LE PERSONNAGE DANS L’INTRIGUE

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D’abord, il faut se persuader que privilégier le personnage ou l’action dans un texte de fiction est une affaire personnelle.

C’est un choix que vous allez devoir apprendre par vous-mêmes.

Les meilleures histoires ont à la fois de grandes intrigues et des personnages formidables ; mais cela ne se produit pas par accident. L’auteur doit comprendre son style d’écriture et faire l’effort pour présenter son histoire de la manière la plus cohérente qui soit en un partage harmonieux entre le personnage et l’intrigue.

Plot Driven ou Character Driven

Dans l’article précédent, j’ai défini l’expression Character Driven pour désigner les récits dans lesquels le personnage constitue ce récit. Sans le personnage, le récit serait informe. Le récit n’existe que pour et par ce personnage.

Si je tente de définir ce qu’est Plot Driven, devrions-nous le considérer comme le contraire d’un Character Driven ? Ce serait peut-être un peu trop facile. Il est indéniable que Plot Driven privilégie l’action. Mais ce n’est pas en opposition avec Character Driven.

Je me demande d’ailleurs jusqu’à quel point cette distinction n’est pas un concept des critiques qui se seraient désolés que si peu d’attention soit donnée à l’élaboration des personnages par insuffisance de l’auteur ou de l’autrice qui compenseraient alors un manque d’intuition ou de sensibilité et qui se rabattraient sur l’action pour masquer ce manque.

La plupart des auteurs penchent naturellement vers un style d’écriture. Écrire de la fiction, c’est produire un récit imaginaire présenté comme réel. En reconnaissant votre préférence d’écriture (après tout, vous pourriez préférer l’action sur la psychologie qui par ailleurs pourrait vous sembler rébarbative et donc impossible de bien écrire là-dessus), vous serez en mesure de déterminer ce que vous devriez équilibrer.

Certains auteurs préfèrent construire un monde entièrement axé sur l’action. Ils mettent en place une sorte de fil d’Ariane que lecteurs et lectrices se passionnent à suivre. D’autres auteurs aiment plonger dans la psyché. Ils créent des études de personnages riches et qui continueront de hanter l’esprit du lecteur ou de la lectrice bien après la fin du récit.

En fait, nous ne sommes ni l’un ni l’autre. Beaucoup d’auteurs font l’erreur d’élever la caractérisation de leur personnage au-delà de l’intrigue, mais aucune approche n’est meilleure que l’autre.
Un personnage génial avec rien à faire et aucun conflit pour le développer est ennuyeux. Peu importe à quel point le personnage est intéressant si vous ne pouvez pas créer un environnement antagoniste qui le cisèle et le définit.

Contre Aristote

Vous pourriez vouloir consacrer l’action. Si vous êtes ainsi, vous êtes en accord avec Aristote. Dans sa Poétique, il affirme que l’intrigue est beaucoup plus importante que les personnages d’une histoire. Seulement, même une intrigue géniale qui entraîne le lecteur sur des rebondissements et des coups de théâtre à tomber à la renverse tombera à plat si les personnages sont unidimensionnels.

Personnage
Edward Morgan Forster

S’il existe une vérité, c’est que vous aurez besoin à la fois de personnages multidimensionnels et d’action. Qu’est-ce qu’une intrigue ? Comme je l’ai précisé précédemment, dans la langue anglaise Plot se traduit le plus souvent par intrigue mais le concept s’étend aussi jusqu’à l’action.
Reprenons cette tentative de définition de Edward Morgan Forster qui nous dit que le roi meurt et puis la reine meurt est une histoire. Mais ce n’est pas encore une intrigue. Le roi meurt et la reine meurt de chagrin. Maintenant qu’une causalité a été établie, la mort de la reine trouve sa cause dans la perte du roi. Cette fois, nous dit Edward Morgan Forster, nous avons une intrigue (ou Plot).

L’hypothèse est donc que l’intrigue se constitue d’une série d’événements parmi un nombreux choix d’effets issus d’une seule cause. La chronologie des événements du récit (même si l’histoire réagence ces événements selon ses propres exigences) est respectée. Les événements sont alors justifiés selon le principe de causalité.

En se concentrant sur l’action ou intrigue, vous privilégiez les événements. Les histoires en Plot Driven sont souvent passionnantes et trépidantes. Ils obligent le lecteur à tourner la page pour découvrir comment les personnages s’échapperont, s’évaderont, prévaudront ou vaincront l’adversité.

