ROBERT MCKEE : LA RÉÉCRITURE

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De l’ébauche au traitement, de la première à la dernière version, Robert McKee décrit les différentes façons dont les scénaristes réécrivent à chaque étape de la création.

Robert McKee est affirmatif. La réécriture a lieu à tous moments. On ne cesse de réécrire tout au long du processus de la création. On ajoute des scènes enveloppant un personnage qui sont autant d’événements nouveaux qu’il traverse. On est comme dans une phase de test. Et s’il lui arrivait ceci plutôt que cela et on réécrit ainsi toute une séquence.

On retravaille aussi les personnalités des personnages. On teste de nouveaux comportements. Ou bien on supprime des personnages et on en invente de nouveaux. On modifie constamment leur nature et on les jette dans des situations qui n’avaient pas été planifiées.

Si l’on a planifié son histoire (notons immédiatement la différence entre récit et histoire : le récit est la suite chronologique de ce qu’il se passe dans l’histoire. L’histoire agence à sa manière les différents événements. Ce qui signifie que l’histoire n’est pas forcément linéaire à la manière de Citizen Kane d’Orson Welles, d’A bout de souffle de Jean-Luc Godard, de Pulp Fiction de Quentin Tarantino ou encore Memento de Christopher Nolan), donc, si l’auteur a planifié son histoire (organisant les événements indépendamment de leur dimension spatio-temporelle), Robert McKee constate que ce plan est souvent bouleversé dans le cours de l’écriture.
On supprime des scènes, on rajoute des scènes, nous sommes dans une réécriture constante pendant le processus même de l’écriture.

Peaufiner

La réécriture consiste aussi à améliorer des scènes déjà écrites. C’est en quelque sorte une recréation pour tenter d’insuffler davantage de force dans la scène, lui donner plus de puissance.

Et puis, lorsque vous aurez écrit les dialogues, ou bien dans le cours de l’écriture des dialogues, vous reviendrez sur vos pas. Vous supprimerez des lignes de dialogue ou bien vous reformulerez vos dialogues. C’est déjà de la réécriture. C’est une opération simultanée à l’écriture.

On cherche de nouveaux lieux, on essaie de nouvelles images, on modifie le rythme. On reconfigure son texte au moment même où on l’écrit. Selon McKee, la réécriture est une expérience ou plutôt c’est une quête de nouvelles expériences. C’est de l’improvisation.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que la réécriture change l’histoire. Peut-être pas le récit, mais l’histoire certainement. La réécriture, c’est un changement de texture. Les événements seront tissés autrement. Les personnages verront leurs portraits modifiés.

Si, de manière hypothétique et optimiste, un scénario peut être écrit de la première idée à la dernière ébauche en six mois, les auteurs passent généralement les quatre premiers de ces six mois à écrire sur des piles de notes : une pile pour chaque acte – trois, quatre, peut-être plus.  Sur ces notes, ils créent le point de départ de leur histoire.

Les différentes étapes d’un plan

Le plan, c’est l’histoire racontée en étapes. Avec une phrase ou deux, l’auteur décrit simplement et clairement ce qu’il se passe dans chaque scène, comment chaque scène se construit et évolue. Par exemple : Il rentre en s’attendant à trouver sa femme à la maison, mais découvre à la place un mot disant qu’elle est partie pour de bon.

Au dos de chaque carte, l’auteur indique l’étape qu’il imagine dans la conception de son histoire où chaque scène pourrait se produire – du moins pour le moment. Quelles scènes mettent en place l’incident déclencheur ? Quel est l’incident incriminé ? Sera t-il le climax du premier acte ? Peut-être un climax au milieu de l’acte ? Pourrait-il se produire dans le deuxième acte ? Ou dans le troisième ? Peut-être même pourrait-il être extradiégétique ?

Et McKee dit que l’auteur fait cela aussi bien pour l’intrigue principale que pour les intrigues secondaires.
Il se limite volontairement à quelques piles de cartes pendant des mois pour cette raison cruciale qu’il veut détruire son travail. En effet, une réécriture, c’est une transition. Et lorsqu’on passe d’un état à un autre, l’état précédent est détruit.

