INTRIGUE & DÉNI

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Une situation conflictuelle peut être maintenue par le déni, c’est-à-dire que le personnage principal refuse de reconnaître son problème ; il n’ose l’affronter directement. C’est un conflit personnel, intime, tout à fait subjectif ; en un mot, émotionnel.

Le thème du déni ne peut être négligé lorsque le refus du personnage principal d’accepter la réalité (ou si ce thème est incarné chez un autre personnage) crée une sorte d’état d’indifférence vis-à-vis de la vérité. C’est toujours une solution provisoire à une situation difficile.

En fait, c’est une manière d’installer le besoin et le désir chez le héros ou l’héroïne. Le personnage est contraint de résoudre d’abord son problème intime, donc émotionnel (ce sera son besoin et vital s’il en est) s’il veut avoir la moindre chance que la stratégie d’approche qu’il tente dans l’intrigue, afin de réaliser un désir, ait quelque chance de réussite.

S’accepter d’abord

Toute l’intrigue pourrait être une question d’acceptation, d’assentiment, de capitulation devant des forces envers lesquelles on n’offre plus aucune résistance. L’objet extérieur, par exemple sauver un otage, verra sa conclusion dans l’acte Trois. Cependant, il peut y avoir de nombreuses raisons personnelles qui font que le sauvetage est voué à l’échec.
Alors que le problème externe montre au lecteur/spectateur la motivation du personnage à agir (il ou elle veut résoudre le problème), c’est le problème interne qui donne de la profondeur au personnage parce que cette volonté est contrariée non pas par la force énorme de l’adversité mais par le gouffre d’un sentiment d’impuissance envers soi-même, qui ne nous permet pas d’atteindre cet autre soi-même avec lequel nous avons pourtant besoin d’être réunis parce que ce n’est qu’entier que nous pourrons triompher.

En fiction, le problème interne est une faiblesse. Peut-on inventer des faiblesses issues de rien ? Ce ne serait pas rendre service à votre personnage. Un personnage possède un avers et un revers ; des forces et des faiblesses.
Une force est indissociable d’une faiblesse. Au vrai, une force s’explique par la faiblesse. S’il n’y avait qu’un souverain bien, nous afficherions un air de béatitude dont non seulement nous finirions par nous lasser mais qui serait aussi rédhibitoire du progrès. Ce qui nous rend fort peut aussi précipiter notre chute.

Considérons que la loyauté de notre héroïne serait son trait de personnalité majeur. Mais si le frère de celle-ci prend avantage de la confiance qu’elle place naturellement en lui, celui-ci peut lui mentir, tricher avec elle et en fait victimiser notre personnage principal.

On parle aussi de défaut ou de faille chez un personnage ce qui implique que même les super-héros sont des êtres imparfaits. Il est important de ne pas négliger cette faille parce que non seulement elle est l’accès par lequel l’antagonisme atteint le personnage principal mais cette vulnérabilité qui se dévoile au cours de l’intrigue donne une crédibilité au personnage. La fiction imite la complexité de la vie.
Les défauts humains tels que la soif de pouvoir, la cupidité et la jalousie expliquent les erreurs commises par de nombreux personnages. Par ce biais, auteurs et autrices peuvent aborder des questions morales et, sans faire montre d’un zèle de prosélyte, tout au moins permettre au lecteur et à la lectrice de remettre en question leurs propres jugements de valeur.

Le manque aussi qui fait de votre personnage un être incomplet peut vous aider à lui donner une consistance psychologique qui fascinera votre lecteur et votre lectrice. Le manque est la source de la motivation.

Dès le début de votre récit, vous devriez établir ce que veut votre personnage – ce qu’il recherche ? Qu’est-ce qui, selon lui, lui procurera un sentiment de satisfaction ?
Il ou elle peuvent être proches ou éloignés de leur but, et ils peuvent le poursuivre avec une vigueur qui produit l’effet attendu ou une inefficacité désespérée, mais ils savent ce qui rendra leur vie complète. C’est du moins ce qu’ils pensent. Notons aussi en passant que cet objectif est connu de tous les personnages et qu’il constitue en lui-même une ligne dramatique singulière.

La compassion au cœur du problème

Cependant, il y a autre chose sous la surface, et c’est ce dont votre personnage a besoin.

Il y a très peu de choses dont les êtres humains ont réellement besoin pour être heureux, et la plupart des choses que nous nous attachons à vouloir ne font que masquer les choses vraiment importantes.
Les choses dont nous avons besoin peuvent généralement se résumer à une seule chose : l’amour. Nos histoires ne sont cependant pas toutes des romances. Au creux des personnages existe une compassion. Celle-ci se présente sous deux formes : l’amour de soi et l’amour des autres.

L’amour de soi, ni narcissique ni arrogante, est une véritable acceptation de ce que l’on est. Être à l’aise dans sa propre peau et avec son existence imparfaite, plutôt que de vouloir constamment être autre que ce que l’on est, puis de se châtier lorsque l’on ne parvient pas à changer.