En tant qu’auteur d’une histoire qui se fonde sur l’action, vous devez méticuleusement lier les moments de l’intrigue pour créer une histoire cohérente. Vous vous concentrez naturellement sur les idées ou concepts plutôt que sur les personnages et leurs motivations. Je vous conseille la lecture de notre série d’articles sur la théorie narrative Dramatica pour vous assurer du respect de la cohérence de votre récit.

Dans ce type d’histoire, vous forcez vos personnages à prendre des décisions rapides qui font avancer l’intrigue. Par conséquent, le développement du personnage est secondaire au déploiement de l’intrigue. Forcément qu’une fiction est subjective et imaginaire mais en dernier lieu, ce seront bien les décisions des personnages qui permettront à l’intrigue de progresser.

Alors qu’est-ce qu’un personnage ?

Un personnage est cette entité dont vous allez vous servir pour conter votre histoire. Chaque récit (même un historien nous fait le récit de l’Histoire en nous présentant les faits sur la base des vestiges d’autrefois) possède au moins un personnage.

Et ce personnage pourrait être même le lecteur ou la lectrice dans le point de vue du tu.

Vos personnages devraient être mémorables, offrant plusieurs dimensions (un méchant de l’histoire ne peut pas être simplement LE méchant de l’histoire) et distincts les uns des autres. Chaque personnage aurait la conscience d’exister. Chaque personnage est un être sensible.

Sur un plan tout à fait subjectif, le personnage, quel qu’il soit, initie, exécute et contrôle ses propres actions volontaires dans le monde. C’est la conscience pré-réflexive ou le sens implicite que c’est moi qui exécute mes propres mouvements corporels et qui est le maître de mes propres pensées (même si les opinions et les croyances sont le fait d’influences).

En d’autres termes, vos personnages devraient posséder et contrôler leurs actions dans le monde que vous créez. Une histoire Character Driven est axée sur l’étude des personnages qui la composent. Mais composer n’est pas vraiment le terme exact. En effet, les personnages ne sont pas des éléments que l’on peut extraire facilement d’un récit sans détruire du même coup le récit.

Character Driven permet l’arc dramatique des personnages ou décrit les relations entre les personnages qui elles-mêmes évoluent au cours de l’histoire. Si nous considérons le personnage principal, au début de l’histoire, il est In Statu Nascendi, c’est-à-dire qu’il est en devenir.
L’intrigue, à travers les pérégrinations et les tribulations qu’elle lui fera subir, opère un déplacement statutaire du personnage, qui, en fin de parcours, est devenu autre. L’arc dramatique, cependant, n’ajoute pas des traits de personnalité magiquement. Ceux-ci existaient déjà chez le personnage. Il n’en avait simplement pas conscience.

Alors que Plot Driven se concentre sur un ensemble de choix qu’un personnage doit faire, Character Driven se concentre sur la façon dont le personnage arrive à une décision particulière. Lorsque vous vous concentrez sur les conflits internes, vous avez tendance à moins vous concentrer sur les conflits externes. L’intrigue d’une histoire animée par un personnage est généralement simple et souvent centrée sur la lutte interne ou interpersonnelle du ou des personnage(s). L’intrigue sert au développement du personnage et c’est cela qui permet en quelque sorte au lecteur d’interagir avec l’histoire.

Se reconnaître dans le personnage

personnageBeaucoup de lecteurs aiment les histoires Character Driven parce que l’auteur ou l’autrice tendent à mettre en avant des personnages réalistes, imparfaits, c’est-à-dire humains. Les lecteurs peuvent se voir eux-mêmes ou quelqu’un qu’ils aiment dans ces personnages et, par conséquent, se connecter émotionnellement.
Le Club de la Chance (scénario d’Amy Tan et Ronald Bass d’après le roman d’Amy Tan) est une œuvre exemplaire du Character Driven. Ce récit tisse ensemble huit études de relations entre mères et filles d’une manière qui parvient à nous toucher au cœur.

Comment distinguer entre Plot Driven et Character Driven ?

Dans une intrigue Plot Driven, les décisions des personnages impactent le déroulement de l’histoire. Aucun des choix qu’ils font ne peut être sans conséquence. Ils orientent l’histoire dans une direction bien précise.

Des choses arrivent aux personnages et l’histoire rayonne à partir de la manière dont les personnages répondent à ces choses. Et pour comprendre comment vos personnages répondront ou devraient répondre à ces circonstances, vous devriez bien appréhender qui ils sont. C’est-à-dire que leurs personnalités apparentes, perceptibles par nos sens, règlent leurs décisions et par conséquent l’orientation de l’histoire.

