ARC ÉMOTIONNEL ET INTRIGUE

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On sait ce qu’est l’intrigue. On connaît moins cependant ce qu’elle est vraiment, c’est-à-dire ce battement émotionnel qu’elle contient en elle parmi d’autres choses mais d’une force si puissante qu’elle en imprègne lecteurs et lectrices.

Pour écrire l’intrigue, on se sert habituellement d’une structure. Que ce soit trois actes ou un Hero’s Journey théorisé par Joseph Campbell ou d’autres plus ou moins connues.
Ainsi, une intrigue se compose d’événements. Ces événements sont décrits dans des scènes que l’on peut configurer dans l’ordre qui sied le mieux à l’histoire que l’on souhaite raconter (c’est-à-dire dont on souhaite faire le récit).

Les scènes créent un mouvement. Une intrigue se développe d’un point A à un point B si l’on admet cette comparaison qui mêle temps et espace en une seule expression. Il est bon qu’une scène offre au moins un soupçon de tension dramatique afin de donner l’envie aux lecteurs et lectrices de connaître la résolution du problème soulevé par la scène.

Émotionnellement engagé

De nombreux auteurs motivent leurs personnages par des circonstances extérieures : Je dois le faire, car si je ne le fais pas, cela arrivera.
Les enjeux de ces histoires sont également externes. Il faut que les choses se passent bien, sinon, la vie sera terrible pour tout le monde.

Il n’y a rien de mal envers ces enjeux nécessaires ; ils n’ont simplement pas d’effet ou de conséquence émotionnels. Les enjeux personnels sont le moyen le plus fiable de faire en sorte qu’une histoire importe pour le lecteur. Les enjeux personnels sont la raison pour laquelle les protagonistes doivent agir pour eux-mêmes.

Ces enjeux sont la pulsion qui vient du besoin intérieur et du désir extérieur. C’est ce qui pousserait un protagoniste vers le changement (c’est-à-dire le besoin). Ce qu’il faut comprendre avec le besoin, c’est qu’il n’est pas dépendant de l’intrigue. Celle-ci pourrait être une succession d’événements divers et variés mais le besoin serait le même.

L’intrigue suscite notre intérêt. Elle nous attire avec son urgence. les questions dramatiques qu’elles suscitent, les tensions dramatiques et cette incertitude envers le devenir des personnages ou de la résolution même de cette intrigue.

Une intrigue, ce sont aussi des personnages. Certes, des êtres de fiction mais des êtres néanmoins. C’est-à-dire qu’ils possèdent un ego. C’est-à-dire la représentation et la conscience que l’on a de soi-même.

Selon Donald Maass, ce qui nous tient en haleine, cependant, c’est la tension inhérente à la direction que prend cet ego dans le cours de l’intrigue. Observer cet ego se débattre avec un besoin personnel qu’il a parfois tant de mal à comprendre peut susciter un sentiment d’empathie.

L’émotion cependant naît dans la reconnaissance du sentiment d’inquiétude qui s’empare d’un personnage face à ses pérégrinations et tribulations au cours de l’intrigue. Cette résistance naturelle qu’il oppose au changement est aussi facilement reconnaissable et partagée. Cet être de fiction est aussi à la recherche de lui-même. On est très proche de la vie réelle avec le personnage principal. Cette quête personnelle qui peut s’apparenter au besoin est un bon moyen de reconnaissance et de partage d’émotions.

Le changement passe par une lente capitulation. Que le personnage principal change radicalement de personnalité ou bien qu’il renforce ses certitudes après tant de vaines hésitations, ses résistances cèdent. Lecteurs et lectrices peuvent comprendre les sentiments dont le personnage principal est la proie. Certainement parce qu’ils les ont plus ou moins clairement éprouvés eux-mêmes.

Les personnages principaux ont tendance à se sentir étrangers au monde dans lequel auteurs et autrices les ont jetés. C’est une sorte d’inquiétante étrangeté dont ils oignent leurs personnages. Et dans le même coup, on ressent ce malaise. Il y a aussi ce sentiment d’incomplétude tout à fait lié au besoin du personnage. Tout comme nous, le personnage doit mûrir et parfois, on a l’envie parce qu’il a triomphé (alors que cela paraît impossible dans la vie réelle) de connaître nous aussi cette expérience.

On peut en chercher la cause dans un secret trop longtemps caché ou refoulé ou bien d’une manière plus large dans une angoisse existentielle mais l’astuce, c’est que c’est, certes, invisible (ce qui crée encore du malaise) mais surtout, cela est palpable et nos sens sont alors atteints.

La recherche du bonheur

Nous aspirons tous à quelque chose. Des choses nous arrivent. Nous faisons face, nous résolvons les problèmes, nous subissons des revers, nous avançons (enfin ceux qui ont compris) et nous poursuivons nos rêves. Mais qu’est-ce qui nous pousse vraiment à faire ces choses ?

Quelque chose à l’intérieur qui a peu à voir avec nos défis et nos objectifs. Il s’agit d’un besoin de soulager notre anxiété (qu’elle soit individuelle ou d’ordre sociétal), de prouver ou de se prouver quelque chose, d’aimer et d’être aimé, de s’emporter contre ce qui est injuste, de s’intégrer, de se démarquer ou de trouver ce qui nous rendra heureux. En un mot, refuser la souffrance de ce monde.

