Le paradigme des trois actes tel que Syd Field l’a élaboré en 1982 doit-il être suivi à la lettre ? Pour démontrer son efficacité, analysons quelques exemples.
Bambi (en 1942, écrit par Chuck Couch) est riche en enseignements pour ceux qui étudient sa structure dramatique. D’une durée de 68 minutes, le classique de Disney se prête à une étude approfondie en deux fois moins de temps qu’il n’en faut pour étudier des longs métrages.
Pourtant, le paradigme traditionnel des trois actes est bien présent ici, ce qui témoigne de son importance dans toutes les histoires de notre culture.
1) L’accroche
Des oiseaux volent dans la forêt avec un message urgent : « Réveillez-vous, réveillez-vous ! C’est arrivé. Le nouveau prince est né. » Le nouveau prince est Bambi.
2) Complication
Après que tous les animaux de la forêt se soient précipités pour voir le nouveau-né Bambi, nous apercevons un magnifique cerf sur une crête dominant la forêt. Nous ne savons pas encore ce que cela signifie, cependant nous savons intuitivement que ce cerf jouera un rôle important dans notre histoire.
[En effet, ce cerf majestueux représente le défi que devra relever Bambi à travers une série d’épreuves. Ce cerf qui figure dans cette complication symbolise aussi la perpétuation de l’espèce en tant que lutte pour la vie]
3) Call to Action
(Ce qui lance le héros dans son aventure, en quelque sorte la prise en charge par le héros ou l’héroïne de son futur problème)
Bambi fait ses premiers pas de découverte dans la forêt, apprenant à marcher, apprenant à parler.
4) Premier nœud dramatique
Bambi suit une ruée de daims et rencontre, les yeux dans les yeux, le grand cerf qui est le grand prince de la forêt. Bambi apprend également que la forêt n’est pas l’Eden : d’abord, lorsque sa mère le met en garde contre le danger dans le pré non couvert, ensuite lorsque la peur s’empare de Bambi après que l’homme était dans la forêt.
5) Le point médian
Les chasseurs tuent la mère de Bambi. Viens, mon fils, dit le grand cerf.
6) Second nœud dramatique
Les chasseurs provoquent un incendie dans la forêt, et Bambi est séparé de Féline, sa dulcinée. Il finit par combattre les chiens pour la sauver. Mais il est blessé et seules les exhortations du grand cerf, Lève-toi !, donnent à Bambi l’énergie nécessaire pour s’échapper avec d’autres animaux de la forêt jusqu’à une île, où il retrouve Féline.
7) Climax et Résolution
Féline a donné deux enfants à Bambi, et sur la crête surplombant la forêt, Bambi remplace le cerf comme Grand Prince.
Bambi dépeint des personnages secondaires mémorables (Fleur, Panpan) et nous rappelle combien ils peuvent être importants pour une histoire. Nous devons donner à nos personnages humains toute l’individualité que possèdent ces personnages animaux.
Les films américains sont axés sur ce qu’il se passe ensuite, a écrit Richard Toscan, et Bambi est rempli de rebondissements tout au long de ses 68 minutes, offrant un excellent modèle pour une narration pleine de suspense.
Le rythme est allégé par des numéros musicaux, qui remplacent les grandes séquences des longs métrages, mais ceux-ci ne sont pas excessifs, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’une comédie musicale. Bambi, en fait, est une histoire d’amour traditionnelle sur le passage à l’âge adulte.
Citizen Kane (en 1941, écrit par Herman J. Mankiewicz et Orson Welles) est largement considéré comme le meilleur film américain jamais réalisé. Très en avance sur son temps en ce qui concerne les techniques de narration non linéaire et les effets cinématographiques, il rappelle aujourd’hui que même les innovations audacieuses de son époque respectent toujours le paradigme des trois actes. Le fondement classique de la narration – début, milieu, fin – est fermement en place dans ce chef-d’œuvre.
1) L’accroche
Un panneau « Défense d’entrer » attire immédiatement notre attention. Nous entrons dans un incroyable manoir, un palais, où les lèvres d’un homme prononcent ses derniers mots, Rosebud…
2) Complication
Un film d’actualités (dont l’utilisation était innovante) nous présente une biographie de Charles Foster Kane, l’homme qui vient de mourir – riche, controversé, finalement solitaire.
[Une des clefs d’interprétation de cette complication telle que la comprend Syd Field et que nous rapporte Charles Deemer serait de la considérer comme la prémisse car par sa nature même, une biographie véritable ou fictive est une prémisse].
3) Call to action
Les reporters qui montent la rubrique nécrologique ont cependant une pièce manquante du puzzle. Que signifie ce dernier mot prononcé par cet homme mourant Rosebud ? Un reporter est chargé de le découvrir.
4) Premier nœud dramatique
Deux lignes narratives se développent alors côte à côte : la quête du journaliste pour trouver la signification de Rosebud et la biographie plus profonde de Kane qu’il découvre en cours de route. Dans cette biographie, Kane hérite d’une grande richesse (après avoir été envoyé vivre loin de sa mère, qui voulait le protéger d’un père violent), mais rejette tout, sauf un journal en difficulté : il pense que ce serait amusant de diriger un journal.
On explique au journaliste que ce n’est pas l’argent que Kane voulait et que pour connaître le vrai Kane, il doit aller parler à ceux qui l’ont connu.
5) Point médian
Malheureux en ménage, Kane rencontre une jeune femme qui n’a aucune idée de sa richesse et de sa célébrité. Il entame une liaison avec elle, qu’il poursuit même après s’être lancé dans la course au poste de gouverneur. Plus tard, il choisira cet autre femme, même si cela détruit sa carrière politique.
