Nous en sommes arrivés au milieu du scénario (approximativement puisque somme toute, ce sont les exigences de l’histoire qui décident de où se situe ce milieu).
C’est le point médian. Concevons-le dans une première tentative de définition comme un point de non retour.
Certes, nous avions déjà envisagé le passage dans l’acte Deux qui correspond à l’engagement du héros dans son aventure comme déjà un point de non retour. La différence que nous pouvons supposer est que le point médian correspond à un état davantage émotionnel que celui du début de l’acte Deux.
En effet, lorsque le protagoniste prend en charge son problème, il est peut-être effrayé ou curieux mais lorsque le moment du point médian est arrivé, cette inquiétude ou cette angoisse qu’il partage d’ailleurs avec le lecteur deviennent quelque chose d’encore plus humain. Quelque chose comme une désespérance.
Il est plus facile de penser au point médian comme une crise majeure pour le protagoniste. On peut constater souvent lorsque le dénouement est plutôt positif, le point médian est foncièrement négatif.
Un point de non retour
Cette série d’articles sur les fondamentaux du scénario met en avant la structure : celle-ci demande l’exposition du monde ordinaire du héros, l’énoncé en trois actes de l’histoire, le climax (c’est-à-dire l’ultime confrontation du héros seul face à son antagonisme) et ce dont nous parlons dans cet article : le point médian envisagé comme un point de non retour définitif.
Comme une dernière conversion du héros qui adoptera désormais sur le monde un point de vue définitif.
A partir du point médian, il est clair pour le protagoniste et le lecteur que de recouvrer la situation initiale est impossible. Le héros n’a plus d’autres choix que d’aller de l’avant. La confrontation directe avec la force antagoniste est inévitable.
Et il n’est pas nécessaire que cette articulation du scénario atteigne un sommet paroxystique. Ce peut être un moment assez sobre, tranquille et pourtant qui explique cette crise majeure, ce moment terrible de doute chez le personnage principal.
Quelques exemples de scènes adaptées au point médian
Au point médian, le protagoniste réalise donc qu’il n’a pas d’autres choix que de s’enfoncer davantage dans un territoire qu’il ne connaît pas ou qu’il découvre à peine.
Ce peut être une scène ou une séquence qui renforcent l’intrigue (en augmentant les enjeux pour le héros, par exemple). Cette scène ou séquence nous rappelle le problème du héros et l’obstruction principale qui lui barre la route de son objectif.
D’ailleurs, cet objectif pourrait ne pas être encore clairement défini jusqu’au point médian. L’auteur pourrait choisir de nous présenter d’abord un objectif qui soit une erreur. Le héros alors prendra conscience qu’il se trompe et réalisera pleinement ce qu’il doit faire dans cette histoire pour atteindre à la plénitude de son être.
Le point médian peut être utilisé aussi pour renforcer le thème de l’histoire ou à expliciter plus avant les motivations qui animent le personnage principal à atteindre son objectif.
Concrètement, cela peut être une révélation qui bouleversera le personnage ou bien encore un revers de fortune pour introduire justement cette désespérance profonde qui s’empare de lui (ce qui le rend encore plus humain, d’ailleurs).
Comme tous les moments majeurs du scénario, le point médian oriente le récit dans une toute nouvelle direction. Nous pouvons donc envisager un rebondissement qui ne laissera pas d’étonner le lecteur.
En effet, celui-ci a tendance à anticiper l’histoire et comme un scénario est un outil qu’il est préférable de planifier (au lieu de se jeter immédiatement dans le processus d’écriture), le risque de le rendre prévisible est grand. Les rebondissements prennent alors à contre-pied le lecteur sur ses expectations.
On peut écrire une scène aussi pour montrer une décision irréversible du protagoniste. Ce peut être la réponse du héros à un dilemme qui lui fut posé plus tôt dans le scénario mais dont l’auteur a retardé la décision.
Comme si son personnage hésitait encore. Cette fois, ses motivations sont claires et distinctes. Il ne cherche plus à se convaincre lui-même du bien-fondé de sa démarche (ni à tenter de persuader les autres), il est dorénavant empli de certitudes, voire de convictions.
Le point le plus bas
On peut imaginer au point médian une situation qui force le héros à considérer qu’il est temps qu’il jette l’éponge. Tout semble perdu pour lui. C’est le All is Lost tel que l’a décrit Blake Snyder.
L’intérêt du All is Lost pour un auteur est qu’il est le moyen par lequel il peut expliquer que son héros trouvera en lui les ressources nécessaires pour se relever. En effet, cela est beaucoup plus dramatique que de le montrer réfléchissant tranquillement à une solution. Il est préférable qu’il soit désespéré et c’est par cet état de son âme qu’il retrouvera la force de se battre.
L’idée du point médian est qu’il est un engagement définitif sans retour possible. Ce qui ajoute à la pression qui pèse sur le héros. Vous avez compris que rien ne devrait être gratuit dans un scénario. On ne peut poser les choses sans qu’il y ait une continuité entre ces choses (c’est le principe de causalité).
En plaçant le héros sous pression, ses mécanismes de défense seront perturbés. Et sa véritable nature se révélera.
Le point médian sert ainsi à dévoiler certains aspects intimes du personnage. La scène ou la séquence qui contiennent le point médian permettent au personnage d’aller au-delà de lui-même.
Pour le lecteur, le point médian est la voie d’accès à l’intimité du personnage au-delà des apparences. On pourrait par exemple découvrir la fragilité d’un héros jusque là sans peur ni reproche.
Les choses se resserrent
Arrivé au point médian, les options pour le héros sont moins nombreuses. C’est comme si sa puissance d’agir se rétrécissait. Il doit faire face à certaines vérités sur lui-même qu’il ne peut plus occulter. Et s’il n’en avait pas encore conscience, c’est le moment où celles-ci s’imposent à lui d’une manière évidente et même intuitive.
Comprenez bien que ce n’est que des propositions que je vous soumets dans cet article. L’idée est de vous faire comprendre que le point médian est certes une bifurcation majeure du récit mais cela se produit essentiellement au niveau du personnage principal.
Il ne peut plus revenir sur ce qu’il lui est arrivé. Les enjeux sont élevés et sa situation n’a jamais été aussi périlleuse.
C’est aussi pourquoi il n’y a que rarement un changement de lieu au point médian. On constate aussi que le rythme s’accélère. Mais nous sommes encore loin du dénouement et du passage dans l’acte Trois.
Le point médian va donc s’emparer du lecteur et le ferrer davantage dans le récit.
Dans un thriller, cela pourrait être la découverte d’une information qui initiera un désarroi profond chez le détective. On peut même envisager que la piste qu’il suivait jusqu’à présent s’avère être une impasse.
Dans une comédie romantique, ce pourrait être ce moment où votre héros voit s’échapper la fille dont il est amoureux dans les bras d’un autre. Gardez seulement en tête qu’un point médian optimiste indique souvent un dénouement terrible pour le héros. Alors que l’aspect négatif d’un point médian annonce généralement que la fin sera plutôt heureuse.
Le point médian est aussi la dernière occasion pour introduire de nouveaux personnages dans le scénario. Au-delà du milieu du récit, il n’y a plus le temps matériel pour traiter convenablement de nouveaux personnages qui ne feront que rendre confus le lecteur.
Prochain article :
ÉCRIRE UN SCÉNARIO : LES FONDAMENTAUX (23)
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