UNE STRUCTURE ALTERNATIVE : LE HERO’S JOURNEY

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Il est notoire que le hero’s journey tel que l’a envisagé Joseph Campbell dans Le héros aux mille et un visages a permis à George Lucas d’écrire Star Wars.
Ce parcours héroïque permet de distinguer 12 points en autant d’étapes dans l’élaboration d’un récit. Christopher Vogler a repris la pensée de Joseph Campbell pour mettre en lumière ces 12 étapes.

Considérons Star Wars et comment cette fiction s’est servie de ces 12 points structuraux.

Point 1 : le monde ordinaire (Ordinary World)

La première séquence a pour fonction de montrer le quotidien des personnages (dont celui du héros ou de l’héroïne). Il est bon le cas échéant de distinguer la séquence d’ouverture de la première scène (ou de la première séquence).
Si une séquence d’ouverture s’avère nécessaire, habituellement, le héros ou l’héroïne n’y participeront pas. Dans Star Wars, George Lucas nous propose le quotidien d’abord de la Princesse Leia dont le vaisseau vient d’être arraisonné.

Ensuite, la première séquence prend place avec la ferme de l’oncle de Luke. Luke nous est présenté dans son monde ordinaire, loin des combats entre les Forces Impériales et les Rebelles.
Tout comme bonne exposition, l’auteur pointe sur le malaise de Luke à vivre cette vie ordinaire. Il aspire à être un pilote mais pour le moment, une telle opportunité semble bien compromise.

Point 2 : l’appel à l’aventure (Call to Adventure)

Puis surgit un événement dans la vie du héros ou de l’héroïne. A partir de ce moment, on sait que sa vie prend un tour irrémédiablement nouveau. Ce peut être une rencontre ou n’importe quelle chose.
Cet appel à l’aventure peut être assimilé à l’incident déclencheur. Dans Harry Potter à l’école des sorciers, par exemple, c’est ce moment quand Harry reçoit sa convocation à Poudlard (ou plus précisément encore, l’incident déclencheur serait la rencontre avec Hagrid car c’est effectivement par ce personnage que la vie de Harry prendra un tour nouveau).

Dans Star Wars, cet appel reçoit la forme d’un hologramme de la Princesse Leia qui demande l’aide de Obi-Wan Kenobi. Luke se met alors à la recherche de cet individu qu’il ne connaît pas. Après leur rencontre, Obi-Wan cherchera à recruter Luke.

Point 3 : le refus de l’aventure (Refusal of the Call)

C’est très humain, après tout. On n’hésite toujours avant de prendre une décision que l’on sait décisif pour notre vie future. La peur de l’inconnu, peut-être. Ou bien de la prudence (ne pas céder trop facilement à ses passions, par exemple).

Peut-être peut-on voir dans cette négation une trace de nostalgie reflétant la difficulté à quitter définitivement une situation dont on sent confusément qu’elle doit cesser. Pourtant on ne peut vivre indéfiniment dans le passé, dans les souvenirs.
Certes il est tout aussi difficile de vivre le moment présent. Cueillir l’instant et en tirer un profit maximal ne prépare pas le futur. Quant à trop anticiper le futur, on ne vit plus le moment présent. Peut-être après tout que la patience est une vertu que nous devrions apprendre à cultiver le plus tôt possible. Pour cela, nous devons être guidé par les plus sages d’entre nous ce qui nous amène au point 4.

Donc, il est tout naturel que Luke refuse la proposition de Obi-Wan.

Point 4 : Le mentor (Meeting the Mentor)

Le héros n’arrivera pas seul à la décision de s’engager dans l’aventure. Il faut quelqu’un pour l’encourager en cela. Habituellement, ce sera une sorte de mentor qui expliquera en quelque sorte les rudiments du métier ou bien qui insistera pour que le héros ou l’héroïne essaie d’aller plus loin comme Mickey auprès de Frank Galvin dans Le Verdict qui l’incite à s’occuper de l’affaire de la jeune fille dans le coma.