6) Second nœud dramatique
Kane construit un opéra pour cet autre femme qui deviendra sa seconde épouse. C’est une cantatrice médiocre et, lorsqu’elle tente de se suicider après avoir été constamment harcelée par Kane au sujet de sa carrière vouée à l’échec, il se retire avec elle dans la vie recluse de Xanadu.
Elle finit par ne plus pouvoir le supporter et le quitte.
7) Climax et Résolution
Le journaliste n’apprendra jamais ce que signifie Rosebud. Alors que les biens de Kane sont brûlés, le traîneau de son enfance est jeté au feu – le traîneau nommé Rosebud. Toute sa vie, Kane a rêvé du bonheur simple mais momentané de son enfance avant d’être envoyé au loin.
Citizen Kane est à la fois un mystère, une énigme – qui ou quoi était Rosebud ? — et la biographie d’un homme extraordinaire. Le principe du reporter d’actualités à la recherche d’indices permet à la biographie de se dérouler lentement, maintenant notre intérêt, et la biographie suit également la structure classique du début, du milieu et de fin de la narration classique.
Citizen Kane est un fondement qui peut être utile à bien des projets.
La vie est belle (en 1946 écrit par Frances Goodrich, Albert Hackett, Frank Capra et Jo Swerling) est un film classique, bien sûr, mais aussi un film très intéressant à étudier pour son utilisation innovante du paradigme des 3 actes et sa capacité à maintenir l’intérêt avec de petites scènes de haute qualité.
1) L’accroche
Tout le monde à Bedford Falls prie pour George Bailey. Un ange, Clarence, sera envoyé pour répondre à leurs prières – et aussi pour gagner ses ailes.
2) Complication
Après que Clarence ait suivi un cours sur George, l’adulte George est prêt à partir pour un voyage exotique lorsque son père a une attaque cérébrale, obligeant George à demeurer à la maison. George ne désire rien de plus que de quitter Bedford Falls.
[Somme toute, on pourrait considérer cette complication comme une volonté contrariée.]
3) Call to action
George enterre son père. Le vilain Potter est sur le point de prendre le contrôle de Bailey Building and Loan lorsque le conseil d’administration le rejette à la condition que George reste et dirige la société. Bien qu’il soit sur le point de partir pour l’université, George accepte afin de sauver l’entreprise de son père.
4) Premier nœud dramatique
Sur le point de partir en lune de miel avec Mary, George est confrontée à une grave crise économique qui menace l’avenir de sa société. Mary lui offre l’argent de la lune de miel, et ils renflouent les caisses tout en restant en affaires.
5) Point Médian
L’oncle Billy perd un dépôt de 8000 $ la veille de Noël, S’ils ne le remboursent pas, l’entreprise fera faillite.
6) Second nœud dramatique
Clarence saute dans la rivière pour que George, désemparé, le sauve, plutôt que de sauter lui-même. George souhaite ne jamais être né, et Clarence exauce son vœu.
7) Climax et Résolution
En voyant combien Bedford Falls, Mary et les autres personnes qu’il a côtoyées auraient été différentes sans lui, George prie pour vivre à nouveau, pour que tout redevienne normal.
Les nombreuses personnes que George a aidées se sont cotisées pour sauver son entreprise. Un homme est aussi riche que les amis qu’il a.
La configuration de La vie est belle avec une analepse de plus de 20 minutes présentait un défi majeur. Pourtant, elle fonctionne parce que d’abord cette analepse est composée de scènes qui nous plongent dans l’histoire mais aussi parce que l’accroche initiale est puissante et inhabituelle.
Il s’agit d’une structure difficile qui, dans des mains moins habiles, aurait été désastreuse, mais qui fonctionne à merveille ici, car l’intérêt pour le film ne faiblit jamais et parce que la question dramatique centrale – la mission de Clarence pour sauver George – n’est jamais loin de notre attention.
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Bonjour Scenarmag ! Je ne pense pas qu’il ne faille que suivre à la lettre le paradigme de Syd Field mais de s’en imprégner sur en effet les 3 exemples décrits mais aussi qu’en tant que spectateur observateur de ses films les plus proches de soi.
D’abord s’en imprégner permet ensuite le temps et la liberté de s’en servir de fondations personnelles pour la rendre organique.
Syd Field m’a semblé lui-même préférer les idées parties d’un personnage et le personnage dramatique détient bien sa propre structure (alors dite « interne », « arc transformationnel » ou « arc dramatique ») qui plus est, peu éloignée ou en tous cas pas si étrangère à celle du scénariste lui-même.
S’en imprégner offre la force de porter son imaginaire sous le poids de tout son univers.
Hello Patrice,
Mais c’est effectivement sous l’articulation Complication que se trouve exprimé cet arc dramatique du personnage principal. Si l’on considère Bambi par exemple, ce prince de la forêt qui est décrit dans cette Complication anticipe la destinée de ce jeune faon à travers une série d’épreuves qui sont autant d’expériences nécessaires à ce devenir. Dans Citizen Kane, le film d’actualités nous décrit brièvement la destinée de Charles Foster Kane. La question dramatique que soulève cette Complication est bien centrée sur ce personnage : Comment cet homme si puissant a t-il pu s’éteindre dans une telle solitude ?
Quant à La vie est belle, la Complication nous prévient que la mort du père de George est la première d’une série de frustrations qui mèneront George à la tentative de suicide. Le paradigme des trois actes ainsi que l’analyse structurale selon Dramatica ne sont que quelques propositions. Elles se veulent explicatives pour essayer de comprendre son projet, d’en comprendre les parties et la place qu’elles occupent dans le tout.
Merci de tes interventions. J’aimerais tellement que d’autres suivent ton exemple.