FRANK DANIEL & LA STRUCTURE DRAMATIQUE

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Frank Daniel (1926-1996) est bien connu pour avoir développé sa théorie sur le modèle structurel séquentiel. Nous allons aborder dans cet article la différence qu’il voyait entre une structure narrative traditionnelle et une structure dramatique et nous verrons que tout se rapporte au concept de tension.
L’approche de Frank Daniel se concentre sur la connexion ; connexion non seulement entre un auteur ou une autrice et son histoire mais aussi entre elle ou lui et son lecteur ou sa lectrice.

Frank Daniel citait souvent cette histoire :
Cohn rend visite à l’hôpital à sa femme Sarah gravement malade. il lui tend avec beaucoup de délicatesse une tasse de café. Soudain, Sarah s’effondre en larmes.
“Cohn, je dois t’avouer quelque chose”
“Sarah, je t’en prie. Calme toi. Tu dois te reposer” lui répond Cohn.
Sarah essaie de se détendre, sirote son café mais elle ne se sent pas soulagée.
“Cohn, il faut que je te dise. J’ai fait quelque chose de terrible.”
“Ce n’est pas nécessaire, Sarah. Quoique ce soit. Je veux simplement que nous ayons quelques moments paisibles ensemble.”
“Mais Cohn.. Je t’ai été infidèle”
“Sarah”, dit-il doucement en faisant un geste nonchalant de la main.
“Mais Cohn, j’ai couché avec ton meilleur ami. J’ai couché avec Robicheck”
Cohn la regarde avec toute la sympathie possible.
“Sarah, pourquoi penses-tu que j’ai mis ce poison dans ton café.”

C’est amusant, il y a un peu d’humour noir dans cette histoire mais surtout, elle se connecte avec le lecteur. Celui-ci est accroché par le secret de Sarah, une empathie naît entre les personnages et lui.
Maintenant, si nous développions cette histoire dans un ordre chronologique :

  1. la présentation du couple Sarah/Cohn,
  2. un incident déclencheur révélant à Cohn la liaison entre Sarah et Robicheck débouchant un peu plus tard sur l’objectif de Cohn : Mettre fin à l’infidélité de sa femme d’une manière ou d’une autre,
  3. une intrigue dont les obstacles ou les épreuves seraient choisies selon le genre retenu pour ce récit (qui se prête aussi bien au drame, à la romance ou encore au polar et au thriller),
  4. le climax où lors d’une ultime confrontation avec son antagoniste Robicheck, Cohn prendrait la décision d’empoisonner sa femme
  5. puis la résolution de l’objectif de Cohn que l’histoire de Frank Daniel pourrait illustrer.
Une structure dramatique

Maintenant, l’effet sur le lecteur et la lectrice est totalement différent. Ce que Frank Daniel essayait de nous faire comprendre est que ce que l’autrice ou l’auteur veulent nous faire éprouver dépend de la manière que l’on raconte une histoire. On raconte effectivement d’une certaine manière pour obtenir un certain effet sur son lecteur/spectateur.
Frank Daniel faisait la distinction entre Telling a Story et A Story Well Told c’est-à-dire qu’il opposait la structure narrative (Telling a Story) à la structure dramatique (A Story Well Told).

Par structure dramatique, Daniel entendait que non seulement une structure dramatique inclue l’histoire et les personnages mais qu’elle inclue aussi son lecteur et sa lectrice.
Maintenant, pourquoi un auteur doit-il prendre en considération son lecteur ? La réponse devrait être évidente : pour éviter l’ennui chez le lecteur et la lectrice. Et cet évitement est bien plus qu’une simple option, c’est une obligation non seulement pour espérer le succès mais surtout par respect pour le lecteur/spectateur.

Quelles sont les deux tâches majeures pour un auteur :
1) Raconter une histoire
2) Faire éprouver à son lecteur une expérience.
Donc l’auteur ou l’autrice doivent considérer le lecteur & la lectrice comme une partie inhérente du travail d’écriture. C’est à cette seule condition qu’une connexion entre eux et le lecteur/spectateur pourra se mettre en place.

Frank Daniel répétait sans cesse :
Somebody want something badly and is having difficulty getting it.
Quelqu’un veut absolument quelque chose et a des difficultés à l’obtenir.
Dans cette simple phrase, Frank Daniel y voyait tout le nécessaire pour écrire une bonne histoire : personnage, conflit, structure et le plus important à ses yeux, de la tension dramatique.