L’expérience dit à l’auteur que, de tout ce qu’il écrit, quel que soit son génie, est au mieux médiocre. Dans sa recherche patiente de la perfection (c’est-à-dire de ce qui le satisfait mieux), l’auteur doit créer beaucoup plus de matériel qu’il ne peut en utiliser, puis le détruire.
Il peut esquisser une scène d’une douzaine de façons différentes avant de finalement jeter l’idée même de la scène hors de l’histoire s’apercevant soudain, qu’en fin de compte, cette scène n’y avait pas sa place. Il peut détruire ainsi des séquences, des actes entiers. Je sais que cela peut être difficile.

Un auteur sûr de lui sait qu’il n’y a pas de limite à ce qu’il peut créer, et il détruit donc tout ce qui n’est pas à son meilleur dans sa quête de l’histoire, affirme Robert McKee.
Ce processus, cependant, ne signifie pas que son auteur ne remplit pas les pages. Jour après jour, une énorme pile se développe sur le côté du bureau : mais il s’agit de biographies, du monde fictif et de son histoire, de notes thématiques, d’images, voire de bribes de vocabulaire et d’idiomes. Les recherches et les imaginaires et les inventions de toutes sortes remplissent un classeur entier tandis que l’histoire se discipline progressivement et semble se donner corps dans une structure réglée selon un plan d’ensemble.

L’histoire s’ouvre au monde

Finalement, après des semaines ou des mois, le scénariste découvre le climax de son histoire (considérons que le climax est ce pour quoi l’histoire existe. Tout ce qu’il s’est passé mène à ce climax).
Avec cela en main, il retravaille, au besoin, son histoire en remontant d’événements en événements au moins jusqu’à l’incident déclencheur. Il a enfin une histoire. Maintenant, il va voir ses amis. Il ne leur demande pas de lire tout le scénario. Ce n’est pas la bonne approche parce que cela exige de l’interlocuteur qu’il lui consacre abruptement beaucoup de son temps. Au lieu de cela, il demande dix minutes. Puis il raconte son histoire dans ses grandes lignes.

Le scénariste ne montre jamais le plan parce que c’est un outil, trop énigmatique pour être suivi par d’autres que lui. Au contraire, à ce stade critique de sa création (de son travail du moins), il veut raconter ou présenter son histoire de manière à pouvoir la voir se dérouler dans le temps, la regarder jouer sur les pensées et les sentiments d’un autre être humain.
Il veut regarder cette personne dans les yeux et voir l’histoire s’y dérouler. Alors il étudie les réactions : Mon interlocuteur est-il accroché par l’incident déclencheur ? Se laisse-t-il prendre dans l’histoire ? Ou bien ses yeux sont-ils en train d’errer pendant que je parle ? Est-ce que je garde son attention pendant que je construis la progression ? Et quand j’arrive au climax, est-ce que j’obtiens la réaction que je veux ?

Toute histoire présentée à une personne intelligente et sensible doit pouvoir attirer l’attention, retenir l’intérêt pendant dix minutes et le récompenser en amenant cet interlocuteur à vivre une expérience significative et émotionnelle.
Quel que soit le genre, si une histoire ne peut pas fonctionner en dix minutes, comment le pourrait-elle autrement ? Elle ne sera pas meilleure. Tout ce qui ne va pas dans un pitch de dix minutes est dix fois pire à l’écran, affirme Robert McKee.

Tant qu’une bonne majorité d’auditeurs n’auront pas répondu avec enthousiasme, il ne faut pas insister. Avec enthousiasme ne signifie pas une démonstration hystérique, mais plutôt un murmure. Une belle œuvre d’art – musique, danse, peinture, histoire – a le pouvoir de faire taire l’esprit. Et c’est un bon pouvoir car il a la force de nous élever vers un autre endroit. Il se passe une sorte de mélange entre l’histoire racontée et celui qui l’écoute. C’est une expérience supérieure vers d’autres horizons qu’on ne peut décrire avec des mots.

Lorsqu’une histoire, que l’on dévoile dans ses grandes lignes (celui qui raconte suit un plan que celui qui écoute ignore), est si forte qu’elle apporte avec elle le silence – pas de commentaires, pas de critiques, juste du plaisir, de la joie – c’est primordial et le temps est trop précieux pour le gaspiller dans une histoire qui n’a pas ce pouvoir.

Et ce pouvoir, c’est bien par la réécriture que l’auteur peut simplement espérer l’atteindre.

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