Obi-Wan Kenobi cherche donc à convaincre Luke de son importance dans la lutte que se livre les Rebelles et l’Empire.

Point 5 : le franchissement du seuil (Crossing the Threshold)

Le mentor n’est pas apte non plus à le convaincre totalement à prendre part à l’aventure. Il faut un événement assez terrible pour que cela soit convaincant. La dramaturgie est ainsi faite qu’elle ne se contente pas d’approximations.
Syd Field considère cette étape décisive, cette décision irrémédiable aux conséquences dramatiques certaines comme l’événement clef. Je vous renvoie à cet article : SYD FIELD & LA NOTION DES DEUX EVENEMENTS

De retour à la ferme, Luke découvrira le massacre de sa famille. Cet événement le décidera à franchir le seuil entre son monde ordinaire et un nouveau monde qu’il ne connaît pas. Arrivé à ce moment du récit, l’objectif de l’héroïne ou du héros ne doit faire aucun doute : Luke doit livrer les plans aux Rebelles. C’est un objectif physique, au vu et su de tous les personnages.

On pourrait penser que l’incident déclencheur est la capture de la Princesse Leia puisqu’elle est à la source de l’enchaînement de faits qui a conduit Luke à accepter de livrer les plans. Mais Luke n’est pas impliqué dans cette succession d’événements avant l’hologramme. En d’autres termes, R2D2 aurait pu remettre le message à quelqu’un d’autre.
L’incident déclencheur implique le personnage principal de l’histoire.

Point 6 : la route des épreuves (Test, Allies, Enemies)

Les points 5 et 6 constituent le passage dans l’acte Deux. C’est le début de l’intrigue proprement dite. L’intrigue est le temps des épreuves, de l’affirmation des ennemis du héros mais aussi celui où il rencontrera des alliés.

Le voyage de Luke commence véritablement dans la cantina. Notons au passage qu’un bar est souvent un lieu privilégié pour les auteurs et les autrices pour des rencontres de personnages qui serviront à l’intrigue ou bien pour délier les langues ce qui lui permet de communiquer des informations importantes au lecteur/spectateur.

Traditionnellement, le début de l’intrigue permet au héros ou à l’héroïne de se constituer une équipe avec laquelle ils tenteront de réussir leur objectif (donc de mettre en place une stratégie).
Les épreuves et les tests par lesquels passera Luke sont le moyen de vivre aussi un second voyage, intérieur celui-là. En effet, Luke doit apprendre à se servir de la Force, apprendre à lui faire confiance et la laisser le pénétrer pour faire le bien.

La Force est une religion. Obi-Wan sera le mentor de Luke qui lui donnera non seulement les rudiments pour apprendre à se servir des sabres laser mais qui l’instruira aussi des préceptes de la Force. Toutes les épreuves et les obstacles que Luke rencontrera ne sont pas gratuits. Par eux, il se révélera progressivement à lui-même. Chaque épreuve réussie ou non est l’occasion d’un apprentissage.

Cette route des épreuves s’étend sur toute la durée de l’intrigue. D’ailleurs, les différents points de ce parcours du héros n’ont nullement obligation à respecter un quelconque ordre chronologique pour leur déploiement.

Point 7 : Le héros à la rencontre de lui-même (Approach to the inmost cave)

Joseph Campbell a dénommé cette étape Inmost Cave que l’on peut traduire comme une profonde caverne. Il faut tenter d’y déceler une analogie. La caverne est d’ordinaire un lieu sombre. Pour se comprendre lui-même et s’accomplir pleinement, le protagoniste doit faire la lumière sur sa véritable nature, sur qui il est vraiment.

Pour ce faire, il doit aller à la rencontre de lui-même dans les profondeurs de son esprit. La révélation est une illumination. C’est un processus psychologique progressif qui débute à cette septième étape et qui se conclut par ce que l’on nomme une anagnorisis, c’est-à-dire une reconnaissance (ici, ce serait une reconnaissance de soi).

