L’IRONIE, UN OUTIL AU SERVICE DE L’AUTEUR

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L’ironie est un outil dramatique qui attire irrésistiblement le lecteur. Une vraie force magnétique.
Mais qu’est-ce exactement l’ironie ?
Elle se situe au niveau conceptuel, c’est-à-dire au-dessus des dialogues et des scènes. Elle consiste en une juxtaposition de contraires.

Une fiction a une nature duelle. Son concept devrait pouvoir apparier deux éléments dramatiques de manière plausible en une combinaison que le lecteur ne s’attend pas à rencontrer (en règle générale car il y a toujours des lecteurs à l’acuité plus marquée que d’autres).
Et c’est bien plus qu’une définition. C’est aussi ce qui fait tout l’attrait de l’ironie. L’inattendu de cette combinaison invoque la curiosité du lecteur. Et il s’interroge comment ces deux éléments apparemment opposés peuvent se réconcilier au sein de votre histoire.

Interpeller la curiosité du lecteur

Plus vous jouerez sur l’ironie et plus votre histoire aura un avantage compétitif par rapport à d’autres.
Comment mettre en place cette ironie ? afin que cette étrange association distingue votre scénario du lot ?

Testons cinq possibilités (à adapter selon votre propre technique d’écriture) :

Compétence et improbabilité

Le protagoniste doit résoudre un problème (voir à ce sujet la théorie narrative Dramatica).
Il est très compétent dans son domaine d’expertise. Mais soit c’est le personnage que l’on s’attendait le moins à rencontrer dans une telle situation narrative, soit il est le personnage le moins probable que l’on s’attend à voir pour résoudre ce problème particulier.

Considérons Minority Report. L’univers de cette histoire est un monde dans lequel les criminels sont arrêtés sur leurs intentions de commettre un crime (avant que celui-ci soit effectivement commis). Mais lorsque John Anderton (le personnage principal et chef de l’unité Précrime) est désigné par les précogs comme susceptible d’assassiner un homme dont il ignore tout, il se voit obligé de fuir pour prouver son innocence.

John Anderton n’est pas un citoyen comme les autres. Il est le chef de l’unité Précrime et est supposé prévenir les meurtres et poursuivre de possibles criminels et c’est lui qui se retrouve en cavale. Ironique, non ?

Il semble évident qu’il était celui le moins soupçonnable. Par contre, sa compétence ne se retournera pas contre lui mais lui servira grandement dans sa situation. Notez aussi que l’ironie porte sur le personnage principal. On pourrait par exemple faire en sorte qu’un chef de la police locale soit dans l’obligation de poursuivre sa femme devenue une criminelle.
Il y a là aussi une forme d’ironie mais elle est indirecte et partant, moins parlante au lecteur.

Et si votre brainstorming n’aboutit pas à un protagoniste improbable pour la situation dans laquelle il sera jeté, il faut alors s’orienter vers les possibilités les plus improbables.
Par exemple, un terroriste fait un chantage à la bombe. Le héros a en charge de désamorcer cette bombe. Il en a la compétence mais faire de lui un démineur des forces spéciales par exemple vous semble trop fragile, trop cliché. Quelle serait alors la possibilité narrative qui créerait une ironie afin de capter au mieux l’attention d’un lecteur ?

Un autre terroriste et qui serait forcé par les autorités à stopper un des siens. C’est ironique dans le sens où le lecteur sait que le personnage principal est capable de commettre des crimes et qu’il sera utilisé pour empêcher un assassin d’en commettre.
En somme, pour arrêter un voleur, cela aide d’en avoir un sous la main.

Le poisson hors de l’eau

Ce type d’ironie consiste à placer le personnage dans un état dont il n’a pas l’habitude d’être. Comme dans Menteur, menteur où Fletcher ne peut s’empêcher de mentir encore et toujours jusqu’au jour où par une sorte de malédiction, il se voit obligé de dire la vérité.

Le principe des contraires d’où émerge l’ironie est respecté. Nous sommes un peu dans une procédure métaphysique dans ce cas car la personnalité du personnage est transcendée pour atteindre un état presque surnaturel (et dans certains cas, même divin).
Et pour rester avec Jim Carrey, c’est un peu ce qui arrive à son personnage de Bruce Nolan dans Bruce tout-puissant.

D’une manière ou d’une autre, le personnage principal est projeté dans un territoire matériel ou immatériel inconnu. Même si ses compétences à résoudre le problème ne sont pas mises en cause, ce sera alors son attitude qui détonnera avec le nouvel environnement.
C’est ce qui arrive à Alex Foley. Détective de Detroit, il appliquera son savoir-faire à Beverly Hills.

