LE PROTAGONISTE PEUT-IL ETRE L’ANTAGONISTE ?

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Est-il possible que le protagoniste soit son propre antagoniste ? Y a t-il des exemples de scénarios où le protagoniste est le pire ennemi qu’il puisse connaître ?

Le personnage principal d’une fiction est atteint d’une vieille blessure antérieure à son introduction dans l’histoire. Il la porte avec lui depuis trop longtemps pour qu’elle n’affecte pas sa personnalité au moment où nous faisons sa connaissance.
C’est une norme reconnue dans nombre de fictions.

Néanmoins, est-ce que cette blessure fondamentale qui caractérise le personnage peut-elle faire de lui le méchant de l’histoire ?
Il y a quatre façons de présenter un protagoniste qui soit lui-même sa propre force antagoniste.

  • Quelque chose dans l’intériorité du personnage est la source conflictuelle majeure de l’histoire.
  • Lorsque la faille dans la personnalité du personnage est au centre de l’histoire.
    La primauté est alors donnée à l’arc dramatique du personnage.
  • Lorsque l’histoire ne propose aucun autre personnage pour venir s’opposer au protagoniste.
  • Le protagoniste est juste mauvais ou diabolique.
Une double personnalité

Fight Club et Docteur Jekyll  et Mister Hyde en sont deux exemples frappants. Nous sommes dans une situation où le personnage principal se présente sous deux aspects (extérieur comme intérieur).

On peut aussi assimiler cette double personnalité à l’image de la bête dont la tanière est en nous. C’est une allégorie de notre désespéré combat contre nos pulsions et compulsions. Et si la bête sollicite notre peur ancestrale de la dévoration, on peut parfaitement admettre l’hypothèse que nos pulsions nous consument.

Prenons l’exemple du lycanthrope. Les nuits de pleine lune, il prend plaisir à des actions immorales, d’une brutalité primitive et sans retenue. Mais il est sous influence comme peut l’être l’alcoolique. Et tout comme ce dernier, il se réveille le lendemain matin complètement désorienté. Et sans aucun souvenir de la violence de la nuit.

Cette bête est certes à l’intérieur du protagoniste mais lorsqu’elle se manifeste, ce n’est plus le protagoniste. Celui-ci devient en quelque sorte la victime de sa malédiction.
Cette bête intérieure agit indépendamment sans le consentement du protagoniste et ce dernier ne peut même pas l’influencer. Ce type d’antagonisme est totalement séparé du protagoniste. Ils ne font que partager le même corps.

Une faille pathologique

Lorsque le parcours intérieur du protagoniste est ce qui importe à l’auteur, Il est possible qu’il fasse de ce défaut dans la cuirasse la force antagoniste qui va venir entraver les efforts du héros.
Dans Leaving Las Vegas, l’addiction à l’alcool de Ben Sanderson n’est pas l’antagoniste.

D’abord, parce qu”il est malaisé de traduire conceptuellement une force antagoniste. Il est préférable de l’incarner, de lui donner figure humaine pour la représenter.
L’histoire de Ben Sanderson est celle d’un combat contre le suicide à la suite d’un puissant sentiment de perte. C’est une lutte intime avec la volonté de vivre.

L’intrigue romanesque avec Sera la prostituée ne fait que pointer vers la véritable question dramatique de l’histoire : Est-ce qu’un nouvel amour peut remplacer le vide laissé par un cœur brisé ?
Et le message est non. Il y a des traumas que nous ne pouvons surmonter. Tout comme dans la vie réelle qui aime à s’immiscer dans nos fictions.

Le véritable antagonisme d’un personnage qui lutte contre lui-même est extérieur. Lorsqu’un protagoniste ne parvient plus à se réconcilier avec les actions et les décisions qu’il a prises, un combat commence.
Mais ce combat intime ne peut être montré et illustré dans un scénario que par des éléments extérieurs au personnage. C’est-à-dire par un antagoniste incarné et des obstacles qu’il jette sur le chemin du héros.

Les expériences du protagoniste (son vécu c’est-à-dire ses actions et ses décisions) alimentent en fait cette haine qu’il éprouve envers lui-même. Il ne les combat pas en fait. Il s’en nourrit. Prenez Ron Kovic dans Né un 4 juillet, il est tout empli des valeurs patriotiques d’un pays qui non seulement lui a menti mais qui va aussi l’abandonner à son retour du Viet-Nâm.
Le véritable antagoniste de Kovic, ce sont ces figures militaires qui représentent une opinion balayée par le mouvement pacifiste à son retour.

De même, il serait réducteur de penser qu’un handicap physique ou une situation socio-culturelle défavorisée sont des antagonismes rédhibitoires. Sartre a tenté de démontrer le contraire en démontrant la liberté (l’homme est ce qu’il se fait) de l’être humain.

