VISUALISEZ VOS SCENES : MONTREZ, NE DITES PAS

0
(0)

Ecrire visuellement n’est pas un oxymore. Respecter la structure, faire en sorte que chaque moment du récit fasse avancer l’intrigue n’interdit nullement d’écrire vos scènes de manière visuelle. Un scénario se doit de procurer une expérience cinématographique à un lecteur/spectateur. Voici quelques conseils.

Visualisez

Visualisez votre scénario avant d’en écrire ne serait-ce que quelques scènes.
Certes, il n’est pas évident de trouver le bon rapport d’adéquation entre des mots et des images qu’ils sont censés évoquer dans l’esprit du lecteur.

Tentez cependant avec le matériel que vous possédez déjà (votre concept, vos personnages, votre intrigue, vos rebondissements…) de visualiser dans votre esprit des scènes, des moments de votre histoire.

Commencez avec la séquence d’ouverture ou des moments forts de votre scénario avant de les transcrire en mots.

La séquence d’ouverture

Sa tâche essentielle est d’engager le lecteur visuellement avec votre scénario.

Une des premières étapes est d’imaginer comment vous pouvez introduire rapidement vos personnages tout en révélant sur eux des traits de caractère (DE LA BONNE INTRODUCTION DE VOS PERSONNAGES).

Gardez à l’esprit que l’être humain répond mieux à des références visuelles. Donc définissez des visuels qui l’engageront ainsi émotionnellement dans votre histoire. Les images suscitent des réactions viscérales chez un lecteur/spectateur.

A titre d’exemple, Scream de Kevin Williamson et Wes Craven.

Le premier son que l’on entend est le cri strident d’une fille. Cela convoque immédiatement chez le lecteur/spectateur le genre de l’histoire qu’il s’apprête à lire : un thriller horrifique. Ce cri, qui fait appel à l’ouïe, est foncièrement viscéral. D’ailleurs, si l’on reprend la théorie d’Aristote à propos de l’ouïe, ce sens s’occupe surtout de nous faciliter le langage et ce qu’il se passe ici sur l’écran est effectivement un mode de communication.
Après le moment de choc, le lecteur/spectateur s’interroge : qu’est-ce qu’il se passe ? Pourquoi une fille hurle-t-elle ?

Mais le cri lui-même est significatif. Il est en effet évident qu’il s’agit du cri d’une jeune fille. Et cette image de la jeune fille génère des sentiments de vulnérabilité et d’innocence. Collectivement, est-ce peut-être l’archétype de la jeune fille en détresse (ou la vierge persécutée) qui est invoqué ici inconsciemment.

Le graphisme du titre pourrait aussi avoir été écrit par le scénariste. Ainsi que la sonnerie de téléphone qui fait la transition entre le titre et la scène qui suit. Mais le scénariste n’est ni le monteur, ni le réalisateur d’un film.
FADE IN

ON A RINGING TELEPHONE.
A hand reaches for it, bringing the receiver up to the face of CASEY BECKER, a young girl, no more than sixteen. A friendly face with innocent eyes.
LE TELEPHONE SONNE
Une main s’en approche et porte le combiné à hauteur du visage de CASEY BECKER, une jeune fille de pas plus de seize ans. Un visage amical avec des yeux innocents.

Comme toute scène efficace, celle-ci commence en plein milieu de l’action (in media res). Casey est introduite très rapidement dans le récit. Elle n’est pas le personnage principal. Cependant, l’auteur appuie sur le concept de vulnérabilité et désigne la faiblesse que l’on croit reconnaître dans un personnage féminin. C’est sur ce trait de caractère stéréotypé que l’antagoniste établira son plan d’attaque.
Si l’approche avait été différente et que la séquence d’ouverture s’était concentrée sur Steve, le risque de confusion aurait été grand d’en faire le héros de l’histoire dans l’esprit du lecteur et de la lectrice. Et de perdre le concept de victime féminine qui est exposé dans ces scènes.

Tout se joue sur la vulnérabilité du personnage

C’est ce que l’auteur cherche à démontrer. Nous comprenons d’ailleurs très rapidement que Casey est seule dans cette grande maison. Ce qui amène le lecteur/spectateur a pensé qu’elle est déjà une victime désignée.
Notez aussi que la description des lieux ajoute à cette impression. Le trait de personnalité mis en évidence est la fragilité de Casey. Plus l’espace qu’elle a à parcourir est important et plus sa fragilité sera mis en exergue.
CLICK! She hangs up the phone. The CAMERA PULLS BACK to reveal Casey in a living room, alone. She moves from the living room to the kitchen. It’s a nice house. Affluent. The phone RINGS again.
CLICK ! Elle raccroche le téléphone. La CAMERA RECULE pour nous révéler Casey dans la salle de séjour, seule. Elle se déplace de la salle de séjour à la cuisine. C’est une  belle maison. Aisée. Le téléphone sonne de nouveau.