Dans une fiction, il y a bien deux mouvements : celui de l’intrigue avec un point de départ et un point d’arrivée ou d’un incident déclencheur à un dénouement. Ceux qui s’intéressent à la théorie narrative Dramatica se rappelleront l’Objective Story Throughline qui décrit cette trajectoire qui appartient en propre à l’intrigue et qui concerne par ce statut tous les personnages.

Avec un mouvement parallèle puisqu’ils s’amplifient l’un l’autre, il y a cet Inner Journey, c’est-à-dire ce qu’on nomme l’arc dramatique qui décrit l’évolution personnelle d’un personnage au-travers de l’intrigue.

Il existe des moments dans nos vies qui sont comme une révélation. On peut parfois prendre soudain conscience de la vraie personnalité d’autrui mais le plus souvent et ce qui est foncièrement dramatique, c’est de s’illuminer sur soi-même.

Au point médian de l’intrigue (qui peut s’étendre de quelques mots à plusieurs pages), le personnage principal connaît un sérieux moment de crise. On peut l’assimiler à une crise d’identité et à un terrible sentiment de solitude.
Toute l’intrigue a été menée jusque là à cette catastrophe. Tout a été écrit pour faire sombrer le personnage. Mais le gouffre le plus terrifiant est celui que l’on voit dans le miroir.

C’est alors que se produit une catharsis ou une anagnorisis, à la fois une libération (une purge de nos sentiments qui nous fourvoyaient, pensait Aristote) et la découverte de ce que nous sommes, pour nous s’entend, le point de vue que nous découvrons sur nous, ce que nous sommes pour nous, la représentation, le regard que nous avons sur nous change et cela nous ouvre de nouveaux horizons, comme au personnage principal d’un récit.

Mais cela n’est possible que si le personnage a grandi de ses tribulations dans l’intrigue. Cette libération lui donne de nouveaux pouvoirs, une nouvelle volonté et, rappelle Donald Maass, cela n’arrive pas comme une bénédiction des dieux, mais comme la découverte de son propre potentiel, jusqu’alors caché.

Le point médian d’un récit se produit à la fois à la surface, on observe ce qu’il se passe à la surface du monde sensible que nous dépeint l’intrigue mais aussi d’une manière plus intime car lorsqu’on observe ce personnage qui s’effondre, non seulement on comprend son désarroi mais notre imagination prend alors le relais.

Alors dans l’esprit du lecteur et de la lectrice s’opère cette alchimie qui nous relie au sentiment du personnage. Chacun d’entre nous interprète et ressent ce sentiment avec des différences. Ce qui compte néanmoins, c’est que le passage des émotions et des sentiments est ouvert. On peut le nommer compassion ou empathie.

Devenir entier

Il est difficile de parler de la finalité d’un personnage, pourtant, auteurs et autrices sont des démiurges qui déterminent le devenir de leurs êtres fictifs. Admettons.

Admettons qu’un personnage, principal si l’on souhaite le désigner plus précisément, est, au début de son aventure, c’est-à-dire une aventure qui se déploiera dans l’espace de l’intrigue, ce personnage, donc, est incomplet. Il lui manque quelque chose pour se sentir entier et parfois, il n’a même pas conscience de ce qu’il lui manque. Cela fonctionne dans tous les genres y compris les comédies sentimentales.

Le cheminement vers la plénitude est mystérieux, avec des revirements, des croisées de chemin et des voies de traverse qui arrivent à tout moment et de toutes les façons possibles. En effet, en nos vies, ce sont les découvertes inattendues sur nous-mêmes qui ont l’effet le plus durable. En cours de route, on rencontre des mentors (ce ne sont pas les pires des rencontres), tels que nos parents, nos enseignants et d’autres, mais aussi des imprévus comme des fantômes, des hirondelles et des mendiants.

Pour Donald Maass, cette lutte avec soi-même est la substance de nos propres récits de vie. Une vie qui se construit vraiment sur des intuitions. Puisque les fins heureuses sont si communes en fiction, il est manifeste qu’elles n’imitent pas la réalité. Il nous faut accepter que nous sommes dans un monde de peines et de souffrances sans aucune religiosité dans ce propos mais seulement le constat que la fiction non seulement dénonce mais traduit aussi notre aspiration vers autre chose, au-delà de la fin du combat et de la paix espérée.

Voici ce que pense Donald Maass : Se réconcilier avec soi-même, être heureux, est un besoin humain primordial. Mais se transcender est un accomplissement divin. Le premier est suffisant pour faire une bonne histoire. Le second est ce qui fait la grandeur d’une histoire.
La recherche de la sérénité est accomplie lorsque le héros se sent heureux, mais elle n’est pas terminée tant qu’il n’est pas aussi en accord avec le monde. Ce qui est intérieur rayonne alors vers l’extérieur. En réalité, le but des histoires n’est pas seulement de changer les personnages, mais aussi de montrer la voie d’un changement en nous tous.

On pourrait objecter à Donald Maass que l’harmonie de l’individu avec le monde n’est pas un a priori, une condition nécessaire pour être en paix avec soi-même. On peut d’ailleurs être en accord avec soi-même et éprouver une profonde répugnance envers le monde. Chaque auteur et chaque autrice apporte avec lui ou elle son propre point de vue.
Considérons le suicide de Javert par exemple. C’est lorsqu’il réalisa que les valeurs auxquelles il a consacré toute sa vie ont mené à la mort de Gavroche qu’il prend la décision de mettre fin à ses jours.

L’effet qu’un récit a sur nous n’est pas produit par qui en fait partie, où il se déroule ou ce qu’il s’y passe. Il est produit par ce que nous ressentons par rapport à ces choses.

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