LE GRAND HUIT DE LA TENSION

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Un des problèmes récurrents dans les scènes et les séquences est le manque de dynamisme qui affecte la tension que doivent générer ces scènes et séquences.
Il est nécessaire que cette tension fluctue au cours de la scène. La principale difficulté réside dans le fait que l’on sait ce qui doit se passer dans la scène puis on écrit cette scène en la détaillant et on s’aperçoit en fin de compte qu’il manque à cette description presque clinique de la scène ou de la séquence, une tension avec un va-et-vient qui donne à l’ensemble un dynamisme émotionnel vivifiant.
Pour éviter qu’une scène soit trop linéaire, unidimensionnelle, il faut travailler la tension qui émane d’elle.

Voici une séquence extraite de Abyss (1989) de James Cameron :

Le lieutenant Hiram COFFEY embarque à bord d’une station sous-marine expérimentale de forage à la recherche de survivants d’un sous-marin nucléaire échoué dans les profondeurs marines.
Il souffre du mal des profondeurs ce qui le rend mentalement instable.

A cause de la tempête, les communications sont coupées et il n’est plus possible de remonter à la surface. De plus, l’équipage a rencontré des êtres extra-terrestres.
COFFEY a décidé d’utiliser Big Geek, un robot submersible pour acheminer une tête nucléaire dans la fosse où réside les extra-terrestres. Nos héros, BUD, un ouvrier et l’ingénieur LINDSEY sont déterminés à l’en empêcher.

La séquence de notre exemple commence au moment où COFFEY s’est échappé de la plateforme à bord d’un sous-marin avec Big Geek accroché aux bras de l’engin.
BUD s’est lancé à sa poursuite en combinaison de plongée pendant que LINDSEY se prépare à se joindre à la chasse à bord du second sous-marin disponible.

La scène pourrait ainsi être résumée :

BOB & LINDSEY attaquent le sous-marin de COFFEY. Les deux sous-marins sont endommagés. COFFEY parvient à lancer Big Geek qui s’enfonce dans les profondeurs de la fosse.
Cependant, le sous-marin de COFFEY est trop sérieusement endommagé et glisse dans la fosse où il ne tarde pas à imploser sous la pression. Le sous-marin de BUD et de LINDSEY est désemparé.

L’idée de la scène est simple :
– Le but de COFFEY est de lancer Big Geek,
– Le but de LINDSEY et de BUD est de le stopper.

James Cameron cependant nous gratifie de nombreuses péripéties au cours de cette séquence.

  1. D’abord, BUD réussit à rattraper le sous-marin de COFFEY. Il lui est impossible de récupérer Big Geek alors il attache une corde au robot et nage vers la plateforme.
    COFFEY lance Big Geek mais BUD réussit juste à temps à attacher la corde qui retient Big Geek. Celui-ci tournoie sans but au bout de sa corde. Nos héros sortent vainqueur de cette épreuve.
  2. Bien sûr, COFFEY est toujours dans les parages. Il attaque BUD avec son sous-marin. Notre BUD est bien vulnérable dans son habit de plongée face à un sous-marin et COFFEY piège BUD contre la paroi de la fosse.
  3. Mais LINDSEY arrive avec le second sous-marin. Elle entre de plein fouet dans celui de COFFEY. BUD se libère de l’emprise de COFFEY et rejoint LINDSEY dans son sous-marin.
    Les choses ont l’air de plutôt bien se passer.
  4. Mais BUD a fait des nœuds trop hâtivement et ceux-ci se relâchent libérant Big Geek qui s’enfonce alors dans la fosse.
    Nos héros sont sur le point d’échouer !
  5. LINDSEY s’élance alors à la poursuite de Big Geek. BUD en manipulant le bras externe parvient à rattraper le bout de la corde et Big Geek est de nouveau stoppé dans sa course.
    Le désastre est évité.
  6. Mais COFFEY a réussi à faire mouvoir son sous-marin et vient percuter violemment celui de LINDSEY. Big Geek est de nouveau libre et file droit dans la fosse.
    COFFEY et LINDSEY se livrent à un combat de monstres mécaniques à bord de leurs véhicules respectifs. LINDSEY l’emporte sur COFFEY et le submersible de COFFEY dérive dans la fosse où il implose.
  7. Malheureusement, le sous-marin de LINDSEY et de BUD n’a plus de puissance et Big Geek est parti délivrer sa terrible charge nucléaire. Nos héros ont échoué et le pire est encore à venir…

Avez-vous remarqué ce qui se passe dans cette séquence ?
1) Epreuve réusssie
2) Echec
3) Epreuve réussie
4) Echec
5) Epreuve réussie

La scène 6 se présente davantage comme une scène de préparation pour annoncer l’échec de la scène 7 qui elle-même prépare aux scènes de répercussions de cet échec. Mais ce n’est pas notre propos dans cet article.

Une alternance

Ce qu’il faut noter ici est cette alternance entre l’échec et la réussite et l’impact que ce battement a sur les espoirs et les craintes du lecteur.
Le rythme crée un suspense autour de l’issue de la séquence. Si cette séquence était linéaire (ce qui peut être pratique du point de vue structurel et de maîtrise de votre intrigue), vos lecteurs finiraient par deviner (même inconsciemment) le dénouement de chacune de vos séquences au risque de voir suinter l’ennui chez eux. La répétition rend les choses beaucoup trop prévisibles.

Pour que ce va-et-vient puisse fonctionner, l’échec ne doit pas être similaire. Par exemple, BUD refait le nœud qui se détache à chaque fois. Il faut être imaginatif dans la mise en place des échecs.
Une astuce consiste aussi à bien prendre soin que l’action du héros joue contre lui : si le hasard avait voulu que le nœud se détache et que cela aide BUD à accomplir son objectif, votre lecteur ne l’aurait pas accepté.
BUD doit réussir seulement par sa propre volonté ou par son habileté. Le hasard joue toujours contre le héros.

La tension induite par ce va-et-vient est comme un grand huit. Il y a des hauts et des bas, des changements de direction.
L’action est en perpétuel mouvement.

D’autres exemples

On peut et on doit appliquer cette idée à d’autres séquences.
Un homme et la femme du meilleur ami de cet homme sont en train de discuter.  L’homme veut séduire cette femme.

Une approche directe de la scène serait :
L’homme use de ses charmes pour séduire la femme de son meilleur ami. Mais elle résiste à ses avances. Il insiste et finalement, elle cède.

Ne serait-il pas plus intéressant d’un point de vue scénique si les choses se passaient ainsi :

  1. L’homme fait du charme à la femme de son ami jusqu’au point où ils s’embrassent.
  2. Mais elle le repousse. Elle ne peut pas faire ça. Elle se lève et se dirige vers la porte.
  3. L’homme la rattrape avant qu’elle ne sorte de la pièce et usant toujours de ses charmes ramène la femme jusqu’au canapé où ils étaient assis.
  4. Mais elle résiste toujours. Ce qu’ils font est mal. Elle se lève de nouveau. Il l’embrasse. Elle le combat un peu et finalement lui cède.

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