Cette simple phrase (Quelqu’un veut absolument quelque chose et a des difficultés à l’obtenir) est la définition exacte de ce nous appelons une situation dramatique (ou conflictuelle). Et c’est justement cette situation dramatique qui est au cœur de nos scénarios.

Ce Quelqu’un est votre personnage principal (Main Character). Tous les récits en ont un et il est préférable qu’il soit intéressant et humain afin de générer de la sympathie ou mieux de l’empathie. Dans le cas contraire, votre lecteur/spectateur s’en détournera.

Votre personnage principal veut absolument quelque chose ; il le veut passionnément ; il le veut désespérément ;  il est prêt à tout pour l’obtenir y compris risquer sa vie.
Dans le cas contraire, pourquoi votre lecteur/spectateur aurait-il envie de continuer à lire votre scénario. C’est tout de même de son temps qu’il vous accorde et si vous ne souhaitez pas le voir reprendre ce don, faites en sorte que l’objectif de votre personnage principal soit à la hauteur de ses espérances.

Entendons-nous bien sur la notion d’objectif. La mission de votre héros ne doit pas être nécessairement de sauver le monde. Il pourrait tout aussi bien aller s’acheter du pain ou même rester coucher toute la journée. Ce qui importe est l’urgence qu’il a à réaliser cet objectif ; les enjeux qui sont à l’œuvre dans la réalisation de cet objectif.
C’est d’une importance capitale pour votre héroïne ou votre héros.

Votre personnage principal a des difficultés à obtenir ce qu’il veut. C’est ici que s’exprime le conflit. Toute œuvre dramatique expose un conflit, vous ne pouvez pas y échapper.
Ce conflit se concrétise dans votre intrigue par une série d’obstacles posés sur le chemin de votre personnage principal vers la réalisation de ce qu’il veut si désespérément. Ces conflits peuvent être de toutes sortes : externes, internes, physiques, liés à son environnement, de nature sociale (toute une ville pourrait être contre votre héros ou votre héroïne), émotionnels ou psychologiques. Ce qui est important est que ces conflits existent et posent de véritables difficultés à votre personnage principal. De vraies difficultés qui semblent insurmontables, pas des petits soucis du quotidien.

structureCertains l’aiment chaud de I. A. L. Diamond et Billy Wilder nous conte l’histoire de Joe et de son ami Jerry (Quelqu’un) qui veulent absolument échapper à des truands (Leurs vies sont en jeu). Ils rencontrent des difficultés pour plusieurs raisons. D’abord, ils sont fauchés et sans emploi puis ils s’échappent en se déguisant en femmes ce qui provoque de nouveaux problèmes.
Ce titre met en évidence une technique qui a fait ses preuves : les problèmes sont toujours la conséquence d’un problème antérieur. Cette nature causale du conflit permet d’essaimer les problèmes. Un problème génère un autre problème et les problèmes s’intensifient au fur et à mesure de leur apparition.

 

personnagesEcrit par Lawrence Hauben et Bo Goldman, dirigé par Milos Forman, Vol au-dessus d’un nid de coucou décrit quelqu’un (McMurphy) qui veut à tout prix sortir de prison pour finir son temps dans un hôpital psychiatrique.
Il rencontre de nombreuses difficultés dont la plus terrible est l’infirmière en chef Mildred Ratched. La bataille entre McMurphy et Ratched s’intensifie à travers une série d’événements, l’un essaimant de l’autre, de plus en plus difficile à surmonter pour McMurphy.

LA TENSION

Un dispositif dramatique sur lequel Frank Daniel insiste énormément est la tension. On peut se demander comment la phrase clef d’un récit : Quelqu’un veut absolument quelque chose et a des difficultés à l’obtenir peut impliquer le lecteur et la lectrice dans le récit.
L’astuce consiste à proposer cette phrase comme une question : Est-ce que ce quelqu’un obtiendra ce qu’il désire si violemment ?

Cette question engage le lecteur/spectateur avec le récit. C’est la raison pour laquelle il l’a lit. Il veut savoir ce qu’il va se passer. Il anticipe l’issue de l’histoire et s’investit émotionnellement dans cette démarche.
Mais il ne connaît pas l’issue. C’est une incertitude. Le héros obtiendra-t-il ce qu’il veut si ardemment ou non ? En fait, le lecteur/spectateur oscille toujours entre les deux réponses possibles. La tension générée est le résultat de cette oscillation. La tension provient donc de l’interaction du lecteur avec l’histoire.