L’amour des autres qui n’est pas un mode d’être romantique et dévorant consiste à faire preuve d’empathie, de gratitude et d’altruisme.

Illustrer le manque pour un auteur ou une autrice reviendrait peut-être à reconnaître en eux-mêmes ce manque, opération difficile s’il en est, et de tenter de s’expliquer pourquoi ont-ils écrit cette scène particulière plutôt qu’une autre. Comprendre ce qui compense un manque peut aider à le formuler clairement et projeter sur nos personnages une lumière plus vraie.

Comme la force et la faiblesse, le manque et ce qui compense le manque (besoin et désir) sont indissociables. Si la princesse veut le pouvoir, c’est parce que le roi et la reine n’ont su lui procurer cet amour dont elle avait tant besoin enfant.
La reconnaissance du manque (en dramaturgie, le terme anagnorisis distingue cet acte d’illumination nécessaire au changement du héros ou de l’héroïne) ne dissout pas la blessure ; les stigmates sont permanents mais alors qu’il est possible d’agir sur la réalité extérieure par le dialogue avec les autres, s’ouvrir à sa propre réalité, se poser comme objet d’étude peut aider à combler cette sensation de vide, à donner un sens à notre existence.

Les dilemmes moraux ne proviennent pas seulement d’une passion immodérée pour le pouvoir ou la richesse par exemple ; tout n’est pas de la concupiscence. Les lecteurs apprécient les dilemmes moraux auxquels ils peuvent s’identifier, car cela les aide à former leurs propres intuitions morales. Mais un dilemme doit sembler équilibré pour être convaincant.
Lorsque vous exposez chaque face du dilemme, faites en sorte d’argumenter sur les deux aspects avec le même poids. Le personnage principal est très lié avec sa mère mais il l’est tout autant avec son cercle d’amis. Or les deux relations sont incompatibles. Laquelle des deux doit-il privilégier ?

Quel que soit le dénouement que vous envisagez, lecteurs et lectrices seront alors partagés : certains diront qu’il a eu raison d’agir comme votre dénouement le laisse entendre et d’autres diront qu’il a eu tort. Mais vous, vous aurez exposé votre vision du monde et surtout laissez votre lecteur et votre lectrice en juger.

Le sentiment d’échec

Quels que soient les défauts ou failles qui sont parties prenantes de la personnalité d’un personnage, cela devrait façonner ses actions et ses échecs. Le protagoniste a un nombre approprié de défauts psychologiques ou physiques, mais il serait erroné néanmoins de croire qu’il peut se tirer de toutes sortes de situations et relever sans problème tous les défis qui se présentent à lui. Nombreuses sont les justifications pour nous retenir dans le passé.

Hamartia (du grec ancien signifiant faute, péché ou erreur) est un procédé littéraire qui reflète un état psychologique tragique ou fatal pour un personnage, ou une erreur de jugement, qui mène finalement à sa perte. Ce terme est apparu chez Aristote comme un moyen de décrire une erreur ou une fragilité qui entraîne le malheur du héros tragique.

Hamartia, en tant que concept, est étroitement lié et interchangeable concrètement avec la notion de faille ou défaut tragiques, car ils conduisent à la chute d’un protagoniste dans une tragédie. Toutefois, hamartia peut également être interprétée comme une erreur due à des circonstances extérieures plutôt qu’à la fragilité personnelle d’un personnage.

L’hybris par exemple est différente de l’hamartia.
Inspirés par une passion immodérée, nous ne nous apercevons pas qu’elle nous mène à notre perte. Ainsi de l’orgueil qui peut traduire un comportement entêté, impulsif et arrogant qui a pour résultat que nous prenons de mauvaises décisions. L’hamartia serait plutôt à comprendre comme une attitude acquise par une situation passée mal vécue qu’un héros ou une héroïne devront confronter et vaincre, du moins dans une approche moderne car dans la littérature antique, le personnage possède ce trait dans sa personnalité de manière innée sans que soit donné une explication logique quant à son origine ; et cela condamne inexorablement le personnage.

L’hamartia, en tant que procédé littéraire, peut être interprétée de deux façons. Il peut s’agir d’une faiblesse (hypocrisie, ambition par exemple) ou d’un trait de caractère (la jalousie par exemple) lié à un personnage ; l’hamartia se confond alors avec l’hybris et s’illustre par la cupidité, la passion, l’orgueil démesuré, parmi d’autres défauts.

Cependant, il peut également s’agir d’une erreur ou d’une culpabilité commise ou ressentie par un personnage qui ne repose pas sur une défaillance personnelle mais sur des circonstances extérieures à la personnalité et au contrôle du protagoniste. Ainsi, le manque d’informations peut conduire un personnage à faire un choix qu’il regrettera ou bien encore le personnage est acculé dans une décision comme le fut Sophie Zawistowska dans Le Choix de Sophie.

