LA RUINE GOTHIQUE

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L’élément de terreur gothique est essentiellement lié à l’architecture du château ou du manoir, inspiré de l’époque victorienne dans ses grandes lignes. C’est l’image d’une puissance sombre, isolée et impénétrable. La lumière ne traverse pas les murs épais renforcés de remparts. La bâtisse se tient silencieuse, solitaire et sublime. C’est un indéniable défi de taille pour quiconque s’ose s’aventurer dans son règne solitaire.

Les nombreux et sombres corridors sont parcourus par des bandits armés. Ses salles sonnent avec des réjouissances hideuses ou sont aussi silencieuses qu’une sépulture. Même lorsque le bâtiment est en ruine, il est majestueux et menaçant. C’est un lieu propice aux êtres romantiques mystérieux et démoniaques.

Une terreur mélancolique

La grandeur de ces reliques rappelle les antiques scènes de chevalerie et il émane de ces murs une grandeur disparue inspirant un sentiment de crainte mélancolique et un enthousiasme sacré. Elle éveille la pensée de ceux qui y ont vécu autrefois : si ces murs pouvaient parler, ils pourraient raconter des choses étranges, car ils ont vu de tristes faits.

C’est un emblème de vie et de mort, et les murs en ruine semblent encore faire écho aux frémissements de la vie. On sent que dans les salles, des banquet se sont succédé, ou bien qu’un spectre réclame justice. De grandes salles ont vu passer des pas pressés et entendu des voix qui se sont élevées dans cet air désormais silencieux.

Cet édifice ruiné est un symbole de joie et d’affliction, de passions, d’espoirs et de peurs, de triomphes et de trahisons, de grandeur princière et de misère des gens, de pouvoirs surnaturels et d’une vie vulnérable.

Le château gothique est la personnification de toutes les émotions et de tous les thèmes du roman gothique. Ainsi, le château lui-même est le point de convergence du romantisme gothique. Les Mystères d’Udolphe de Ann Radcliffe est situé dans les Appenins ; les incidents de La Forêt ou l’Abbaye de Saint-Clair de la même se déroulent dans une abbaye déserte, ou bien encore dans un cloître des Pénitents Noirs (L’Italien ou le Confessionnal des Pénitents Noirs).

De nombreux romans gothiques mettent en scène des couvents perchés au détour de collines, gouvernés par le règne draconien d’une fière abbesse, où les terrasses surplombent de vastes précipices couverts de mélèzes et obscurcis par des pins gigantesques ; dont les silences ne sont troublés que par la cloche profonde qui sonne l’office de minuit et la prière.

Ces auteurs ont été attirés par le mystère des demeures monastiques, par leur éloignement et leur impénétrabilité. La coule porté par les moines ou le pâle habit de carmélite, s’insinuaient déjà dans des imaginaires qui n’attendaient que cela pour mieux flamboyer. Le glamour se mêlait à une peur délicieuse et à une crainte envoûtante qui reste un ingrédient essentiel du roman gothique.

Du château, le roman gothique tire ses accessoires habituels : portes massives se balançant lourdement sur des charnières rouillées, se fermant invariablement avec un fracas retentissant ; galeries sombres et sinistres ; escaliers qui s’effondrent, chambres dégradées et toits couverts de moisissures ; des cloches qui sonnent ou encore des spectres traquant l’héroïne.

Des héroïnes curieuses ou des héritiers légitimes explorent les ailes désertes où ils seront capables de résoudre le mystère d’un meurtre perpétré par les ancêtres de l’usurpateur actuel. Les ailes désertées peuvent également caractériser certaines des impulsions inexplorées du mouvement romantique naissant, où le château se dresse comme une image d’une personnalité solitaire.

Le méchant gothique

Alors que l’agent passif de la terreur est le château, l’agent actif de la terreur est le méchant gothique. Il est né en tant que membre auxiliaire du château en ruine, et sa nature est dictée par son origine. Sa fonction est d’effrayer les héroïnes, de les poursuivre à travers les voûtes et les labyrinthes du château, de les harceler à chaque instant.

Les romans gothiques ne présentent aucune nuance de gris apaisante : les personnages sont pour la plupart soit dotés d’une méchanceté sombre et diabolique, soit d’une pure vertu angélique. Des pères interférant sur les décisions de leurs enfants, brutaux dans leurs menaces, oppriment le héros ou l’héroïne et les forcent dans un mariage odieux.
Les fonctionnaires de l’Inquisition ou les personnages d’abbés et d’abbesses sont imprégnés d’une cruauté diabolique, jubilant souvent dans le diabolisme gothique à cause de leurs tortures. Les pages de ces œuvres sont définitivement gore et alternent entre le sang et les spectres.

Outre le tyran qui en a hérité, la source première de la terreur était la ruine elle-même. Autour du concept de la ruine, les romanciers gothiques ont construit une machinerie élaborée en fonction de leur humeur et ont fait avancer les objectifs de mystère, de gloire ou de sublime et de terreur.

Cette convention de la ruine n’était pas nouvelle, car les amateurs de classicisme avaient déjà acquis en Italie et en Grèce une profonde connaissance des vestiges antiques. En ornant leurs parcs de ruines artificielles (les premières fabriques de jardin), ils voulaient perpétuer dans les prairies anglaises les gloires d’une civilisation disparue.

Le lectorat du roman gothique y a vu le symbole d’une époque sombre, barbare et superstitieuse. Enfin, l’attrait de la ruine comme un rocher imposant a contribué à la conception du pittoresque, qui était un élément essentiel de l’esprit gothique.

Pour les auteurs gothiques, les ruines étaient éminemment pittoresques, d’une beauté exceptionnelle, car le lierre sombre grimpait sur l’architecture en ruine, occultant la lumière et s’ajoutait à la morosité générale ; les mauvaises herbes et les fleurs sauvages ondulaient le long des allées ouvertes.
Méditer sur de telles scènes, c’est nourrir la délicieuse sensibilité de l’amateur de gothique. Le Schauer Romantik (le romantisme noir) était implicite même dans ces inclinations, car le lierre est autant un accessoire de la décomposition inorganique que les vers sont organiques.

Pour ces auteurs, la ruine n’est pas seulement une chose merveilleuse, mais aussi l’expression du pouvoir de la nature sur les créations de l’homme : les esprits qui s’attardaient volontiers sur l’impermanence de la vie et de l’effort humains cherchaient de tous côtés des symboles de la philosophie panthéiste. Le panthéisme est l’opinion selon laquelle le monde est soit identique à Dieu, soit une expression de la nature de Dieu. Il vient de pan, qui signifie tout, et de théisme, qui signifie la croyance en Dieu. Ainsi, selon le panthéisme, Dieu est tout et tout est Dieu.

Les ruines sont de fières effigies de la grandeur perdue, les représentations visuelles et statiques d’un mystère tragique, une relique sacrée, un mémorial, un symbole de tristesse infinie, de sensibilité et de regret les plus tendres.

Ces scènes évoquent une sensation de sublimité qui se transforme en terreur, une sorte d’étonnement et d’émerveillement mêlés. Dans La Forêt ou l’Abbaye de Saint-Clair, Ann Radcliffe écrit : Ces murs où autrefois la superstition se cachait et l’austérité anticipait un purgatoire terrestre, tremblent maintenant sur les restes mortels des êtres qui les ont élevés.

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