Soyons plus précis. En quoi consiste cette oscillation ?
Le lecteur/spectateur se trouve alternativement entre deux états. D’une part, il espère et d’autre part, il craint ce qu’il va se produire, ce qu’il va se passer dans l’histoire. Le lecteur espère que le personnage principal obtiendra ce qu’il veut ou bien il craint que le personnage principal échoue.

De l’espoir et de la crainte qu’il éprouve au gré des volontés de l’auteur et de l’autrice, il se crée chez le lecteur/spectateur une pression mentale, émotionnelle. C’est cependant une anxiété fort agréable qui résulte de l’observation d’une situation incertaine par un observateur qui ne la vit pas mais qui est capable de partager les émotions et les sentiments du personnage principal par empathie.
La tension est le plus puissant des outils à disposition d’un auteur ou d’une autrice pour atteindre le lecteur/spectateur. En faisant constamment éprouver à son lecteur et à sa lectrice des sentiments d’espoir et de peur, un auteur est en mesure d’engager, d’impliquer totalement son lecteur/spectateur dans son récit.

Comment la tension s’intègre-t-elle dans la structure ?

La réponse à cette question se trouve dans la différence entre une structure narrative classique et la structure dramatique. La structure dramatique implique le lectrice et le lecteur et donc sa nature par définition implique une tension.
Pour reprendre les propos de Frank Daniel, il ne s’agit pas simplement de raconter une histoire (Telling a Story) mais de bien raconter une histoire (A Story well told).

Afin de bien raconter une histoire, Frank Daniel se base sur deux concepts généraux qui fonctionnent en conjonction l’un avec l’autre.

Le premier est nommé la condition de la tension :
Est-ce que quelque chose va se produire ou non ?

La beauté de ce concept est qu’il fonctionne (doit fonctionner) à chaque niveau de votre récit : au niveau de la scène, au niveau de la séquence, au niveau de l’acte et à celui de l’histoire complète. Encore une fois, en créant constamment une condition de la tension dans l’esprit du lecteur/spectateur, l’autrice et l’auteur constamment l’impliquent dans le récit actuel et dans le futur de ce récit.

La tension est aussi un dispositif dramatique qui permet de s’assurer qu’il y a un conflit à l’œuvre à chaque niveau de votre scénario. Est-ce que dans cette scène particulière le personnage obtiendra ce qu’il veut ? Et dans cette séquence ? Et dans cet acte ? Et dans l’histoire toute entière ?
Chaque question apporte une réponse par oui ou par non. Dès que la réponse est connue, la tension est relâchée, soulagée. Puis une nouvelle tension s’installe. Parfois, plusieurs tensions se conjuguent dans le même temps. C’est à l’autrice et à l’auteur que revient la tâche de tisser et d’organiser les tensions qu’ils souhaitent faire éprouver au lecteur/spectateur.

Le second concept est en rapport avec la gestion de l’information.

En gérant l’information dont l’auteur et l’autrice sont les maîtres d’œuvre, ils peuvent aider aussi à générer de la tension chez le lecteur et la lectrice. En effet, l’auteur sait qui sait quoi et quand.

  • Est-ce que le lecteur/spectateur connaît la même information que les personnages ?
  • Le lecteur/spectateur connaît-il des informations que le personnage ignore ou inversement, le personnage a-t-il des informations qui n’ont pas encore été mises à disposition du lecteur ?
  • Plus sophistiquée, Est-ce que le lecteur/spectateur et le personnage principal ont des informations que les autres personnages ignorent ?
  • D’une manière générale, Est-ce que le lecteur/spectateur est en avance sur le développement du récit alors que les personnages ne sont pas encore au courant de ce qu’il va se passer ou bien le lecteur ou la lectrice sont-ils complètement dans le noir ?

Toutes ces options créent différents types de tensions. Ce peut être une tension dramatique directe, ce peut être du suspense, de l’ironie dramatique (quand une information n’est pas connue de tous), du mystère.
Chaque type de tension crée un effet spécifique sur le lecteur et la lectrice et tous ces effets sont obtenus soit en révélant soit en cachant de l’information.

En combinant ces deux concepts, en intriquant la gestion de l’information avec des conditions de tension, l’autrice et l’auteur peuvent impacter le lecteur/spectateur de différentes façons. Ce dernier est constamment soit dans un état d’espoir soit dans un état de crainte, voire de peur.
C’est ainsi qu’un auteur ou une autrice peuvent réussir à se connecter avec leur lectrice ou leur lecteur.

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