GLENN GERS : UN AUTEUR AU TRAVAIL (5)

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Avant de commencer à écrire une histoire, avant même de concevoir un plan des événements (c’est-à-dire des scènes qui se succéderont dans un certain ordre), les personnages vous diront ce que sera votre récit. Glenn Gers insiste sur la connaissance que nous devrions avoir sur eux : que font-ils ? Qu’essaient-ils d’accomplir ? Que doivent-ils affronter pour que leur volonté s’accomplisse ?

Écrire, c’est faire des choix. Vous ne prendrez les bonnes décisions qu’en regard de vos personnages. Vous êtes la destinée de vos personnages.

L’antagonisme

Le méchant de l’histoire, expression moqueuse s’il en est, est l’un de ces personnages. Il est bien plus que le stéréotype du mal. Il est certainement vu comme le mal par les autres personnages et tout autant par le lecteur et la lectrice.
Néanmoins, pour que ce personnage fonctionne dans un récit, on doit apprendre à l’aimer. Autant l’auteur que le lecteur.

Dans son récit en gestation, Gers envisage un personnage qui sera soupçonné d’être le tueur, manœuvre du véritable assassin pour détourner l’attention. La première option était d’en faire un homme. Après quelques ruminations, il décida d’en faire une femme.

Il a constaté aussi qu’il avait fait de son personnage principal et de l’amante de celui-ci des personnages dans la quarantaine. Il est passionnant de donner de la profondeur à ses personnages mais aussi les relations qui les lient doivent posséder une verticalité. Ainsi le motif de la relation entre le suspect et le personnage principal sera fondé sur un conflit générationnel. Le suspect que nous n’avons pas encore nommé sera en conséquence une jeune femme.

Il me vient à l’esprit que ce suspect, victime aussi à sa manière du véritable tueur, est une sorte de martyre. Je pense à Barbara en référence à Sainte Barbe du martyrologe romain. Je m’en inspirerai probablement pour cerner davantage ce personnage.

J’avoue tordre un peu la pensée de Glenn Gers en l’enveloppant de mes propres réflexions. Mais j’établis ainsi un double antagonisme. On sait que le suspect est innocent mais le lecteur/spectateur l’ignore encore. Dans un premier temps, lecteurs et lectrices seront amenés à croire que notre Barbara est la coupable.

En fiction, avant de haïr un personnage, il nous faut l’aimer. Avec l’antagoniste, nous sommes dans un rapport Amour & Haine. Le passage entre l’amour et la haine ou selon les circonstances comme celles de notre suspect de la haine à l’amour prendra la forme d’un rebondissement.

Penser déjà la fin

Travailler sur l’antagonisme, c’est déjà penser au dénouement. Au moment du climax, c’est-à-dire l’ultime rencontre entre le protagoniste et son antagonisme, nous découvrirons la véritable identité du tueur.
Mais comment le héros de cette histoire gérera t-il cette révélation ? Lui sera t-elle fatale ? Triomphera t-il du mal et en sortira t-il indemne ?

Après avoir posé quelques informations sur les personnages centraux du récit et imposés quelques scènes nécessaires dans le plan, Glenn Gers conseille fortement de lancer immédiatement le brainstorming concernant le dénouement.

Nous avons Éric et Ariane. Nous savons que ces deux-là se tourneront autour tout le temps de l’intrigue sans oser se déclarer leur amour (c’est un amour naissant qui s’implantera progressivement). Leur union sera néanmoins consommé avant le climax. La ligne dramatique de leur relation est essentielle au récit. Elle est éminemment subjective et c’est pour cela qu’elle est fascinante car c’est par la subjectivité des personnages que nous pouvons atteindre l’âme du lecteur/spectateur.

Cela crée une tension dramatique supplémentaire car cet amour est un enjeu pour Éric si Ariane est directement menacée par l’assassin.

Une des conventions de genre du thriller est que le climax soit une confrontation physique avec l’antagonisme. Jusqu’au moment où le visage de l’assassin sera révélé (ce qui n’aura pas lieu dans le pilote), Éric sera physiquement menacé. En fait, Ariane ne craint rien (tout comme Éric nous sommes amenés à croire qu’elle risque sa vie) ; le danger se concentre sur Éric.