Ce point 7 peut être considéré comme un point majeur du récit. A partir de ce moment, celui-ci oblique dans une toute nouvelle direction.
Dans Star Wars, alors que Luke et ses compagnons pensent avoir atteint leur but (la remise des plans de l’Etoile Noire), ils sont mis devant la terrible évidence de la destruction de Alderaan. Le moment le plus symbolique de cette Inmost Cave est lorsqu’ils se retrouvent apparemment prisonniers du broyeur d’ordures de l’Etoile de la Mort.

Cette septième étape illustre aussi le fait que le héros s’est accoutumé à ce nouveau monde. Maintenant, il doit s’interroger sur lui-même. Il doit passer un nouveau cap.
Pour Campbell, il s’agit d’un nouveau seuil avec de nouvelles épreuves qui l’attendent. Pour le bien de l’histoire, en effet, il vaut mieux ne pas recopier inlassablement le même type de difficultés. Le lecteur/spectateur s’en lasserait.

Il faut aussi garder à l’esprit que ce moment du récit est un moment terrible pour le héros ou l’héroïne. Dans Le magicien d’oz, c’est l’arrivée à la cité d’Emeraude où Dorothée doit rencontrer le magicien. Et la petite équipe est terrifiée par cette rencontre.
Vous remarquerez aussi que souvent cette septième étape du parcours héroïque se situe dans un lieu relativement clos où la liberté de se mouvoir du personnage est réduite à un strict minimum.

Point 8 : L’épreuve suprême (The Ordeal)

Blake Snyder nomme ce moment du récit le All is Lost, c’est-à-dire que tout semble perdu pour l’héroïne ou le héros. Mais cela leur offre aussi l’opportunité de se ressourcer, de trouver en eux une force qu’ils ne soupçonnaient même pas.
Pour Star Wars, ce moment crucial pour la structure du récit se produit lorsque les mâchoires du broyeur sont sur le point de mettre un terme à l’aventure de la petite équipe et que Luke a été aspiré sous les eaux nauséabondes.

Dans Le magicien d’Oz, ce point 8 a lieu lorsque les singes ailés se sont saisis de Dorothée et de ses compagnons et les font comparaître devant la méchante sorcière. Celle-ci veut tuer Dorothée et commence par mettre le feu à l’épouvantail.
Dorothée s’empare alors d’un seau d’eau pour secourir son ami et accidentellement tue la méchante sorcière qui est quelque peu allergique à l’eau.

Point 9 : La récompense (Reward)

C’est peut-être là qu’il y a une différence entre Joseph Campbell (ainsi que Christopher Vogler qui a adapté le hero’s journey à l’art scénaristique) et Blake Snyder. Pour Campbell, le point 9 consiste pour le héros à prendre possession de la récompense après avoir surmonté voire survécu à l’étape précédente.

Dans Star Wars, nos personnages s’échappent de l’Étoile de la Mort mais avec les informations dont les rebelles ont tant besoin. S’échapper sans ces informations n’aurait pas servi l’intrigue. Elles sont la récompense attendue par le lecteur et la lectrice.
La récompense fait partie de ces promesses que l’autrice ou l’auteur font à leur lectrice ou à leur lecteur lorsqu’ils leur expose son histoire à venir.

Point 10 : le chemin du retour (The Road back)

Maintenant qu’il est en possession de la récompense de leurs efforts, l’héroïne ou le héros prennent le chemin du retour vers leur monde ordinaire (Ordinary World). Star Wars est un peu une exception en la matière puisque le monde ordinaire de Luke n’existe plus. Son nouveau foyer est celui de la Princesse Leia.

Mais ce retour ne sera pas une promenade de santé. Le méchant de l’histoire n’en a pas encore fini avec le héros ou l’héroïne. La poursuite dans Star Wars est cependant relativement modérée puisque les troupes de l’Empire se sont contentés de suivre le mouchard qu’elles ont installé sur le Millénium.

