour lui, il est important que l’humanité assure sa propre génération et la famille est un outil générationnel par excellence.

Malgré leurs différences, Charles ne peut s’empêcher d’admirer Éric d’avoir réussi à créer une famille malgré les difficultés actuelles d’Éric.

Concernant la personnalité de Charles, je vous renvoie à mes premières notes. Quant à l’admiration de Charles envers Éric, je la retiens de Gers.

Une question de crédibilité

Nous savons que l’animateur est la tête d’affiche d’un podcast sur des affaires de crimes non résolues. Nous savons aussi que l’animateur succombe au poison du serial killer, c’est-à-dire de Charles.

Une communauté d’auditeurs fidèles du podcast décide de s’emparer de l’affaire et de résoudre elle-même ce crime assez sophistiqué. L’objection évidente est de savoir maintenant pourquoi les autorités sont surclassées par la communauté.

La question collatéral qui se pose est comment la communauté parvient à reconnaître le même modus operandi que des précédents crimes dont l’auteur est toujours en fuite.

Je conserve aussi l’idée d’un copycat qui, imitant la technique du véritable tueur, incite celui-ci à se mêler à ladite communauté. Mais ceci implique deux antagonistes et, pour le moment, ne m’est pas très agréable comme idée.

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