LA PERTURBATION QUI LANCE L’INTRIGUE

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La perturbation qui lance l’intrigue est une annonce, une promesse. On est dans l’attente de quelque chose.

  • La mer est calme mais un grain s’amasse à l’horizon.
  • La mer est déchaînée et le bateau va couler.

L’une ou l’autre ouverture pourrait fonctionner pour une histoire, car elles impliquent toutes deux l’inéluctabilité d’une aggravation des choses, nous rappelle Steven James.

On peut distinguer le récit (dans lequel les événements sont ordonnés chronologiquement) et c’est ce que l’on entend aussi habituellement par histoire (à moins que l’on tienne compte que l’histoire jouit d’une totale liberté pour présenter les événements du récit dans l’ordre qui lui convient le mieux) et l’intrigue (que l’on peut dire qu’elle se situe au cours de l’acte Deux, l’espace de l’intrigue par excellence).

Aristote disait qu’une histoire a un début, un milieu et une fin. Une intrigue possède aussi un commencement. Et il se produit généralement, nous dit Steven James, lorsqu’un appel est proposé ou qu’une crise survient, tous deux consistant en une perturbation, un bouleversement de la vie du héros.

L’appel et la crise

L’appel (l’appel à l’aventure dirait Joseph Campbell) pourrait être une invitation à aller en mer. La crise dont parle Steven James (à différencier de la crise dont je parle souvent dans les colonnes de Scenar Mag qui a lieu au moment du point médian de l’histoire et qui consiste en une grave crise de conscience pour le personnage principal, et son état physique pourrait ajouter à la chose d’ailleurs), la crise pour Steven James est donc une annonce, une promesse et selon son exemple, ce serait alors l’arrivée de la tempête à l’horizon qui serait cette crise.

L’appel et la crise ne répondent pas vraiment à la définition de l’incident déclencheur comme on l’entend habituellement par un événement venant perturber le quotidien du héros comme une rencontre d’une personne perdue de vue depuis longtemps et qui prendra soudain une importance dans la tournure des événements impliquant le héros.

Alors, clarifiez dans votre propre esprit ce qui perturbe la situation actuelle de votre personnage principal – sa vie émotionnelle, physique, psychologique ou relationnelle.
Pourquoi le bateau quitte-t-il le rivage, ou que va-t-il faire maintenant qu’il est sur le point de couler ? Les choses peuvent commencer calmement parce que le lecteur ou le spectateur sait très bien que cela ne va pas durer. Il peut y avoir de bonnes choses dans la vie du personnage principal (même si elles ne sont que des illusions, une zone de confort artificiel et que le personnage ne le sait pas encore) mais si elles sont présentées dans les premières minutes du récit (dans les premières pages du scénario) avant l’intrigue, elles servent de précurseur à une crise imminente qui déclenchera la quête du protagoniste.

Cette quête, ce sera l’intrigue. C’est une annonce de difficultés. Certes, si l’on pense à Harry Potter, Poudlard est certainement un lieu très préférable à sa situation actuelle chez son oncle et sa tante, mais Poudlard est aussi annonciateur de difficultés futures.
L’intrigue est une promesse que vous faites à votre lecteur nous rappelle Dan Brown.

Pour lancer votre intrigue, quelque chose va bouleverser la vie de votre protagoniste d’une manière qui ne peut être ignorée ou immédiatement résolue.

Un point de non-retour

Une fois que la vie de votre protagoniste est bouleversée, il n’y a pas de retour en arrière mais cela ne veut pas dire qu’il n’essaiera pas, nous prévient Steven James. En fait, s’il n’essaie pas, vous n’avez pas d’histoire (et s’il réussit d’emblée, vous n’avez pas d’histoire non plus).

Habituellement, et Joseph Campbell l’a aussi remarqué, le héros refuse l’appel à l’aventure. Syd Field distinguait aussi entre l’incident déclencheur qui est effectivement la perturbation et un incident clef qui consiste en la décision pour le personnage principal de prendre en charge son problème.