Obstacles et antagonisme

Il faut distinguer entre les obstacles qui sont des choses qu’un protagoniste doit surmonter (parfois il réussit, parfois il échoue) et un antagonisme qui est quelque chose qui possède une volonté de fer pour accomplir quelque chose qui va rendre l’objectif extérieur du protagoniste (son désir, son but visible par tous dans l’histoire) impossible.

Donc un antagoniste agit (qu’il soit incarné ou non). Lorsque cet antagonisme est une entité ou une abstraction, ce sont les obstacles qui le personnifieront. Il n’y aura pas d’antagoniste désigné mais un concept personnifié.
Dans des histoires comme M.A.S.H, Il faut sauver le soldat Ryan ou La ligne rouge, c’est la folie de la violence ou la stupidité des faiseurs de guerre ou le concept même de la guerre qui est le véritable antagoniste.

Qu’est-ce qu’un antagoniste ?
C’est d’abord une fonction qui va venir directement s’opposer au parcours extérieur du protagoniste dans l’histoire. Ce parcours extérieur consiste (Outer’s Journey chez les anglo-saxons) à décrire les différentes étapes vers l’obtention de quelque chose de concret comme de trouver un trésor ou de vaincre les nazis. L’antagoniste ne veut pas que l’on trouve le trésor ou bien que son idéologie soit vaincue.

La relation entre le protagoniste et l’antagoniste se résume à une confrontation physique de volontés qui vont s’opposer.
Prenons Rudy de Angelo Pizzo comme exemple.  Daniel “Rudy” Ruettiger rêve de jouer au sein de l’équipe universitaire des Notre Dame Fighting Irish. Mais le milieu social dont il est issu et quelques limitations physiques vont venir lui barrer la route.

Le message de l’auteur est que rien n’est impossible si l’on y met suffisamment de cœur. Les obstacles que rencontrent Rudy sont personnifiés par les coach qu’il va tenter de toutes les fibres de son âme de convaincre de lui laisser jouer une saison.
Est-ce que cela fait des coach l’antagonisme ? Est-ce que la situation de Rudy fait de lui son propre ennemi ? La réponse à ces deux questions est la même : non.

Les coach personnifient les obstacles. Et le véritable antagonisme de Rudy est la réalité. Rudy ne cesse de se battre contre des faits qu’il n’a pas choisis. Par conséquent, le combat intérieur de Rudy qui consiste en la réalisation de soi par l’accomplissement de son rêve ne peut faire de lui son propre antagonisme. Il se bat contre quelque chose qui lui est extérieur.
Et cette extériorité s’incarne dans les coach. Ces obstacles sont le contenu du parcours extérieur du héros.

Ce n’est donc pas parce qu’il y a lutte interne au sein du protagoniste que celui-ci devient son pire ennemi. Et ce n’est pas parce que physiquement des obstacles sont personnifiés qu’ils sont antagonistes.
Ils ne font que représenter une force antagoniste sur laquelle doit être mis un nom. Le responsable est ailleurs.

 Un désir, un besoin

La mission (le désir) et le besoin (ce qui manque chez le héros et qu’il doit combler) déterminent la véritable nature de l’antagonisme.
Mais et si la mission ne requiert aucun opposant ?

Gravity, Seul au monde ou Buried de Chris Sparling ont comme force antagoniste le contexte même du héros. C’est la puissance de ce contexte comme force externe intangible et insaisissable qui menace l’objectif de survie du héros ou son retour auprès des siens.
C’est un combat contre la nature comme les éléments naturels ou la maladie.

Et si le protagoniste est clairement méchant ?
Prenez Alex dans Orange Mécanique. Il lutte contre sa tentative de réhabilitation incarnée par l’agent de probation et le ministère de l’intérieur.

Et Patrick Bateman de American Psycho ? Il est poursuivi par le détective Donald Kimball.
Donc, même présentés comme de véritables méchants, ces personnages sont confrontés à d’autres personnages ou des entités dont la finalité est de leur nuire et en conséquences, ils ont des antagonistes et ne sont pas eux-mêmes leur principal ennemi.

Ce qu’il faut comprendre lorsqu’on entend que le personnage principal est son pire ennemi est qu’il doit vaincre ce qui le retient d’avancer dans sa vie, qu’il doit satisfaire un besoin mais cela ne permet pas de faire l’économie d’un antagoniste qui doit exister en dehors de lui.

Une question d’arc

Un protagoniste foncièrement mauvais soulève une interrogation : survivra-t-il ou non ? A la différence d’un protagoniste traditionnel, ce type de héros ne possède pas d’arc dramatique. Il n’est pas appelé à changer au cours de l’histoire.
Retenez cependant que même si le héros de l’histoire agit comme un antagoniste, il y aura malgré cela une force qui viendra s’opposer à lui.

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