Concernant les arcs dramatiques, c’est-à-dire l’évolution psychologique des personnages, c’est souvent aussi le moment de finaliser certains d’entre eux. Celui de Han Solo par exemple prend soudain une courbe singulière lorsqu’il dit à Leia qu’il n’a fait tout cela que pour l’argent. Leia lui répond que puisque c’est la seule chose qu’il aime, c’est tout ce qu’il aura.
A partir de ce moment, ce dialogue entre lui et Leia fermentera dans l’esprit de Han ;  et se conclura par son engagement véritable dans le combat des rebelles, comme s’il s’agissait pour lui de prendre ses responsabilités, de devenir enfin mature.

Pour Luke, le problème est différent puisque son problème personnel est son manque de confiance en soi dont il a fait montre jusqu’à présent.

Point 11 : la résurrection et la transformation (Resurrection)

Et ce point 11 est justement l’accomplissement de l’arc dramatique du héros ou de l’héroïne. Concrètement, il s’agit du climax, c’est-à-dire l’ultime confrontation entre le héros et son antagonisme.

Symboliquement pour l’héroïne ou le héros, il s’agit de la mort d’un être qu’ils n’étaient pas et de la résurrection en un autre être, plus conforme à leur véritable nature. C’est précisément à cela que correspond le parcours que suit émotionnellement le personnage principal (son arc dramatique).
Et la lectrice et le lecteur doivent sentir cette progression psychologique.

Cet accomplissement a lieu au cours du climax, la dernière et plus dangereuse rencontre avec la mort (représentée par l’antagonisme). C’est comme si le personnage devait être purifié avant de retrouver son monde ordinaire et être débarrassé de toutes les scories qu’il a emmenées avec lui lorsqu’il l’a quitté.

Dans Les Jumeaux par exemple, au moment du climax, Julius doit choisir entre l’argent (son objectif depuis le début) ou son frère Vincent. Il résout ce dilemme en choisissant Vincent. Maintenant, Julius est devenu meilleur. Il peut s’en retourner à son quotidien en étant un homme transformé dégorgé non pas de tous ses vices (c’est certainement impossible pour la plupart d’entre nous) mais du moins de ceux qui ne lui permettaient pas d’être heureux.

Lorsqu’il s’agit d’un scénario, il faut démontrer par le comportement du héros ou de l’héroïne que la résurrection a eu lieu. Vogler mentionne l’architecture (une transformation physique des lieux du passé) aussi comme moyen de témoigner du changement du héros.

Les circonstances du climax par exemple positionnent le protagoniste et l’antagoniste dans un lieu sombre, aux limites restreintes. Comme le parcours héroïque n’est pas tragique par nature, lorsque l’héroïne ou le héros auront vaincu l’antagoniste, alors s’ouvrira devant eux un espace lumineux et dégagé. Une sorte de symbole d’une élévation spirituelle.

Nous trouvons aussi un tel exemple dans Indiania Jones et le temple maudit. Lorsque Indiana, Willie et Demi-lune retournent au village avec les pierres sacrées et les enfants, le village désolé qu’ils avaient quitté au début de l’aventure est devenu lumineux et verdoyant.
La transformation s’est accomplie.

Pour Campbell, la mort et les ténèbres seront affrontées une dernière fois avant d’être conquises par le bien (peut-être pas définitivement si vous avez prévu une suite à votre fiction).
Notez aussi qu’au moment du climax, les enjeux n’ont jamais été aussi élevés. Luke ainsi laissera la Force le guider et il vaincra son ennemi. Son arc dramatique est complété. Il a maintenant acquis le confiance en lui qui lui faisait tant défaut.

Point 12 : le retour avec l’élixir (Return with the Elixir)

L’élixir est une sorte de reconnaissance par ses pairs que le héros ou l’héroïne sont désormais quelqu’un qui apportera le bien dans la communauté (c’est-à-dire dans le monde ordinaire). C’est un moment de triomphe avec le retour à l’équilibre, à la tranquillité d’esprit et à une nouvelle vie.
En effet, la vie sera différente maintenant que le personnage a accompli un changement de sa personnalité qu’il n’aurait jamais pu faire sans ce voyage du héros.

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