LE CONFLIT EST L’ESSENCE DU DRAME

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Pour que le drame existe, il lui faut posséder le conflit. La fonction du conflit est essentielle à toute œuvre dramatique.
Si une histoire n’a pas le conflit comme principe constitutif, elle n’existera pas.

Le conflit est l’élément dramatique qui tisse tous les autres éléments en un tout. Il est l’élan vitale de toute fiction.
On pourrait même étendre à ce qui crée les personnages, ce qui les justifie est cet aspect conflictuel. S’ils ne sont pas dans des situations conflictuelles, ils ne sont pas tout simplement.

Et le conflit ne peut être que potentiel. Cela fonctionne aussi.

Le terme conflit est générique

Et c’est un peu le problème lorsqu’il s’agit de le définir. Une certitude, cependant, est que l’auteur qui ne parvient à saisir toute l’ampleur sémantique du terme conflictuel aura de graves difficultés à écrire un bon scénario.

L’évolution du personnage

C’est là que se situe le conflit le plus passionnant à suivre. Peut-être même que l’auteur devrait faire l’invention d’un problème personnel chez au moins l’un de ses personnages (qu’il devienne ou non protagoniste dans la suite du projet est une autre affaire) avant d’imaginer son histoire ou bien des situations dans lesquelles il placera son personnage.

Qu’est-ce qu’un conflit interne autrement qu’un dilemme que le personnage doit affronter en son intériorité ?
Et ce dilemme influe sur les comportements et les décisions de ce personnage. Il faut qu’un dilemme ait un impact sur le personnage sinon à quoi bon l’ajouter à celui-ci ?

Votre personnage prend une décision, il s’ensuit un effet. Il a un dilemme, il doit y avoir aussi un effet.

Habituellement, les auteurs donnent la préférence à des émotions universelles afin qu’elles résonnent chez le plus grand nombre de lecteurs. Ce sont des besoins (ou un désir qui cache un besoin), une croyance ou encore un tourment.

Comme dans la vie réelle, les personnages de fiction sont des êtres imparfaits. Il leur manque quelque chose dans leur vie ou ont vécu une expérience qui depuis les effraie.
C’est une vulnérabilité et celle-ci doit être intelligemment exploitée dans l’intrigue car elle est la voie d’accès par laquelle l’antagonisme (quel qu’il soit) peut atteindre et blesser le personnage.

C’est ainsi que ce dernier est amené à confronter ses failles et ses peurs comme conséquence de ce qu’il lui arrive dans l’histoire.
La solution donnée à cette confrontation, à cette lutte du personnage avec lui-même peut participer à le construire ou à le détruire.

Lorsqu’elle construit, la confrontation est davantage comme un dévoilement de la véritable nature du personnage.
Lorsqu’elle détruit, on peut supposer qu’il n’a pas su intégrer ce problème qui le mine depuis le début de l’histoire.

Dans tous les cas, il s’agit d’une évolution du personnage dans la durée de l’histoire. Cette évolution est son arc dramatique, c’est-à-dire la courbe de l’évolution de la transformation du personnage en un être incomplet au début de l’histoire qui atteint (ou non dans le cas d’une tragédie) une plénitude à la fin.

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Le conflit externe ou la manifestation de l’antagonisme.

Un conflit interne ajoute non seulement de la richesse au personnage mais aussi de la richesse et de la complexité au conflit externe.
Essentiellement parce que c’est ce dernier qui force le personnage à faire des choix et à changer.

Et cette liberté du personnage qui doit choisir et qui ne peut rien faire d’autre que de choisir est la clef pour installer du suspense et partant, de la tension dramatique.
Car chaque décision prise dans le cours de l’histoire aura des conséquences sur le personnage principal (même si ce n’est pas lui qui prend la décision, il en sera de toutes façons affecté).

Le contenu de cet effet sur le personnage est une question d’enjeux. L’engagement du héros dans l’histoire, c’est-à-dire dès qu’il a pris en charge son problème, n’est validé que par son enjeu dans l’histoire.
Si par exemple, son désir (donc le conflit externe) est de libérer sa femme d’une prise d’otages, son enjeu est sa femme car s’il échoue, celle-ci sera tuée.

Et si sa femme meurt, il sera ravagé. Et symboliquement, son destin sera semblable.
Ce qui permet d’induire que le besoin d’une fiction de posséder un antagonisme naît précisément de la nécessité de forcer le protagoniste à faire des choix.

Comme dans la vie réelle, celui-ci n’est pas très enclin à s’engager dans des choix moraux. Il faut le contraindre et vaincre cette résistance naturelle à s’éloigner du danger.

S’il n’y avait pas un antagoniste pour le forcer à agir, trop de liberté serait laissé au protagoniste et en particulier la liberté d’indifférence qui pourrait lui permettre d’opter pour n’importe quelle solution.
Ce qui signifie qu’il n’y aurait  pas d’enjeu, pas de conflit et en fin de compte, pas d’histoire.

Concrètement, il s’agit d’inventer un antagonisme qui va titiller le héros là où cela lui fait mal, c’est-à-dire à la racine du conflit interne du héros.
L’objectif de l’antagonisme peut être différent de celui du héros ou bien être l’opposé de celui du personnage principal (qui veut que quelque chose soit comme ceci alors que le soi-disant méchant de l’histoire veut que ce quelque chose soit comme cela) ou bien ils peuvent lutter tous deux avec le même objectif en tête. De toutes façons, il n’est nullement obligatoire que le protagoniste soit au fait du but de l’antagonisme.

