PERSONNAGES COMPLEXES

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Les personnages complexes sont appréciés. Mais comment rendre un personnage complexe émotionnellement ? Il y a un rapport évident à la nature humaine.

Anthropologiquement parlant, les humains sont une espèce tribale. Nous avons besoin de nous regrouper pour survivre aux dangers de ce monde, ainsi qu’aux dangers que présentent les autres tribus. Pour distinguer plus facilement l’ami de l’ennemi (et pour trouver un sentiment de communauté basé sur une identité partagée), nous nous donnons souvent des marques distinctives à nous-mêmes et à ceux qui nous entourent.

Si je vous demandais qui vous êtes, vous me répondriez probablement par les termes qui, selon vous, définissent votre identité : votre profession, votre origine raciale ou ethnique, vos affiliations politiques ou religieuses, votre relation avec vos proches ou bien encore vos loisirs et vos centres d’intérêt…

En tant que lecteurs, nous avons cette même tendance à identifier, étiqueter et catégoriser dans cette relation particulière qui nous lie à la fiction, en particulier dans notre façon de considérer les personnages.

Un protagoniste bienveillant est un héros, tandis qu’un personnage secondaire qui lui apporte son soutien est son acolyte (ou Sidekick). Un personnage plus âgé et plus sage sert de mentor au héros, et le personnage par lequel il est attiré est appelé l’intérêt amoureux (traduction lâche de l’expression plus poétique de Love Interest).

En fait, des archétypes.

Identifier les personnages par les rôles qu’ils jouent peut nous aider à comprendre et à nous impliquer dans l’histoire. Nous encourageons le héros parce qu’il est le héros – tout comme nous voulons que le méchant échoue et que le Love Interest rende son affection au héros.

Les archétypes sont de vastes classifications de personnages qui transcendent le genre et le médium comme le guerrier ou la femme fatale. La théorie narrative Dramatica distingue 8 archétypes comme autant de fonctions. L’antagoniste et le protagoniste sont de telles fonctions par exemple.
Les archétypes courants comprennent même des identités de personnages plus distinctes telles l’escroc sympathique, le savant fou, l’artiste torturé, ou encore le Chosen One (l’élu ou l’élue), le voleur gentleman ou l’enfant surdoué.

Ce n’est pas une erreur d’identifier les personnages par les archétypes qu’ils incarnent, ni d’utiliser les archétypes comme point de départ pour créer des personnages. En tant qu’auteurs et autrices, définir les rôles de nos personnages peut nous aider à nous assurer qu’ils servent des objectifs narratifs clairs, tandis que développer un casting archétypique peut nous aider à créer des personnages que lecteurs et lectrices ne connaissent pas et aiment (ou aiment détester).

Il y a néanmoins un souci car si l’on n’y prend garde, l’utilisation d’archétypes peut enfermer les personnages dans des rôles trop familiers et peu originaux, ce qui conduit à des personnages sans intérêt qui ne sont jamais vraiment réels.

Donc, pour faire simple, les personnages complexes sont ceux qui existent au-delà des limites archétypales strictes des définitions de personnages. Et le plus souvent, le développement de tels personnages a tout à voir avec l’exploration et l’approfondissement de leurs mondes internes.

Les personnages qui incarnent des archétypes spécifiques sont généralement définis, en partie, par quelques traits et valeurs fondamentaux qui déterminent la façon dont ils s’engagent dans le monde qui les entoure. Le héros au cœur noble est courtois et courageux. L’adorable voyou est charmant, même s’il est peu scrupuleux. L’artiste torturé est brillant mais erratique, et la figure christique est aussi sage qu’altruiste.

Des émotions distinctes animent chacun de ces personnages : l’empathie, la douleur, la nostalgie, l’espoir… Mais nous sommes tous tellement plus que les émotions fondamentales qui nous animent.

Briser les liens

Permettre à vos personnages de se libérer des chaînes archétypiques qui les lient à un type est essentiel pour créer des personnages réels et complexes sur vos pages. Cela ne signifie pas qu’il faille permettre à vos personnages d’agir hors de leur contexte. Au contraire, dépasser un archétype, c’est donner aux lecteurs l’occasion de voir des aspects de vos personnages que ceux-ci ne partagent pas souvent avec le monde.

L’instructeur sévère qui fait de la vie de votre héros un véritable enfer semblera soudain beaucoup plus complexe si le lecteur apprend qu’il a une folle passion pour les chats, tout comme la jeune fille semblera infiniment plus réelle si les lecteurs apprennent que son sourire cache un terrible secret.
Dans la fiction comme dans la vie réelle, les situations de conflit et de vulnérabilité sont souvent ce qui nous permet de voir une autre facette de la personne (ou du personnage) que nous pensions connaître.

Se demander dans quelles situations vos personnages seraient amenés à agir contre leur nature peut être un exercice très instructif. Par exemple, qu’est-ce qui pousserait votre héros au cœur noble à agir par colère ou par haine ?

Le personnage principal sort souvent de son rôle archétypique lors de moments clés de l’intrigue, tel ce moment du Dark Night of the Soul, lorsqu’il semble que tout soit perdu pour lui. Tout comme dans la vie réelle, nos personnages cèdent à l’illusion ou au mensonge (c’est-à-dire à la croyance qui restreint leur vision du monde) et qui les conduit à leur point de rupture.
Par exemple, lorsque Petyr Baelish trahit Ned Stark dans A Game of Thrones, Ned abandonne sa croyance selon laquelle il faut toujours agir avec honneur et avoue faussement sa trahison dans une vaine tentative de protéger sa famille.