Mais son comportement exubérant et peu orthodoxe offusquera les autorités locales. D’autres fictions mettent en avant un personnage principal qui possède certaines compétences mais celles-ci se révèlent totalement inutilisables dans le nouveau monde (le monde de l’intrigue).
Ce qui fait de lui le personnage qui a le moins de chance de réussir son objectif.

Cependant, les leçons apprises au cours de l’intrigue lui permettront de réconcilier ses compétences avec le nouveau monde (avec lequel il est devenu plus familier).
C’est ce qui se passe dans Baby-Sittor de Thomas Lennon et Robert Ben Garant où Shane Wolfe, militaire endurci, devient la nounou de cinq enfants. Miss Detective de Marc Lawrence, Katie Ford et Caryn Lucas propose quelque chose de tout à fait similaire.

Le novice

Le novice est ce personnage qui n’a aucune expérience et qui se retrouve propulsé dans une situation qui manifestement le dépasse complètement. On ne peut pas plus opposé entre un personnage et une situation.
Par exemple, il pourrait être assigné au héros une mission que même quelqu’un de chevronné aurait du mal à résoudre. Et c’est en cela que réside l’ironie.

Dans Sécurité rapprochée, Tobin Frost est un agent de la CIA expérimenté qui a tourné au vinaigre et vend des informations au plus offrant. Poursuivi par des tueurs fortement armés, il est placé dans une planque gérée par Matt Weston, un agent qui n’a aucune expérience et qui se sent d’ailleurs frustré par le manque d’action.

La prémisse de Sécurité rapprochée n’est pas excitante si l’on s’en tient seulement à cette ironie mais il est important que celle-ci existe et que Frost et Weston soient aussi différents que possible afin de créer le contexte qu’exige l’histoire.
En fait, l’ironie aide à maximiser le potentiel du concept de l’histoire. Elle ne fait pas l’histoire.

Notez aussi qu’il est toujours très enrichissant pour l’histoire d’y apposer plusieurs couches d’ironie, peut-être deux ou trois seraient suffisantes. Pas trop, tout de même, parce que cela finirait par alourdir l’aptitude de votre message à atteindre son destinataire : le lecteur.

Parmi les novices, il y a ceux aussi qui vivent leurs aventures en imagination et qui se retrouvent confrontés à la réalité du terrain. C’est le cas de Po de Kung fu Panda par exemple.

Au service des autres

Cette catégorie d’ironie met en œuvre un héros qui est doué dans son domaine, qui aide les autres à faire face à leurs situations mais lorsqu’il s’agit d’appliquer cette aptitude à son propre cas n’y parvient pas.

Hitch par exemple est un excellent artisan de Cupidon mais il est incapable d’appliquer les principes et les techniques qu’il dispense lorsque cela le concerne personnellement. C’est le principe du bottier le plus mal chaussé.

Une attirance invraisemblable

Ironie clef de la romance où deux personnages qui ne sont apparemment pas faits l’un pour l’autre finissent par tomber amoureux.
Pour créer une telle ironie, il faut fonctionner à rebours, c’est-à-dire réfléchir à comment un couple a pu se former.

C’est le principe mis en œuvre dans Coup de foudre à Notting Hill, par exemple. Le couple formé par William et Anna est hautement improbable. L’auteur a donc fonctionné en démontant comment cette relation a pu advenir.
Et l’ironie induite de cette relation agit comme un aimant sur le lecteur.

En conclusion

Pour conclure cet article, je prendrai un autre exemple. Celui de Le nouveau stagiaire de Nancy Meyers. Ben est propulsé dans le maelstrom d’une start-up avec une jeunesse qui refait le monde. Néanmoins, les valeurs de Ben quelque peu conservatrices (le port systématique du costume) et sa principale qualité humaine qui se concentre sur les rapports humains le rendent vite indispensable auprès de Jules.

La mise en place de l’ironie permet à Nancy Meyers de régler certainement quelques problèmes personnels du rapport entre un père et sa fille (que Clint Eastwood a aussi traité avec Million Dollar Baby) mais aide aussi à porter le message d’une jeunesse aux idées certes progressistes mais qui doit cependant accepter certaines valeurs que l’on pourrait qualifier de conservatrices afin de préserver notre principale qualité humaine : notre relation aux autres.

Si vous le pouvez, aidez-moi à maintenir Scenar Mag (surtout si vous trouvez que ce que je fais peut vous servir). Merci à ceux qui m’aident déjà. Et Merci à ceux qui peuvent m’aider.

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