Dans une intrigue Plot Driven, on ne cherche pas vraiment à savoir comment ces personnages sont ce qu’ils sont, mais plutôt pourquoi ils le sont sans s’interroger sur le comment. On peut néanmoins l’effleurer sans prendre trop de risques avec le rythme que l’on attend d’un récit dans lequel l’action prédomine. Gardez à l’esprit que vous écrivez pour un lecteur même si c’est votre histoire personnelle que vous voudriez crier à la face du monde.

Avec la Plot Driven, le personnage subit et agit. Il subit l’événement et réagit. C’est par cette réaction que l’intrigue avance créant en retour de nouveaux événements auxquels le personnage réagit de nouveau. Dans une intrigue où l’action prédomine, on explique sommairement l’intention d’un personnage. Celui-ci par exemple veut se venger des criminels qui ont assassiné sa famille. Le motif de la vengeance est mis en exergue. On ne s’étend pas trop sur les questions de morale et la légitimité du crime devient secondaire comme un McGuffin, un prétexte pour dire qu’on a une intrigue mais qui ne constitue nullement cette intrigue. Par exemple, les tueurs voulaient récupérer une statuette, véritable énigme à elle seule, qu’ils pensaient trouver chez le personnage principal.

Brainstorming pour Plot Driven
  1. Qu’est-ce qui pourrait ressortir du passé du personnage qui pourrait justifier ses décisions, ses actions et ses réactions actuelles ?

  2. Quelle sera la personnalité apparente du personnage ? Par personnalité apparente, je pense surtout à la persona, l’image de soi que l’on renvoie aux autres. Et dans un récit où précisément l’action domine, on ne cherche pas en profondeur et c’est cette image, ce masque qui est donné en pâture aux lecteurs.

  3. Maintenant, quelle relation peut-on établir entre cet élément du passé et la persona ? Le masque que porte votre personnage est façonné par son passé tels que nous les avons décris précédemment.
    De cette relation, il résulte une intention. Nous avons mentionné la vengeance, par exemple. En fait, il s’agit de justifier les actions du personnage.

  4. Assurez-vous que chaque scène ou séquence (qui est alors un ensemble de scènes qui peuvent être présentées à des moments différents du récit) participe au développement du personnage. Il faut comprendre que si l’action prédomine, l’arc dramatique du personnage principal (essentiellement lui mais d’autres peuvent aussi changer) fonctionne encore.
    Vers quoi tend votre personnage à devenir ?

  5. Dans chaque scène, comment la réaction du personnage (en Plot Driven, le personnage réagit aux événements) est-elle logique avec le trait de caractère issu de son passé ? Il s’agit de s’interroger sur la motivation du personnage. Par exemple, s’il montre de la compassion envers un ennemi, cette réaction est-elle probable avec ce qui le motive depuis l’incident déclencheur ?

  6. Quelles sont les différentes étapes au cours de l’intrigue qui sont autant de signes de la progression de son arc dramatique ? A quels moments une prise de conscience se fait jour chez le personnage ? Par exemple, si le personnage s’est séparé de sa femme au début de l’histoire, quels seraient alors les signes distribués dans le cours de l’intrigue qui lui feraient prendre conscience que cette séparation n’est peut-être pas la meilleure chose qu’il lui soit arrivé ?

  7. Même s’il ne s’encombre pas de questions morales sur ses actes, un conflit interne peut aider les lecteurs à comprendre les choix du personnage. Doit-il continuer sur la voie qu’il s’est tracé au risque de perdre quelque chose à laquelle il tient pourtant même s’il ne le sait pas encore ?

  8. Et justement, a quoi tient-il le plus ? Dit autrement, qu’a t-il peur de perdre ? Quelles seraient ses hésitations, ses doutes qui le déterminent certainement mieux qu’une volonté indéfectible qu’il ne remet pas en cause. Même un méchant de l’histoire est un être sensible.

  9. Une dernière question qui pourrait être révélatrice de ce personnage est de se demander quelle est pour lui l’idée du bonheur. C’est une question subsidiaire qui pourrait aider à expliquer pourquoi il n’abandonne pas.
    Par exemple, s’il est prêt à tout pour sauver sa fille tombée dans l’escarcelle de truands, peut-être est-ce parce que le bonheur pour lui est d’avoir une vraie relation avec sa fille qu’il a négligée pour telle ou telle raison comme d’avoir privilégié sa carrière au détriment de sa famille.