Bien qu’on soit souvent défini par nos traits de caractère les plus marquants (par exemple, la gentillesse, la colère ou l’insécurité), personne ne ressent ces émotions déterminantes en permanence. En fait, la plupart d’entre nous éprouvons un large éventail d’émotions au quotidien. Définir la nature du contexte émotionnel de votre personnage (c’est-à-dire les circonstances qui l’amèneraient à éprouver une large gamme d’émotions) est un excellent moyen de développer la complexité affective de ce personnage.

Un brainstorming pourrait s’avérer utile :

  1. Qu’est-ce qui contrarie mon personnage ?
  2. Quelles petites choses apportent de la joie à mon personnage ?
  3. Qu’est-ce qui donne à mon personnage un sentiment d’insécurité ?
  4. Quand, où et avec qui mon personnage se sent-il le plus en paix ?

Répétez ce processus avec toutes les émotions que vous souhaitez explorer : la colère, le désespoir, le dégoût, l’amusement, la gratitude, la jalousie, la confiance, la bravoure, l’inspiration, ainsi de suite.

Ce n’est pas grave si les lecteurs ne voient jamais votre personnage dégoûté, enragé ou excessivement reconnaissant. Que ce brainstorming serve simplement à vous rappeler que vos personnages peuvent être bien plus que les archétypes sans nuance qu’ils incarnent. Puis, cela peut aussi vous aider à explorer le passé, le point de vue ou la personnalité de vos personnages.

La raison et la passion

Tout en explorant la complexité émotionnelle de vos personnages, vous pouvez également trouver utile de déterminer leur intelligence émotionnelle (c’est-à-dire leur niveau de conscience et de contrôle de leurs émotions, ainsi que leur capacité à construire et maintenir des relations saines).

Les personnages dotés d’un haut niveau d’intelligence émotionnelle (c’est-à-dire qu’ils possèdent la capacité de raisonner leurs émotions) ont de bonnes aptitudes à la communication, des limites personnelles claires et une bonne compréhension des comportements sains et malsains.
En plus d’être tolérants, empathiques et patients, ils comprennent qu’ils ne sont pas leurs émotions. Ils réfléchissent avant de parler et agissent de manière calme et rationnelle plutôt qu’impulsive.

D’autre part, les personnages ayant une faible intelligence émotionnelle seront de mauvais communicants. Ils peuvent être égoïstes, exigeants, sans cesse dans le besoin ou narcissiques, et à ce titre, ils auront probablement un comportement toxique ou abusif. Ils ne savent pas comment gérer leurs émotions, alors ils parlent et agissent de manière impulsive.

Comme tout trait de caractère, l’intelligence émotionnelle parcourt une gamme assez large. Comprendre le niveau d’intelligence émotionnelle de vos personnages peut vous aider à mieux cerner comment ils pourraient agir et réagir tout au long de votre récit.

En fait, définir l’intelligence émotionnelle de vos personnages peut même vous aider à développer leur arc dramatique (c’est-à-dire la série d’événements qui explore le parcours émotionnel de votre personnage en un autre être plus proche de sa véritable nature ou bien cet arc décrit l’échec de cette tentative).

Les personnages qui connaissent des arcs positifs développent généralement leur intelligence émotionnelle, apprenant à mieux gérer les obstacles internes, à établir des limites et à renforcer leurs relations.

Les personnages qui commencent leur histoire avec un niveau élevé d’intelligence émotionnelle sont plus susceptibles de connaître un arc plutôt plat dans le cours de l’intrigue dans lequel ils s’efforcent de rester fidèles à leurs valeurs face à la tentation.
Par contre, de nombreux personnages qui connaissent des arcs négatifs commencent et terminent leur histoire avec un faible niveau d’intelligence émotionnelle. Mais lorsqu’il s’agit pour eux de renforcer des croyances qu’ils possédaient déjà mais envers lesquelles ils avaient peut-être peu de convictions, c’est un arc dramatique positif qui développe l’intelligence émotionnelle chez celui qui suit cet arc.

Ne négligez pas l’arc dramatique de vos personnages ainsi que l’évolution de la relation entre le personnage principal et un autre (la théorie et pratique narrative Dramatica qualifie cet autre de Influence Character).
Cet autre est effectivement un personnage qui a un impact quel qu’il soit sur le héros de votre récit. Ainsi, un allié peut avoir davantage d’influence sur le personnage principal que d’autres alliés. Certes, l’antagoniste ou la force antagoniste peut être tout aussi efficace à inciter le changement chez le personnage principal.

La relation qui unit ces deux êtres (personnage principal & Influence Character) est essentiellement subjective et concerne ainsi tout à fait le domaine des émotions. Ce qui rend ces personnages encore plus complexes.

Une grande partie de ce qui rend un personnage réel et crédible réside dans sa complexité émotionnelle. Nous sommes par notre nature humaine même terriblement compliqués, et vos personnages doivent l’être aussi.

En tant que rédacteur, vous n’avez qu’un contrôle très limité sur le degré de rapprochement des lecteurs avec votre histoire. Mais en vous efforçant de développer des personnages complexes sur le plan émotionnel, vous créerez une distribution de personnages qui prendra véritablement vie sur vos pages.

Et ce faisant, vous préparerez le terrain pour que les lecteurs et les lectrices les plus à mêmes d’apprécier un récit tel que le vôtre s’attachent à cette histoire à un niveau profondément personnel.

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