D’ailleurs, le cliffhanger du pilote pourrait être la disparition d’Ariane. Nous savons aussi que l’assassin est un serial killer ; il n’en est pas à son premier meurtre puisque nous avons vu qu’il accomplissait une sorte de vengeance contre le monde dans sa rage aveugle de punir pour les souffrances qu’il a endurées. C’est quelque chose que nous pouvons comprendre et qui peut même aller jusqu’à créer sinon un lien empathique du moins une sympathie envers les actes de ce serial killer ; quelques circonstances atténuantes en quelque sorte.

Il se dessine donc un mouvement contradictoire entre un suspect envers lequel notre émotion passera de la haine à l’amour et un tueur pour lequel nous éprouverons d’abord de l’amour et ensuite de la haine.

La signification du dénouement

Nous avons effleuré des motivations pour les personnages depuis le début de cette série d’articles. Glenn Gers cherche à pousser plus loin ses réflexions et se demande ce que les personnages attendent du dénouement, ce qu’il signifie pour eux.

Sans apporter de réponses pour le moment, ce que Gers nous rappelle est que tout le récit dépend du dénouement. Lorsque vous avez posé votre conclusion sur le papier, c’est à rebours qu’il faut travailler son plan.

A partir d’un événement final, on remonte progressivement les événements qui ont permis l’aboutissement actuel. Nous ne posons plus des causes qui aboutissent à des effets ou à des conséquences. Nous connaissons la conséquence ou l’effet, il nous faut comprendre les causes possibles.

L’intérêt de travailler de la sorte est que cela a tendance à éliminer le superflu. Pris dans l’enthousiasme de l’écriture d’une scène, nous ne nous apercevons pas que nous faisons du remplissage inutile, c’est-à-dire que nous diluons l’intérêt dramatique sous un afflux de mots.

L’écriture de scénarios exige une économie totale, car un scénario est une forme littéraire très dépouillée. Créer une séquence serrée de causes et d’effets est un excellent moyen d’atteindre l’essence d’une histoire.

Une intrigue dramatique, quel que soit le genre, doit posséder une logique faite de relations de cause à effet, de sorte que le premier événement entraîne le deuxième, qui entraîne le troisième, et ainsi de suite jusqu’à la fin. Cela vous permettra d’avoir une bonne progression et d’éliminer les points morts qui peuvent perdre le lecteur/spectateur.

En remontant de l’effet à la cause, vous pouvez construire une chaîne ininterrompue d’événements qui contribue à tenir le lecteur ou la lectrice de votre scénario en haleine.

Ce n’est plus le sujet qui importe, mais l’objet. Quel est l’objet de votre récit ? L’objet d’une intrigue est une déclaration simple et claire de ce que vous souhaitez obtenir à la fin ; le point à l’horizon vers lequel vous vous dirigez.

Dans Training Day par exemple, l’objet du scénario est que Jake vainque Alonzo et émerge comme un nouvel homme après avoir dépassé ses propres limites. La problématique maintenant est de connaître ce que pourrait être l’effet qui démontre cet objet ?

Cet effet sera illustré par une scène. Il y a tellement d’effets et de conséquences possibles pour une seule cause que le choix est malaisé. Dans Training Day, lors du climax entre Jake et Alonzo, Alonzo parvient à s’enfuir. Ce qui signifie un échec pour Jake.

Cependant, Alonzo sera exécuté par les russes. L’objectif de Jake de traîner Alonzo devant la justice est peut-être un échec mais cette exécution d’Alonzo par les russes est un moyen de démontrer que cette situation est le résultat de la corruption d’Alonzo, une rétribution épargnée à Jake parce que le respect à la lettre, et malgré les risques et les tentations, de son intégrité en tant que policier et en tant qu’homme lui permet non seulement une reconnaissance de ses pairs mais aussi des gangs.

En remontant encore le fil des événements, ce qu’on peut se demander, c’est comment parvenir à l’exécution d’Alonzo par les russes ? Jake ne parvient pas à arrêter Alonzo qui s’enfuit avec le million de dollars.
La solution apparaît immédiatement : Alonzo perd le million de dollars. Dans sa lutte contre Jake, et bien qu’Alonzo sorte victorieux, Jake récupère l’argent.