Steven James a dénombré 8 possibilités (qui sont autant d’ouvertures possibles) et l’histoire se présente sous l’une d’elles :

  1. Il y a quelque chose qui ne va pas. Le monde dans lequel l’auteur jette son héros est déjà un problème en soi. Par exemple, un quartier où vivent une mixité de races et de religions ce qui crée de graves tensions entre les groupes d’individus.
  2. Quelque chose est si normal qu’il ne peut pas durer. En fiction, la normalité, le conformisme sont souvent suspects.
  3. Quelque chose de non souhaité submerge le protagoniste. Vous pouvez commencer l’histoire par un incident qui semble le plus indésirable, mais qui va pourtant faire naître son désir.
    Dans Groundhog Day (Le Jour de la Marmotte), Phil Connors se rend compte qu’il vit le même jour encore et encore.
    Cette boucle surnaturelle est l’incident déclencheur qui le fait sortir de son quotidien malsain et le conduit finalement à sa dernière chance de rédemption. Remarquez qu’avec Ebenezer Scrooge (Un Conte de Noël) et Connors, l’incident déclencheur est énorme. Il est puissant. Violent, même. Aucun des deux héros ne peut l’ignorer.
    Il doit en être ainsi avec votre histoire. Réfléchissez à votre héros et surtout à son problème, cette sombre allée dans laquelle il doit s’engager. Que pourrait-il se passer dans sa vie qui le poussera à faire ce voyage intérieur (Inner Journey) que vous voulez lui faire subir ?
    L’incident déclencheur ne doit pas nécessairement être négatif, bien qu’il le soit généralement. La plupart du temps, la rupture de l’engrenage est très malvenue, du moins dans l’esprit du héros. Bien sûr, plus tard, il peut la considérer comme une bénédiction, mais pas pendant qu’elle se produit.
    Il est également possible que l’incident déclencheur soit quelque chose dont le héros se réjouit, même s’il finit par l’emmener dans des lieux où il ne voulait pas aller.
  4. Quelque chose de désirable est tout simplement hors de portée. Autant le personnage principal peut se contenter de sa zone de confort bien illusoire sans prendre conscience qu’il aspire à autre chose, qu’il y a un vide en lui qu’il doit combler, qu’il n’avance plus dans sa vie, virtuellement qu’il est déjà mort, ce même personnage principal peut très bien sentir ses profondes aspirations, juger sa vie méprisable et par là même éprouver une profonde mésestime de soi mais s’être aussi persuadé qu’il ne pouvait en rien changer sa situation.
    Nous sommes bien dans une situation et non des circonstances par définition éphémères et évanescentes. C’est bien parce qu’il s’agit d’une situation qu’il a l’impression qu’il ne peut aller au-delà alors qu’il possède pourtant cette force en lui, une puissance, qui le rend capable de se mouvoir mais comment la mettre en œuvre ?
  5. Quelque chose qui importe est juste devant lui, mais il ne le remarque pas. Un incident déclencheur est un nœud du récit ou un événement qui attire le lecteur dans l’intrigue et motive le personnage principal pour le changement. C’est l’événement qui inspire l’aventure à venir du protagoniste dans l’intrigue. Fort de cette classique définition, comment comprendre cette approche de l’aveuglement du protagoniste devant la satisfaction immédiate d’un besoin dont il a ou non conscience ? Nier l’évidence ferait-il un bon incident déclencheur ?
    Prenons un exemple pour démonstration. Imaginons que la femme de notre personnage principal est morte il y a quelques mois. Notre personnage s’est persuadé qu’il a accompli son deuil. Par hasard, il entend à la radio une émission qui cherche des témoignages sur ce type d’expériences. Et voilà notre héros qui se met à dire à quel point sa femme lui manque. Ce sera le point de départ de l’intrigue à venir. Cela peut paraître mineur ou bien passer inaperçu du lecteur/spectateur, mais cet événement incitera un changement majeur dans sa vie.
  6. Il y a quelque chose à corriger. Comme une injustice ou une iniquité comme aime à le dire la théorie narrative Dramatica. La mort de trois frères Ryan est l’incident qui a incité le général George Marshall à retrouver le dernier Ryan, disparu.
    Inspiré de la lettre d’Abraham Lincoln à Bixby, l’événement déclencheur est déchirant et magnifique.
    Dans le cadre d’une guerre de grande envergure, la mort d’un homme peut ne pas sembler si importante, mais la mort de trois frères sur quatre l’est.
    La mission de… sauver le soldat Ryan… est l’un des meilleurs moments du film en raison du contexte inspirant qui l’entoure.
    La genèse de l’histoire est construite sur le devoir, la famille et l’amour en temps de guerre, qui jouent tous un rôle important dans la narration globale.
  7. Quelque chose de terrible se produit et il essaie de s’en remettre. Ce peut être le cas des conséquences d’une rencontre malheureuse après laquelle le héros est brisé physiquement ou moralement.
    Considéré comme l’un des plus grands scénarios jamais écrits, l’incident déclencheur de Chinatown survient lorsqu’une femme prétendant être Evelyn Mulwray engage Jake Gittes pour surveiller son mari, Hollis Mulwray – une personnalité publique importante et l’ingénieur en chef du Département de l’eau et de l’énergie de Los Angeles.
    Gittes photographie Mulwray avec une femme plus jeune et les images sont publiées. Il découvre plus tard qu’il a été piégé lorsque la vraie Mme Mulwray menace de le poursuivre en justice.
    La première rencontre a déclenché les événements qui ont conduit Jake à passer d’un petit travail de surveillance à la résolution du meurtre d’Hollis Mulwray et à la découverte du complot dans lequel il était impliqué.
    C’est un chemin tortueux qui ramène Jake dans une position qu’il essayait d’éviter : s’impliquer émotionnellement. Il le ramène aussi à un endroit où rien n’a de sens et où il n’y a jamais de conséquences… Chinatown.
    Un autre exemple de la façon dont une usurpation d’identité peut être un événement engageant et mystérieux.
  8. Quelque chose d’incroyable se produit, mais le don s’avère être une malédiction. C’est un prétexte pour une comédie. Mais l’incident déclencheur tout comme une intrigue est irréductible à un genre. Imaginons une jeune femme qui désespère d’avoir un enfant. Enfin, le miracle se produit. C’est la bénédiction.
    Mais lorsque l’enfant se révèle autiste, le tragique apparaît.