La fonction de l’antagonisme est de contrer l’objectif du héros. Et il fera tout pour convaincre les autres personnages (y compris le héros) de la légitimité de ses actions dans ce sens.
Et à propos d’antagonisme, nul besoin non plus qu’il soit anthropomorphe. N’importe quelle entité peut faire l’affaire : la société, une institution, la nature, un nouvel emploi, la jalousie d’autrui…

L’antagonisme est d’abord un opposant. Par exemple, vous avez un rendez-vous important et bien que vous vous soyez apprêté et apprêtée pour être à l’heure, embouteillages et feux de circulation vous retardent inexorablement et impitoyablement.
Il y a une opposition et un opposant symbolique d’une sorte de complot ourdie par la trépidation de la vie de la ville pour que vous n’atteignez pas votre objectif (ici, un rendez-vous).

Et pourquoi cette scène devrait-elle advenir dans une histoire ?
Parce que ce rendez-vous est l’expression du dilemme qui perturbe le personnage. Il doit choisir entre accepter un nouveau poste qui doit l’éloigner plusieurs mois de sa famille (c’est l’enjeu) ou le refuser et continuer à végéter dans un poste qui l’ennuie (mais il préserve sa famille).

C’est un choix moral qui dépend de l’exigence de l’histoire. Mais on peut supposer qu’à l’origine de ce dilemme, il y a une faille dans sa personnalité qui s’appelle l’ambition.

Des soubresauts qui mènent au climax

Dans le cours de l’intrigue, une série d’obstacles, de dangers, d’épreuves attendent le héros. Ce sont autant de conflits qui cherchent à entraver la bonne marche vers l’obtention de son objectif.

Ce sont des confrontations avec l’antagonisme. Comme celui-ci est souvent incarné, ce peut être un affrontement direct avec le méchant de l’histoire ou bien ses alliés.
Chacune de ces confrontations doit forer droit dans le conflit interne du héros. Il y a certes des dommages mais ceux-ci ont cependant leur utilité.

Car soit le héros prend conscience de certaines choses à partir de sa situation, soit il lui est donné la possibilité de changer.

Dans Le monde de Nemo, par exemple, l’objectif (donc extérieur) de Marin est de retrouver Nemo. Quelle est la faiblesse de Marin sur laquelle les événements appuieront et qui vont le retrancher sur lui-même jusqu’à ce qu’il prenne conscience de ce dont il est capable ?
Marin est traumatisé depuis l’attaque du barracuda au cours de laquelle il a perdu toute sa famille.

Sauf Nemo. Mais Marin est devenu surprotecteur envers Nemo (ce qui revient à l’étouffer et peut expliquer l’esprit de liberté et aventureux qui caractérise Nemo).
Il est très anxieux jusqu’à la paranoïa. C’est un être inquiet et pessimiste ce que rappelle la réplique : Il n’est pas très amusant pour un poisson-clown entendu plusieurs fois dans le récit.

Son conflit interne est qu’il doit accepter, comprendre, réaliser qu’il lui faudra bien à un moment donné lâcher la bride à son fils, lui permettre de vivre sa vie sans Marin (Marin est le personnage principal et n’a pas la fonction de mentor).
On peut étendre cette révélation à une vérité plus englobante qu’il est vain de vouloir contrôler les gens et qu’il est préférable de les laisser faire leurs propres choix dans la vie.

A la fin de son voyage, le point de vue de Marin sur le monde a complètement changé. Au début de l’histoire, il est très protecteur envers Nemo et ne lui laisse aucune liberté.
Au cours de ses rencontres et de ses expériences, il acquiert une nouvelle sagesse. Il a appris à intégrer le trauma à l’origine de son attitude nuisible envers Nemo. En somme, il a réussi à se rapprocher de son fils (et réciproquement).

Les épreuves qui attendent Marin et Dory sont autant de scènes qui montrent que Marin doit apprendre à porter sur la vie un regard bien plus positif. A l’instar de Dory. Mais Dory doit comprendre aussi que tout n’est pas parfait dans la vie. Ce qui est transcrit par la baleine qui les gobe.

Ce qu’il faut comprendre, c”est que le conflit provient du choix qui est laissé au personnage.
Reprenons Dory et Marin. Ils sont perdus. Dory, toujours optimiste, propose à Marin de demander leur chemin au premier venu. Marin, pessimiste depuis son trauma, oppose une résistance. A ce moment précis, Marin a le choix de refuser.

Rien ne l’oblige à obtempérer aux décisions de Dory. Il peut encore choisir de ne pas la suivre dans cette approche qu’elle propose pour débloquer la situation.
Tant que Marin conserve cette prérogative du choix, le conflit se poursuit. Et dès qu’il cède aux vues de Dory, la tension retombe.

Il doit y avoir un doute dans l’esprit du lecteur sur le comportement du personnage. Cela crée le suspense. Surtout lorsqu’il s’agit d’une articulation de l’histoire.
Le conflit crée un suspense quant à la résolution de la situation. Et donc de la tension dramatique.

La problématique de la décision pour le personnage consiste à lui proposer des alternatives également puissantes. Il faut que cela soit un véritable dilemme.
S’il s’agit du personnage principal, cela renforce l’empathie. Nous ne sommes pas juste curieux de savoir quel choix il fera. On comprend la souffrance de cette décision.

Le conflit dans chaque battement

Tentez d’instiller de l’émotion, de la tension et du conflit dans les situations, dans les dialogues à chaque fois que cela semble possible.
Créez des petites luttes, des piques plus ou moins plaisantes, des résistances comme pour Marin et Dory…

De plus, ces petites touches conflictuelles qui préparent à l’ultime confrontation du climax aident à renforcer le lien entre le lecteur et le personnage principal (partant du principe que ce personnage selon son statut de principal devrait figurer dans pratiquement toutes les scènes).

Sinon, le conflit a ceci de bon qu’il réduit la distance entre le personnage et le lecteur. Ce dernier devenant plus qu’un simple observateur face à des situations conflictuelles.

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