SCÈNE : IN MEDIA RES

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Horace dans son Ars Poetica, a crée un terme assez connu mais souvent mal mis en pratique : In Media Res.

S’il existe un moment dans une histoire où elle prend vraiment de l’élan, on peut avancer que dès la toute première scène, un mouvement se crée qui pousse l’histoire vers l’avant.

In Media Res est un principe dramatique qui consiste (sommairement expliqué) à conter un événement, un fait dans une histoire non pas dès l’origine de ce fait mais à un moment particulier de cet événement après qu’il ait débuté.

On peut l’appliquer à une séquence. Supposons une séquence constituée de trois événements successifs. Le récit connaît l’ordre chronologique des événements. L’auteur lorsqu’il conte son histoire peut très bien souhaiter commencer à dire le troisième événement, puis par une sorte de retour sur soi de son histoire, de continuer avec le premier événement (à la suite du troisième) et de poursuivre avec le second.

Ou bien commencer l’histoire par le second événement, revenir au premier événement pour rebondir ensuite au troisième événement. In Media Res signifie au milieu des choses. C’est un procédé narratif qui permet de faire aussi des économies.

En effet, si un personnage doit se rendre dans un lieu précis et que le cours de son voyage vers cet endroit n’a pas d’importance pour l’intrigue, autant commencer la scène lorsque ce personnage arrive près de sa destination.

Et les récits qui mettent de côté des mises en scène sophistiquées pour plonger dans le cœur du sujet sont mieux consommées par le lecteur/spectateur. Même si l’histoire paraît décousue.

Dans le vif de la scène

La recommandation serait de commencer une scène pendant l’action. Cela a un certain poids sur le lecteur comme si vous ouvriez une scène au milieu d’une fusillade ou en plein milieu d’une dispute entre un couple.
Dans The dark knight : Le Chevalier Noir, l’ouverture est précisément le cambriolage d’une banque.

L’action retient l’attention. On essaie d’attendre de voir ce qu’il va se passer surtout lorsqu’on est observateur d’une action quitte à refermer le livre si décidément on n’est pas ferré à l’histoire.

Montrer l’action alors qu’elle a déjà commencé soulève des questions dramatiques bien plus aptes à ferrer le lecteur sur l’histoire : Qu’est-ce qu’il se passe ici ? Qui sont ces gens ? Pourquoi font-ils cela ?

Ces questions sont véritablement des aimants qui nous maintiennent dans une situation dramatique dans laquelle l’auteur nous a jeté.

Par souci de concision, on peut faire l’impasse sur une partie de l’événement qui est évidente dans le récit (le personnage entre dans l’immeuble et prend l’ascenseur) et l’histoire (il arrive au sixième étage). On fait l’impasse sur l’exposition (mais on peut y revenir ensuite).

C’est un motif récurrent dans l’histoire :

  1. L’auteur jette le lecteur en plein milieu d’une situation inhabituelle ou tendue ou conflictuelle sans avoir a priori fourni le contexte de cette situation.
    C’est ce que nous propose Alien avec sa visite du vaisseau Nostromo étrangement vide.
  2. Un changement dans la situation se produit dont la finalité est soit de nous apporter un éclairage nouveau sur la situation actuelle soit d’altérer ce que nous avions anticipé de cette situation.
    Dans Alien, ce moment intervient lorsque le vaisseau détecte un signal de détresse et réveille l’équipage en biostase.
  3. La séquence (qui possède son propre climax ou apogée) culmine vers une révélation ou un événement dont on sait qui ne manqueront pas de conséquences pour l’histoire à venir.
    C’est ce signal de détresse qui annonce de probables difficultés dans Alien.

La durée de ce motif importe peu. Ce qui compte est qu’il crée un mouvement. Voici d’autres exemples :

Complétons The Dark Night : Le Chevalier Noir.

  1. Nous sommes jetés en plein milieu du casse d’une banque. Nous ignorons tout de ce casse et tout ce que nous observons, c’est qu’il fonctionne comme une machine bien huilée.
    Alors que nous ne savons pas encore pourquoi cette situation a lieue, nous pressentons que l’organisation qui en est à l’origine est plutôt quelque chose de sérieux.
  2. Notre appréciation de la situation change au moment où nous réalisons que chaque individu du casse doit se débarrasser de son complice dès leurs tâches accomplies.
  3. Et la révélation est que le seul qui reste est le Joker et l’argent volé, celui de la mafia.

Inglorious Basterds, quant à lui, nous propose une ouverture essentiellement centrée sur des lignes de dialogue particulièrement éprouvantes.

  1. La situation est simple. Landa et quelques nazis arrivent à la ferme. On ressent bien sûr une menace mais rien dans la situation ne nous permet de penser qu’elle peut s’envenimer.
  2. Puis nous sommes brusquement mis en face de la vérité lorsqu’on nous montre qu’une famille juive se cache sous le plancher. A partir de ce moment, l’expérience que nous avons de cette séquence est radicalement différent.
    Dans le In Media Res, c’est d’abord cet effet qui est recherché par l’auteur.
  3. Puis le climax, l’événement qui clôt la scène, est que les nazis assassinent la famille juive mais que Shoshanna, le personnage principal, parvient à s’échapper.

The Thing de Bill Lancaster et John Carpenter nous prouve avec brio que le In Media Res s’adapte à tous les genres.

  1. Nous sommes jetés en pleine action. Nous comprenons rapidement que nous parcourons en hélicoptère des étendues désolées et glaciales que nous assimilons à l’Arctique parce que dans l’imaginaire collectif, c’est l’Antarctique qui pointe le plus souvent en premier. Et stupeur, nous pourchassons un chien.
  2. L’articulation de cette séquence qui se resserre sur l’animal s’organise par la destruction de l’hélicoptère et qu’un seul survivant continue la chasse vers des bâtiments au loin, tirant frénétiquement, hors de contrôle.
  3. Des hommes sortent des bâtiments. Manifestement, ils sont américains. En défense, l’un des américains tue l’homme qui est devenu très dangereux et le chien se rue à l’intérieur des bâtiments.
    L’information qui nous est donnée dans ce climax, c’est que maintenant le chien a pris possession des locaux.

Ex Machina de Glen Brunswick et Alex Garland nous fait la démonstration que le temps de l’histoire couplé à un In Media Res permet en trois mouvements de nous décrire l’univers de Ex Machina.

  1. Caleb gagne un concours interne dans l’entreprise d’informatique dans laquelle il travaille.
  2. Il est alors emmené dans un vaste domaine isolé.
  3. Il y rencontre son patron, Nathan, qui lui apprend en fait (et à nous aussi dans le même coup) qu’il est là pour tester une intelligence artificielle.

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