De l’effet à la cause

Le questionnement est de savoir quelle est la cause la plus efficace pour chaque effet. De nombreuses causes sont possibles, c’est là où réside la difficulté. Or, une seule chose provoque réellement l’effet. C’est cette chose qu’il faut découvrir. L’enchaînement à rebours d’un effet à sa cause permet de séparer le nécessaire du superflu.

Dans le projet en cours de Glenn Gers, l’objectif est de résoudre le mystère de la mort de l’animateur. Mais le véritable objet de ce récit n’est pas de résoudre un mystère ; plutôt il s’agit que deux êtres s’aiment. La résolution du mystère sera la conséquence de la reconnaissance de cet amour par les deux personnages concernés.

Puisqu’il s’agit d’abord d’une comédie romantique, l’effet moral pourrait bien être que l’amour est plus fort que l’adversité.
Ou encore que la solitude n’est pas la destinée de l’homme. En effet, Éric tout comme Ariane éprouvent l’un et l’autre un grand vide affectif. Il n’existe rien de plus hostile que le vide. L’un comme l’autre glissent inexorablement dans l’abîme. Pour inverser l’effet, l’union est la seule réponse possible.

Si nous donnons la primauté au thriller, deux options sont alors possibles : soit l’union fonctionne, le mystère est résolu ou non (bien que ne pas connaître l’identité du tueur serait frustrant pour le lecteur ou la lectrice), soit l’union de ces deux êtres est impossible (et la résolution du mystère passe au second plan bien qu’elle soit nécessaire pour éviter la frustration).

Or, c’est la comédie romantique qui importe à Glenn Gers. Comment assembler un être foncièrement solitaire (Ariane) qui a fait de la solitude un mode d’être et un individu (Éric) qui est malheureux dans une relation qui s’est épuisée ?

Glenn Gers reconnaît qu’il est loin d’être évident d’apporter toutes les réponses à ce questionnement incessant. Nous savons que le point commun de tous les personnages est qu’ils fréquentent le même site internet et qu’ils sont passionnés par l’investigation de crimes non résolus. Ce sera la ligne dramatique globale du récit, la perspective de l’histoire.
Lorsque l’un d’entre eux est assassiné, nous avons des personnages passifs en sécurité derrière l’écran d’un ordinateur qui passeront à un engagement actif, physique dans la réalité.

Ce qui implique pour chacun d’entre eux qu’ils devront trouver en eux la confiance nécessaire pour franchir le seuil ; il leur faut reprendre confiance dans l’être humain qu’ils n’ont cessé d’être mais qui fut refoulé par le fait même des expériences de leurs vies respectives.

Compléter les fiches des personnages

Ainsi, Gers en déduit qu’Éric se sent lésé ou trompé et que, précisément, cela explique sa volonté de retraite pour écrire un livre, quel qu’en soit le sujet. Il me vient d’ailleurs à l’esprit qu’Éric n’est pas victime d’une action extérieure ; il est arrivé à un moment de sa vie où se posant lui-même comme objet d’observation ou d’interrogation, il a compris qu’il s’était fourvoyé.

Tant qu’il était pris dans l’élan de la vie qu’il s’était construite, il ne pouvait s’en détacher et s’apercevoir de son erreur. Par exemple, un être envahi par la vengeance sera incapable de faire la distinction entre l’innocence et la culpabilité. Les innocents qui se trouvent par hasard sur les mêmes lieux que les coupables seront aussi châtiés par le bras vengeur et aveugle.

Donc Éric pourrait ne plus croire au bonheur. Lorsqu’il rencontre Ariane, il est tout empli de ce sentiment. C’est cet effet que nous recherchions et nous en avons expliqué la cause. Nous pourrions même prolonger la réflexion : Éric était-il si idéaliste dans sa croyance que ses écrits pouvaient changer le monde ? Était-il si imbu de lui-même qu’il ne pouvait accepter de se remettre en question ?

C’est cette prise de conscience qui lui manque encore aujourd’hui.

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