Il n’est pas nécessaire de révéler tout le passé du personnage (on serait dans ce cas davantage dans le Character Driven). Mais il est important que vous connaissiez la motivation et que celle-ci soit conforme à votre définition du personnage.
Lorsque vous comprenez ce qui motive vos personnages à agir, vous pouvez laisser des indices tout au long de votre histoire. Cela peut permettre à vos lecteurs de mieux les comprendre et de se sentir émotionnellement connectés à eux.

Et le Character Driven ?

La causalité entre en jeu. Si un personnage prend une décision, c’est parce que son environnement en est la cause. Il est donc important de décrire cette cause.

Le personnage ne peut pas être un être parfait. Si nous mettons ce personnage dans des situations ou des circonstances où il ou elle va évidemment gagner, vous décrédibilisez ce personnage dans l’esprit du lecteur. Car vous avez besoin de tension et de doute dans votre histoire. Vous devriez créer une lecture où le lecteur ne sait pas avec certitude si ou bien comment le personnage surmontera les obstacles jetés sur son chemin.

Un personnage réaliste est un personnage désordonné. Il fera des choix avec lesquels le lecteur ne sera pas d’accord et c’est tant mieux. En fait, c’est essentiel. Cela montre que le personnage est réel et vulnérable.

Interrogez-vous :

  1. Que veut le personnage ? C’est-à-dire dans chaque scène. Prenez deux personnages. Chacun a une intention. Chacun veut obtenir quelque chose de l’autre. Que veulent-ils obtenir de l’autre et qui obtiendra satisfaction ?

  2. Avez-vous crée suffisamment de tension et de conflit dans chacune des scènes ? Ce que l’on veut de l’autre crée un nécessaire conflit parce que l’autre ne cédera pas facilement. Obtempérer n’est pas dramatique. Le drame sourde du conflit.

  3. Ce que veulent les personnages au début de la scène et ce qu’ils obtiennent à la fin de celle-ci les mènent à opter pour telle ou telle action. Cette action est-elle logique avec ce que nous connaissons du personnage jusqu’à présent ? Y a t-il alors des informations qui devront être données plus tard pour justifier ses choix à ce moment ?

  4. Cette action fait-elle avancer l’intrigue et comment participe t-elle à la ligne dramatique du récit (la théorie narrative Dramatica nomme cette ligne Overall Story Throughline) ? La ligne dramatique du personnage principal (son arc dramatique, l’évolution de sa personnalité dans le temps de l’histoire) est ce qui conduit l’évolution de l’histoire elle-même.

  5. Quelle est la pire chose qui puisse arriver à votre personnage principal ? C’est ce qui permet de l’atteindre sur le plan intime et partant, cela aide à la reconnaissance du lecteur de quelque chose dont lui-même peut évoquer la souffrance.

  6. Face à la constatation de l’adversité (et quand on constate, c’est que le problème existe déjà et sévit peut-être depuis longtemps, bien avant le début de l’histoire), on cherche des stratégies pour y parer. En quoi cela diffère t-il du Plot Driven dans lequel le héros ou l’héroïne mettent aussi en place des tactiques d’évitement ?
    On peut admettre qu’en Character Driven, la stratégie est plus douloureuse pour le personnage comme c’est le cas pour Lisbeth Salander créée par Stieg Larrson et dont chaque décision qu’elle prend contre son profil psychologique s’accompagne de souffrances.

  7. Notez que j’ai employé le mot souffrance par deux fois. Cela suppose que les stratégies mises en place n’ont pas la garantie de la réussite. Que se passe t-il si le personnage échoue ? Car s’il change de tactique, c’est que la précédente a avorté. En Character Driven, on ne passe pas sous silence les effets sur le personnage de son échec.
    Lorsque Lisbeth cherche à manipuler son nouveau tuteur Nils Bjürman pour obtenir de lui davantage de subsides, elle ne se doute pas que ce pervers sadique a lui-même modifié sa stratégie pour obtenir de Lisbeth plus qu’elle n’avait envisagé. Lisbeth souffrira de son échec dans sa chair et dans son âme.

  8. Comme en Plot Driven, il y a des événements clefs qui sont autant de signes de l’évolution du personnage vers un autre que lui-même. Nous pourrions les assimiler aux signposts de la théorie narrative Dramatica. Trois ou quatre signes peuvent amplement suffire pour décrire explicitement ou implicitement la nature de ce changement.

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