Petite note concernant le formatage : lorsqu’un personnage est mentionné la première fois dans un scénario, son nom est écrit en lettres capitales. Ce n’est plus nécessaire les fois suivantes lorsque vous le mentionnez dans les didascalies.

De l’introduction de l’antagoniste

Lorsque Casey décroche pour la première fois le téléphone, nous sommes introduits potentiellement avec le méchant de l’histoire. Les dialogues traduisent une Casey détendue, indifférente à cet appel intempestif. Cela convoque le sentiment qu’aucune menace n’est à portée.
CASEY
Hello.

MAN’S VOICE
(from phone)
Hello.

Silence.

CASEY
Yes.

MAN
Who is this?

CASEY
Who are you trying to reach?

MAN
What number is this?

CASEY
What number are you trying to reach?

MAN
I don’t know.

CASEY
I think you have the wrong number.

MAN
Do I?

CASEY
It happens. Take it easy.

CASEY
Hello.

VOIX D’UN HOMME
(au téléphone)
Hello.

CASEY
Oui.

L’HOMME
Qui est-ce ?

CASEY
Qui essayez-vous de joindre ?

L’HOMME
Quel est ce numéro ?

CASEY
Quel numéro cherchez-vous à joindre ?

L’HOMME
Je ne sais pas.

CASEY
Je pense que vous avez fait un faux numéro.

L’HOMME
Vous croyez ?

CASEY
Çà arrive. Y’a pas de mal.

Vous le constatez : aucune indication de jeu n’est donnée au comédien. L’intention de l’auteur doit transcender des lignes de dialogues. Un scénario est un outil de travail destiné à différents domaines artistiques.
N’empiétez pas sur la créativité des autres.

La tension s’installe

Insidieusement, le second coup de fil où l’homme rappelle pour s’excuser commence à titiller le lecteur/spectateur. Il y a quelque chose d’anormal à l’œuvre ici. De plus, juste après cet échange, l’auteur donne des indications sur le lieu.
EXT. CASEY’S HOUSE – NIGHT – ESTABLISHING
A big country home with a huge sprawling lawn full of big oak trees. It sits alone with no neighbors in sight.  The phone RINGS again.

INT. KITCHEN
Popcorn sizzles in a pot on the stove. Casey covers it with a lid, reaching for the portable phone.

EXT. MAISON DE CASEY – NUIT – SITUATION
Une grande maison de campagne avec une immense pelouse s’étendant partout parsemée de grands chênes.
Elle est isolée avec apparemment aucun voisin. Le téléphone SONNE de nouveau.

INT. CUISINE
Les popcorns grésillent dans la poêle sur la gazinière. Casey la recouvre d’un couvercle, et prends le combiné.

Un plan de situation (Establishing Shot) met en place le contexte d’une scène. Il est souvent inutile de le préciser. Sauf, comme dans le cas présent, où cette mention ajoute de la signification aux scènes.

L’auteur fait appel à l’imaginaire de la lectrice et du lecteur.  Apparemment, il s’agit d’une grande maison située en forêt (suggérée par la multitude des arbres) et il fait nuit. De simples conventions qui mettent en place une atmosphère comme effrayante et mystérieuse.
Notez aussi l’emphase sur les sons. L’emploi du verbe grésiller, la poêle, la gazinière, le couvercle (que Craven a remplacé) pour accentuer le côté dramatique de ces sons diégétiques.

Les dialogues au service de la tension dramatique

Casey se prend au jeu. Elle informe son interlocuteur et le lecteur/spectateur dans la foulée qu’elle aime les films d’épouvante. Cela est tout à fait pertinent avec l’histoire car l’homme au bout du fil semble apprécier le fait.
Ce qui ne manque pas de faire germer dans l’esprit du lecteur/spectateur qu’il serait tout à fait capable de mener de telles expériences sur elle.

Notez aussi l’aspect symbolique du couteau que Casey manipule lorsqu’elle cite Halloween. On peut y voir une métaphore de douleur et de meurtre. Ce qui étaie davantage le sentiment chez le lecteur/spectateur de ce qui attend Casey.
Le plan sur le popcorn semble indiquer que, prise par sa conversation, Casey a oublié les popcorns ce qui illumine encore l’impression d’un danger immédiat.

Cette séquence d’ouverture obtient une réponse viscérale de la lectrice et du lecteur parce qu’il n’y a aucune caractérisation dans ces premières pages. On ne connaît pas les parents de Casey. On découvre soudain que Steve est le petit ami de Casey.
Et nous sommes projetés en plein milieu de l’instant présent de l’action. Ce moment n’ayant nullement été préparé par ailleurs.

Sans vos dons, nous ne pourrions continuer. Merci

Comment avez-vous trouvé cet article ?

Cliquez sur une étoile

Average rating 0 / 5. Vote count: 0

No votes so far! Be the first to rate this post.

Cet article vous a déplu ?

Dites-nous pourquoi ou partagez votre point de vue sur le forum. Merci

Le forum vous est ouvert pour toutes discussions à propos de cet article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.