AARON SORKIN : LA SCÈNE

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La finalité d’une scène est de faire avancer l’intrigue. La scène a définitivement un mouvement vers l’avant. Et le lecteur le sait.

L’auteur doit donc s’assurer qu’à la fin de la scène, il y ait bien une progression de son histoire. Ce n’est pas forcément un tournant majeur comme le passage dans l’acte Deux (ce qui relève davantage de la structure) mais plutôt le sentiment que les choses avancent.

Comment s’y prendre pour marquer cette progression ?

Différentes manières de faire sont possibles. Par exemple, une scène se termine sur une interrogation. La réponse sera donnée dans une scène ultérieure accolée ou non à la première scène. La réponse à la question posée fera avancer l’histoire.
Prenons un personnage qui se fait tirer dessus à la fin de la première scène mais aucune certitude n’est donnée sur sa mort. Si la mort ou la survie de ce personnage est une question fondamentale pour l’intrigue, savoir ce qu’il est advenu de ce personnage orientera l’intrigue dans une certaine direction. Cette orientation suffit à faire avancer l’histoire.

Toutes les scènes ne se prêtent pas à cette dynamique. Certaines permettent par exemple d’éclairer la personnalité d’un personnage. Néanmoins, la grande majorité des scènes sera implémentée avec quelque chose de suspendu qui se réalisera dans une autre scène.

Une question de patience

Une technique que présente Aaron Sorkin est basée sur la patience. En fait, chacune des scènes pose une question mais la réponse ne vient pas. Il s’agit d’éprouver la patience du lecteur qui ne cessera de s’interroger parce que les réponses attendues seront comme cette glu qui permettra à toute une série d’événements de faire enfin sens.

Même s’il n’y a qu’une seule réponse et que celle-ci soit présentée au moment du dénouement, ce n’est pas une faute parce qu’elle illuminera soudain l’esprit du lecteur qui pourra ainsi donner du sens à tous les événements de l’histoire. Aaron Sorkin nous dit qu’il a employé cette technique narrative sur Steve Jobs.

Concernant la comédie

La comédie possède ses propres règles et comme n’importe quel genre, il est préférable de s’en tenir aux conventions du genre parce que le lecteur s’attend à les rencontrer dans l’histoire. Pour Aaron Sorkin, sa gestion de la comédie consiste à préparer l’effet comique dans une scène préalable et à produire cet effet dans une scène ultérieure.

Le comique peut s’appliquer avec des personnages sérieux. Il peut même s’appliquer dans une situation sérieuse. Je vous conseille la lecture de cette série d’article sur un mélange des genres dont la pertinence ne paraît pas évidente de prime abord :
COMÉDIE & THRILLER COMBINÉS

Selon Sorkin, pour introduire un effet comique dans une scène, il faut le préparer. Par exemple, nous sommes dans le bureau d’un personnage. Il y a beaucoup d’activité ce jour-là. Le personnage est manifestement préoccupé. Nous savons déjà qu’il y a quelques temps, les services techniques sont venus chercher son fauteuil pour de la maintenance à la demande du personnage.

Maintenant, plusieurs scènes après, le personnage est si profondément occupé par son activité, qu’il s’assoit machinalement à son bureau en ayant totalement oublié que son fauteuil n’y était plus.

Pour renforcer l’effet comique, la gêne occasionnée par cette chute sera dédramatisée. Chez Sorkin, ce sont les dialogues qui se chargeront de cette tâche.

La scène d’ouverture

La scène d’ouverture n’est pas le prologue. Concernant le prologue, vous pourriez souhaiter en avoir un mais ce n’est pas obligatoire. La toute première scène est la scène d’ouverture. Cette scène est particulièrement importante parce qu’en son sein se nichera le thème de votre histoire.

Aaron Sorkin cite Butch Cassidy et le kid de William Goldman

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Le thème repose totalement dans cette séquence d’ouverture. Il nous dit que Butch et Sundance font partie d’un monde qui n’existe plus. Le progrès a tué le vieil Ouest américain. C’est précisément le thème de cette histoire.

Une autre fonction importante de la séquence d’ouverture est d’accrocher le lecteur. Pour ce faire, Aaron Sorkin conseille de plonger le lecteur dans une situation qui a déjà commencée. Comme si le lecteur prenait en route une conversation.

Vous en avez des exemples avec The social network et Steve Jobs. Nous sommes immédiatement immergés dans la rupture ou dans le problème de la démo qui ne fonctionne pas.