Un personnage est souvent hanté par l’échec, la faute ou la culpabilité. On peut se sentir responsable de la mort d’un frère qui ne fut pourtant qu’un terrible accident mais l’acceptation du deuil ne se fait pas facilement. Détourner le regard de soi ou des autres est moins douloureux.

Un problème interne

Ce problème interne se manifeste souvent par un trait de caractère négatif. Dans un scénario, on ne pénètre pas la tête de nos personnages, alors il faut faire la démonstration de ce qu’il s’y passe. Classiquement, ce défaut peut être un excès, comme une trop grande fierté (on retrouve ici encore le concept d’hybris et le fait littéraire qu’en fiction, le moindre événement, la moindre émotion, la moindre action sont exagérés comme pour marquer davantage l’intention de l’auteur et de l’autrice).

Plus souvent encore, le problème interne implique l’égoïsme. En le surmontant, le personnage sera plus sage à la fin de l’histoire qu’au début. Le personnage doit donc apprendre un comportement coopératif afin de devenir une personne mature, capable de fonctionner socialement ; en effet, le changement chez un héros ou une héroïne est un processus de maturation.

Ce problème interne est donc d’abord un conflit émotionnel. Ce conflit singulier imprègne toute l’intrigue. Le personnage est dans le déni de son conflit personnel souligne William C. Martell. Il se place ainsi de lui-même dans une situation d’échec face aux circonstances. Quoi qu’il entreprenne, c’est déjà perdu d’avance. Mais il ne veut ou ne peut confronter son problème personnel.

Raviver un souvenir est parfois trop douloureux et se complaire dans un comportement rassurant, ce n’est pas tant bâtir un mur entre nous et les autres, plutôt s’enfermer en soi-même. Dans Matrix, Morpheus pense que Néo est l’Élu. Mais Néo doute. Il est un individu parmi d’autres. Néo est dans le déni de sa propre destinée. Il ne croit d’ailleurs pas en la destinée. Toute l’intrigue repose sur des situations où Néo doit soit reconnaître qu’il est effectivement l’Élu soit faire face à son manque de foi.

Mais c’est surtout de confiance en lui dont il souffre. Néo a peur, sauver la race humaine n’est pas à sa portée, croit-il.
Il n’y a pas vraiment d’élu, mais plutôt que celui qui devait être l’élu avait certaines caractéristiques qui le rendaient plus apte que les autres à voir à travers la Matrice comme une fausse réalité et aussi à faire ces choses que Neo est capable de faire.

L’Oracle dit à Néo : « Désolé, petit, tu as le don, mais il semble que tu attendes quelque chose« . Cela implique bien sûr que l’élu est quelque chose pour lequel vous avez un don mais que vous devez aussi choisir d’être vous-même.
L’Oracle comprend cela, mais pas l’Architecte, car dans son monde parfait (la matrice), le libre arbitre n’est qu’une illusion et tout est prédestiné (cause et effet), comme le dit le Mérovingien. C’est seulement lorsque Néo s’est mis à croire en lui-même qu’il a pu agir sur la matrice. La prophétie n’est qu’un prétexte, un McGuffin : la dernière scène de Matrix indique clairement que la capacité de faire les choses que Néo fait ne dépend pas de sa destinée, mais de la confiance en soi. Être choisi est un état d’esprit.

D’abord Néo prétend accepter la vision de Morpheus mais, progressivement, de scène en scène, Néo est forcé de reconnaître qu’il est effectivement l’Élu et il luttera contre cette vérité jusqu’à ce qu’elle emplisse tout son esprit.

L’acte Deux, donc ?

Lancez-vous dans un brainstorming sur tout ce qui vous vient à l’esprit concernant comment votre héros ou votre héroïne tentent de résoudre le problème de l’histoire (c’est-à-dire de compléter leur objectif) mais sans jamais penser à leur problème personnel (dont ils peuvent ne pas avoir déjà conscience).

Comme ce sont des tentatives, elles sont autant d’échecs. Sous chaque tentative, listez quelques conséquences comme résultats possibles pour chacune des tentatives. La conséquence à retenir comme échec s’accumulera avec d’autres conséquences (ici, la loi de causalité s’applique).
L’acte Deux est une escalade de conflits qui participe à la tension dramatique car les enjeux pour le personnage principal sont de plus en plus aigus, à la fois sur le plan émotionnel mais aussi sur celui de l’intrigue. S’il n’accepte pas d’affronter son conflit intime, la dernière chose qu’il souhaitait faire d’ailleurs, il est irrémédiablement condamné. C’est une tragédie car non seulement, il ne parvient pas à réaliser son objectif et de plus, sur un plan intime, il est totalement dévasté.

La reconnaissance de soi est l’étape préalable à la résolution du climax : s’il n’est pas en harmonie avec lui-même au moment de l’ultime confrontation avec son antagonisme, le personnage principal est perdu.
Sinon, lorsqu’il a accepté sa vérité, alors le personnage principal pourra dans l’acte Trois sauver le monde après s’être sauvé lui-même.

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