histoireExaminez votre histoire. Lequel des huit types de perturbations avez-vous utilisé ?
Quelle que soit la manière dont vous choisissez de démarrer, assurez-vous que votre ouverture comporte une perturbation ou la promesse implicite qu’une telle perturbation est sur le point de se produire nous conseille Steven James.

Ce n’est pas du voyeurisme mais l’échec a toujours été intriguant. Alors déchirez le tissu de la vie de votre protagoniste avant que le lecteur ne se lasse de lire à quel point les choses sont géniales.

Pensez en termes de son statu quo avant la perturbation. Pensez également à la façon dont sa situation sera transformée du fait de sa recherche d’équilibre ou de résolution.

Un récit met en intrigue trois univers : l’interne, l’externe et l’interpersonnel. Le Je, le Ils et le Nous. Chacun de ces mondes est reçu par le lecteur à travers un conflit. Steven James conseille alors de vérifier que vous avez bien inclus l’initiation du conflit dont pourrait dépendre toute votre histoire dès les premières pages et dans au moins l’un de ces trois univers.

Les choses peuvent commencer bien et tourner mal ou bien elles pourraient commencer mal et devenir pire.

Les histoires commence d’une manière qui introduit d’importantes promesses et qu’il vaut mieux tenir, et vous ne saurez probablement pas lesquelles jusqu’à ce que vous ayez vu comment l’intrigue va se dérouler.

De ce fait, le début de votre histoire pourrait ne pas apparaître clairement dans votre esprit. Seule la fin apporte alors des réponses. Beaucoup d’auteurs affinent l’ouverture après la réécriture (qui peut venir bouleverser l’agencement des événements tel que vous l’aviez d’abord imaginé).
Steven James propose d’analyser son histoire, de porter un regard critique sur son récit, de se demander si vous avez spécifié ce que le personnage (1) perd et essaie de retrouver, (2) les désirs et les quêtes, ou (3) ses souffrances et ce qu’il doit surmonter, tant extérieur qu’intérieur.

Brainstorming proposé par Steven James
  • Le statu quo n’est plus le statu quo. Quelque chose a modifié la vie du personnage d’une manière inévitable et marquante. De quoi s’agit-il ? Quelle crise ou quel appel a-t-il vécu ?
  • Que fera-t-il pour essayer de revenir à la normale ? Comment échoue-t-il ? Que fera-t-il ensuite ? Où cela le mènera-t-il ?
  • Si l’histoire commence en montrant sa vie normale, les perturbations (crise ou appel) se produisent-elles suffisamment tôt pour satisfaire les lecteurs ?
  • À quoi ressemblait la vie de ce personnage avant la perturbation ? Comment cela affectera-t-il sa quête ou sa recherche d’une quelconque vérité alors qu’il tente de résoudre ses problèmes ?
  • La perturbation se produit-elle dans les dix à quinze premières pages ? Si ce n’est pas le cas, comment m’assurer que les lecteurs resteront engagés dans mon intrigue ? Que dois-je clarifier, modifier ou ajouter pour les entraîner plus profondément dans l’émotion puissante du combat du personnage principal ?
  • La crise du personnage principal ou l’appel est-il clair ? Si ce n’est pas le cas, comment puis-je montrer à quel point les choses vont mal à cause de cette crise ou à quel point elles pourraient être bonnes si seulement elle était résolue ?
  • Y a-t-il un moment dans votre récit où la vie du personnage principal est perturbée soit par une lutte, soit par un appel à accomplir plus ou à devenir plus que ce qu’il a toujours cru possible ?

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