Bien sûr, si vous ne souhaitez pas que le thème surgisse ou vous contraigne dès la séquence d’ouverture ou bien si vous ne désirez pas arriver en plein milieu d’une conversation, vous pouvez écrire cette première scène en action.
Par exemple, dans Lost, la séquence d’ouverture du pilote de la série est Jack s’éveillant juste après le crash.

Ici, pour accrocher le lecteur, l’action est mêlée de mystère. Notez bien que la séquence d’ouverture sert à arrimer le lecteur ce qui ne garantit en rien que vous conserverez son attention au fil des autres pages. Mais cette attention que vous exigez de lui, il faut la solliciter dès la première page. La vie est trop courte pour qu’on vous consacre du temps sans une bonne raison.

Introduire un personnage

Pour introduire un personnage, Aaron Sorkin conseille de montrer ce qu’il veut et non ce qu’il est (d’ailleurs, ce qu’il est découlera de ce qu’il veut). Si, lors de l’introduction de ce personnage, vous ne pouvez pas définir ce qu’il veut, si vous hésitez sur ses motivations, il est probable que ce personnage ne sert pas votre histoire.

Sorkin nous donne l’exemple de The social network. La scène de rupture nous permettra de comprendre pourquoi Zuckerberg a eu besoin de compenser sa déception en critiquant Erica sur le blog ce qui lui donnera l’idée de Facemash et plus tard, celle de Facebook (une idée qui porte déjà en elle un conflit puisque Facebook sera au cœur d’une polémique dès sa création).

Pour définir ce que veut un personnage (donc de lui donner une intention), il faut qu’il ait une opposition (c’est-à-dire un obstacle). Lors de l’introduction du personnage, le lecteur doit comprendre l’intention et l’obstacle à cette intention, en un autre terme le conflit qui imprègne la scène. Ainsi, non seulement vous légitimer le personnage mais aussi la scène de son introduction.

Pour que le lecteur accepte ce conflit, il faut que l’enjeu pour le personnage soit clair. Pour faciliter cette compréhension du personnage, il est utile que dans la scène (ou la séquence) un autre personnage représente le lecteur, c’est-à-dire un personnage qui n’en sait pas plus que le lecteur et qui permettra de donner les informations nécessaires pour continuer à faire avancer l’histoire.

N’oubliez pas un troisième paramètre dans l’élaboration d’une scène : la stratégie des personnages qui consiste pour l’un à appuyer son intention et pour l’autre à renforcer d’autant son opposition.

Un minimum de descriptions

La description prend place dans la didascalie. Il ne s’agit pas de décrire l’action comme dans une course-poursuite par exemple. Dans ce type de scène, il faut s’efforcer que l’action décrite le soit en temps réel.

La description nécessaire doit être concise afin de permettre au lecteur de comprendre ce qu’il se passe dans la scène. Si vous cherchez à dire comment se sent un personnage, vous empiétez sur le domaine créatif de l’acteur ou de la direction d’acteurs. Une prescription doit être nécessaire sinon elle est de trop, elle alourdit le texte et la lecture.

Si l’un de vos personnages n’est pas à l’évidence un intellectuel, nul besoin de le préciser en gaspillant une dizaine de lignes dans votre scénario. Cette caractéristique sera formulée par son comportement, ses attitudes, ses postures, ses répliques… en d’autres termes, par sa façon d’être.

Ce que vous faites, c’est d’humaniser votre personnage. Après tout, une fiction c’est un être ordinaire dans des situations extraordinaires et un être de fiction ordinaire est avant tout un personnage qui est, tout comme nous dans la vie réelle, soumis à sa condition humaine, même si celle-ci est fictive.

On peut d’ailleurs envisager les choses autrement tout en conservant le même principe : un homme extraordinaire entouré de circonstances ordinaires se comportera comme l’être humain qu’il est avant tout.
Par exemple, le président d’une nation se distingue de ses contemporains et les situations dans lesquelles il est jeté au quotidien sont tout à fait ordinaires.

Ce sera par les détails que vous atteindrez à cette humanisation recherchée. Par exemple, ce président ne fumera jamais dans l’exercice de ses fonctions. Maintenant, si vous avez prévu une scène où le président se retrouve seul ou se croit seul, vous pourriez l’autoriser à allumer une cigarette ou un cigare. Ce simple geste, machinal ou involontaire, ajoute une dimension au personnage qui le rapproche davantage du lecteur et facilitera la communication entre le lecteur et l’auteur par personnage interposé.

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