SOUFFRANCE EN FICTION

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En fiction, la souffrance du héros et de l’héroïne est nécessaire. Tout comme dans nos vies quotidiennes, ils essaient de trouver un soulagement en se concentrant sur quelque chose d’autre, mais jusqu’à ce que cela réussisse, ils souffrent !

Et tout au fond de cette souffrance, il y avait quelque chose qui nous disait que que ce n’était pas si mal, qu’en fait, nous étions peut-être meilleurs avec cette souffrance. En payant le prix, pour ainsi dire. Et il y avait ceux d’entre nous qui pouvaient être accrochés à la souffrance parce que cela pouvait être stimulant ! Ainsi, pour le philosophe Nietzsche, il faut s’ouvrir à la souffrance pour créer et vivre supérieurement.

Des situations

Une situation est un moment où la relation des personnages à eux-mêmes et à l’intrigue est chargée de possibilités dramatiques. Cette définition est de Anita Loos et John Emerson et fut donnée dès 1920.
Déjà en 1920, les auteurs comprenaient l’importance des moments de cinéma, des situations aux possibilités dramatiques. D’une certaine manière, un scénario est une série de moments [de scènes] tissés ensemble dans un récit qui crée un arc dramatique (un mouvement global) convaincant du début à la fin.

Lecteurs et lectrices ont tendance à se laisser prendre par ce tissage des moments, comme auteurs et autrices le doivent, dans le cadre du processus de création d’une histoire. Mais nous devons également faire preuve de discernement lors du brainstorming dans le choix et dans la construction de chaque moment.

Il est intéressant de noter que la définition ci-dessus du terme « situation » indique les deux mondes de l’univers d’un scénario :

  • Le monde extérieur : La relation des personnages à l’intrigue, comment ils participent et influencent les événements qui se produisent dans l’histoire.
  • Le monde interne : La relation des personnages à eux-mêmes, l’interaction psychologique des personnages entre eux (intersubjectivité) ainsi que l’arc existentiel et comportemental de chaque personnage [cela se mêle avec le thème].

Dans une scène, il doit se passer quelque chose [c’est l’intrigue]. Et quelque chose d’autre doit se produire [qui se réfère à la ligne thématique].

Une grande partie des possibilités dramatiques d’un moment ou d’une scène de film provient des multiples couches de ce qui peut se produire dans les deux domaines de l’univers de l’histoire. On établit un personnage et on met en place une scène où un événement monstrueux pourrait se produire si le personnage n’est pas capable de contrôler, régler ou déduire la situation.

Dès les premières minutes, nous savons ce qu’il pourrait arriver (c’est important que cela soit vu comme du conditionnel puisque l’incertitude est cruciale), et cela fait naître un sentiment d’anticipation (je sais que cela va arriver, que puis-je faire pour me protéger ?) et de crainte (que va t-il m’arriver ?).

Anticipation et crainte. Deux éléments fondamentaux du suspense. Mais pourquoi sont-ils si importants ? Parce que cela dépend de la souffrance du personnage (et du lecteur par personnage interposé) qui se traduit par une atmosphère et une ambiance.

Ainsi ce que nous devrions faire, c’est :
– arranger les choses de façon à ce que quelque chose de grave puisse arriver si certaines autres choses ne soient faites (anticipation), ou
– faire en sorte que des choses graves se produisent et qu’il soit clair que d’autres, encore plus graves, pourraient se produire (crainte).

L’idée de souffrance

Cette idée de souffrance du lecteur prend en fait la forme d’une punition lors de l’écriture. Nous punissons nos lecteurs en les faisant souffrir par le développement des circonstances, ce qui provoque l’anticipation et la crainte.

Et nous ne devrions pas nous excuser de faire cela parce que c’est ce qu’ils veulent vraiment : du drame, de l’excitation, de l’incertitude, de l’instabilité, de la peur et de l’effroi ! Le suspense plus que l’action est approprié, plus direct, pour instiller ces sentiments d’anticipation et de crainte dans l’esprit des lecteurs et des lectrices.

Le suspense est au cœur de l’anticipation : les événements terribles annoncés se produiront-ils ? Nous construisons ce sentiment d’anticipation en nous concentrant sur les conséquences possibles, en les exposant encore et encore pour que le lecteur anticipe et souffre.

Lorsqu’une situation néfaste est déjà établie, par exemple, des réserves d’eau ont été empoisonnées, la question dramatique se déplace sur le devenir. Par exemple, qu’est-ce qui arrivera encore de plus terrible à la population dont la survie dépend de ces réserves d’eau ?

Le lecteur doit en venir à redouter ce qu’il se passera, et comme l’anticipation, nous devons nous concentrer sur ce point, construire ces graves conséquences pour que le sentiment d’effroi du lecteur soit total. L’effroi devient l’atmosphère et l’ambiance parce que le lecteur ne sait pas ce qu’il peut encore advenir ! Cette incertitude palpitante est l’aiguillon qui maintient le degré d’effroi élevé.

souffranceConsidérons Joseph K., ce personnage de Le Procès de Franz Kafka. Dans Le Procès, rien ne semble être ce qu’il devrait être et la frustration et la confusion et l’incompréhension du personnage principal deviennent rapidement celles du lecteur.

Joseph K. est arrêté sans raison (on suppose même qu’il n’a rien fait de mal). Donc, nous présumons qu’il va se battre pour prouver son innocence, et nous présumons qu’il va chercher des témoins et prouver aux autorités qu’il est innocent. N’est-ce pas ce que font toutes les personnes accusées à tort ?

Mais des circonstances étranges se produisent alors : Joseph K. n’est pas informé de ce qu’on lui reproche ; on lui ordonne de se présenter pour un interrogatoire mais on ne lui dit ni quand ni où ; il va d’un tribunal à l’autre, sans savoir lequel a la juridiction compétente pour lui, et il rencontre diverses personnes qui lui offrent de l’aide, mais aucune d’entre elles n’est en mesure de le faire.

Le meilleur conseil qu’il reçoit est de prolonger l’enquête, d’éviter une décision, de s’habituer à vivre éternellement dans un procès. En fait, nous nous rendons compte qu’il ne sera jamais capable d’organiser une défense.

Et à ce stade, notre anticipation se transforme en effroi, car nous réalisons maintenant que Joseph K. est pris dans un système irrationnel dont il ne semble pas pouvoir s’échapper (et le suspense monte).
C’est un cauchemar récurrent pour tous ceux d’entre nous qui voient le monde en termes rationnels, que le pouvoir irrationnel sur nous ne puisse pas être neutralisé ou surmonté. Nous devenons impuissants face à lui.

Et donc notre sentiment d’effroi est maintenant complet. Des choses graves se sont produites : Joseph K. a été arrêté à tort et ne peut pas se défendre. Des choses plus graves pourraient arriver : Il va finalement succomber aux autorités. A la dernière page, deux inconnus apparaissent, l’emmènent et l’exécutent.

Et il ne saura jamais quel crime il a commis. On nous laisse patauger à travers une atmosphère et une ambiance de noirceur et de pressentiment, un sentiment que la vie n’est qu’un tour joué à ceux d’entre nous qui croient qu’il y a un but rationnel à l’existence.

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