LE SUSPENSE

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Cette réponse viscérale essentielle qu’est le suspense concerne la tension dramatique, les angoisses et le doute, qui découlent d’une situation incertaine, indécise ou mystérieuse. Cela offre un paradoxe intéressant, constate Karl Iglesias : dans la vie réelle, nous n’aimons pas ressentir ce stress, mais le vivre par personnage interposé nous excite.

Le suspense est probablement l’élément le plus important de la narration dramatique, car il retient l’attention du lecteur du début à la fin. Étant donné que toute histoire devrait être entretenue par un certain niveau d’incertitude (ce qu’il se passera ensuite), et ne cesser de faire nous interroger pour éviter la prévisibilité, le suspense est une exigence absolue dans toutes les histoires, et pas seulement dans les thrillers ou les aventures ou l’action. Toute histoire devrait créer ce sentiment d’impatience de savoir ce qu’il se passera ensuite.

Ne pas être prévisible

Être prévisible, c’est manquer de mystère et peut-être plus précisément, manquer d’incertitude. On peut même admettre que l’incertitude est sinon l’essence du moins le cœur de la fiction. Le suspense (puisque s’étendre sur l’incertitude nous mènerait à des contrées un peu trop lointaine mais que je devine déjà passionnante) doit être présent partout dans le scénario :

  • Au niveau de l’histoire : le héros réalisera t-il son objectif (en fait, il est même là un peu pour çà) ? Au niveau de la scène : le héros obtiendra-t-il ce qu’il veut dans cette scène précisément ? car si aucun personnage ne cherche à obtenir quelque chose d’un autre personnage, on peut s’interroger sur la légitimité de cette scène dans l’ensemble.
  • Et aussi au niveau du mouvement d’une scène qui bat au rythme des émotions (d’ailleurs en langue anglaise, ils nomment ce mouvement beat). Comment le héros va-t-il réagir émotionnellement ?

Néanmoins, on peut être incertain de ce que sera fait demain mais ce doute ne procure pas tellement d’anxiété. Là où on commence à être tendu par une situation, c’est lorsqu’au cœur de cette situation, il y a un personnage pour lequel nous nous préoccupons.

Une fois que vous êtes parvenu à créer un lien avec un personnage, vous pouvez mettre en place des situations menaçantes et incertaines qui créent du suspense. Si lecteurs et lectrices ne se soucient pas d’un personnage, il n’y aura pas de suspense lorsque ce personnage sera mis en danger (c’est-à-dire que la plupart du temps, cette menace consistera à contrarier l’intention du personnage sans nécessairement mettre en péril sa vie, peut-être son ambition ou son amour-propre).

L’étape suivante consiste à établir la probabilité de la menace. Je ne joue pas sur les mots. La prévisibilité, c’est d’acquérir la certitude que les choses se passeront ainsi et effectivement, elles se passent ainsi. Certes, un conte moral, par exemple, se dénoue souvent sur un Happy End mais c’est parce que le suspense importe peu dans ce cas.

La probabilité est que pour une cause, il existe une multitude de conséquences ou d’effets. Parmi ceux-ci, certains sont plus probables que d’autres, mais lecteurs et lectrices seront toujours surpris par le choix des auteurs et autrices en la matière. En fiction, la probabilité qu’un événement menaçant se produise (une bombe sur le point d’exploser, un avion à court de carburant, un plongeur à court d’air, un pont sur le point de s’effondrer…), et le suspense est plus intense.

Une dangereuse proximité

Nous ne ressentirions pas la même tension si un personnage avait un mois pour désamorcer une bombe parce qu’il est peu probable qu’elle explose bientôt. Voilà pourquoi il est préférable d’utiliser la position de supériorité du lecteur (dénommée aussi ironie dramatique) et de l’informer sur le danger potentiel, plutôt que de le laisser dans l’ignorance, ce qui ne crée que la surprise mais sans suspense préalable comme condition de cette surprise.

Le fait de savoir que la bombe est là augmente la probabilité de danger. C’est aussi pourquoi l’un des moyens les plus efficaces de créer du suspense est la proximité de la menace, comme une bombe à retardement ou un manque d’air, parce que cela augmente la probabilité d’échec.

En fait, plus la menace est proche, plus le suspense sera grand. Par exemple, dans Speed, nous ressentons du suspense tout au long du scénario parce que la menace de la destruction de l’autocar est présente à chaque moment.

A la proximité s’ajoute l’incertitude de la conséquence ou de l’effet. Ce n’est pas seulement parce qu’une cause possède de nombreux effets possibles. Cette angoisse du suspense vient du fait que le héros ou l’héroïne ont autant de chances de réussir que d’échouer dans leur entreprise.
En bref, le suspense concerne la possibilité que de mauvaises choses arrivent à un personnage auquel nous attachons de l’importance. C’est ce jeu entre savoir ce qu’il pourrait arriver et ne pas savoir ce qu’il arrivera qui provoque ce puissant sentiment de suspense, et nous tient en haleine.

Ainsi, la formule du suspense est la suivante : Une empathie envers un personnage + La probabilité d’une menace + L’incertitude du résultat = SUSPENSE.

La tension dramatique n’est pas le suspense

Bien que beaucoup fassent référence au suspense comme tension dramatique, vous devez savoir que la tension est une légère variante du suspense. La tension dramatique vise à retarder l’anticipation du résultat. Elle n’est pas l’incertitude quant au résultat. En fait, tout ce qui provoque un suspense provoque une tension dramatique tant qu’elle n’est pas soulagée.

Le mot tension vient du latin “étirer”. Imaginez que vous étirez lentement un élastique, de plus en plus… Ressentez-vous la tension ? Auteurs et autrices s’efforcent toujours de rendre le lecteur anxieux quant à la façon dont les choses vont se dérouler, puis retarde la résolution aussi longtemps que cette tension est efficace. Plus le délai est long, plus la tension est forte. Attention, cependant. Si vous étirez trop, la patience du lecteur ne résistera pas et la passion qui l’étreignait s’estompera et se transformera en ennui.

La tension dramatique s’installe partout. Elle peut être globale lorsqu’elle se pose comme question dramatique quant au triomphe ou à la défaite du héros ou de l’héroïne. Elle se présente aussi de manière plus granuleuse au niveau de la scène lorsque celle-ci pose la question dramatique de savoir si un personnage obtiendra ce qu’il veut dans cette scène.
Ainsi, voyez que dans la plupart des scènes, il y a d’abord refus de toute proposition. Quel que soit le genre, lorsqu’on sollicite un personnage, sa réaction est toujours d’abord négative car si cela ne produit pas systématiquement du suspense (voilà la différence entre tension et suspense), cet ajournement, cette dénégation, déni ou désaveu produit de la tension dramatique quant à la solution de la scène. Une solution qui pourrait être donnée plus tard dans l’intrigue.

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